Le 23 septembre dernier, la Cour supérieure a accordé 7000$ à un couple dont la photo avait été publiée sans leur consentement dans un mensuel gratuit de la ville de Québec. Un journaliste doit-il obtenir le consentement d’une personne avant de publier sa photo? C’est une question sensible qui mobilise à la fois le droit à la vie privée et l’intérêt du public à être informé.

Qu’est-ce que le droit à l’image?

Le droit à l’image est une composante du droit à la vie privée. C’est donc un droit fondamental protégé par nos chartes des droits et libertés.

La question du droit à l’image avait été étudiée par la Cour suprême du Canada en 1998 dans l’affaire Aubry c Éditions Vice-Versa. La plus haute cour du pays avait alors affirmé qu’il y avait violation du droit à l’image « dès que l’image est publiée sans le consentement et qu’elle permet l’identification de la personne ».

L’aspect identification de la personne a pris une certaine importance dans le cas récent à Québec, puisque la femme photographiée portait le niqab, un voile intégral qui ne laissait voir que ses yeux.

Le juge Paradis de la Cour supérieure a estimé que la photo permettait de l’identifier bien qu’on ne voyait pas son visage. Il a affirmé que le simple fait qu’elle portait le voile intégral permettait de la reconnaître lorsqu’on considère la présence à ses côtés de son conjoint et de leur enfant.

Le consentement est-il obligatoire dans tous les cas?

Dans cette affaire, le juge Paradis a estimé que le journaliste devait demander le consentement des personnes photographiées avant de publier la photo. Il souligne que celui-ci a volontairement omis de demander la permission au couple afin d’éviter un refus. La Cour suprême en était arrivée à la même conclusion dans Aubry c Éditions Vice-Versa.

Cependant, il ne faut pas en conclure que le consentement est nécessaire dans chaque cas. Il existe une exception fondée sur l’intérêt légitime du public à l’information. Le droit du public d’être informé est soutenu par la liberté d’expression qui est aussi protégée par les chartes des droits et libertés.

Le droit à la vie privée, comme tous les droits protégés, n’est pas absolu. Le degré de protection varie selon les circonstances: il est plus élevé dans un lieu privé que dans un endroit public, il est plus faible pour les personnalités publiques que pour les citoyens anonymes.

Dans les circonstances, bien qu’ils aient été photographiés dans un lieu public, le juge a conclu que le journaliste n’avait pas réussi à démontrer que la publication de la photo sans consentement des personnes intéressées était justifiée par l’intérêt public puisqu’ils n’exerçaient pas d’activité publique et qu’ils n’étaient pas connus du public.

Le droit à l’image, ça vaut combien?

Le juge Paradis a octroyé 3500$ à chacune des deux personnes photographiées pour le préjudice moral causé par l’atteinte à leur vie privée. Il a cependant refusé d’ordonner le paiement d’une somme supplémentaire à titre punitif puisqu’il a jugé que le journaliste n’avait pas porté atteinte intentionnellement aux droit du couple et qu’il croyait la publication de la photo justifiée par l’intérêt public.

Cette somme est conforme à ce que les tribunaux attribuent généralement dans des cas semblables. Le préjudice moral est difficile à évaluer parce qu’il s’agit d’établir une valeur en argent pour l’atteinte à des droits qui n’ont pas de valeur monétaire. C’est au juge que revient la discrétion d’évaluer quelle somme pourrait compenser l’atteinte aux droits dans les circonstances.

Les réactions au jugement

La Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ) a critiqué cette décision qu’elle considère comme une atteinte à la liberté de presse. La FPJQ estime dangereux d’appliquer les principes développés par la Cour suprême dans la décision Aubry c Éditions Vice-Versa à la photographie de presse puisqu’il s’agissait, à l’époque, de la publication d’une photo dans une revue à vocation artistique.

La FPJQ estime que le juge Paradis aurait dû considérer la photo d’intérêt public considérant le débat de société qui entourait la présence de symboles religieux dans l’espace public et les accommodements raisonnables lors de la publication de la photo en juin 2012. La publication de la photo en litige suit les travaux de la Commission Bouchard-Taylor et s’inscrit dans les débuts du projet de Charte des valeurs du Parti Québécois.