Dans un monde du travail en perpétuelle transformation, l’âgisme reste l’un des derniers tabous. Moins visible que d’autres formes de discrimination, il n’en est pas moins pernicieux. Qu’il s’agisse de jeunes professionnel·les jugé·es «inexpérimenté·s» ou de travailleur·euses plus âgé·es étiqueté·es comme «dépassé·es», l’âgisme touche toutes les générations. Pourtant, la diversité générationnelle est une richesse trop souvent négligée.
L’âgisme au travail repose sur des stéréotypes persistants. Les jeunes seraient instables, peu loyaux et en quête constante de reconnaissance. Les plus âgés, eux, seraient réfractaires au changement, technologiquement dépassés et trop coûteux. Ces jugements hâtifs entraînent des décisions de gestion injustes: refus d’embauche, exclusion de projets stimulants, promotions retardées ou encore mises à l’écart progressives. Cette discrimination, parfois inconsciente, se traduit concrètement par des pertes humaines et économiques majeures pour les organisations.
Les conséquences de l’âgisme sont profondes. Chez les travailleur·euses plus âgé·es, il engendre un sentiment d’inutilité, une perte de motivation, voire un retrait prématuré du marché du travail. Chez les plus jeunes, il peut provoquer une surcompensation, une pression excessive pour «prouver leur valeur», menant à l’épuisement. Dans tous les cas, les entreprises se privent de compétences, d’idées et de complémentarité entre les générations.
Or, les études le confirment: les équipes intergénérationnelles sont plus innovantes, plus performantes et plus résilientes. L’expérience des uns enrichit l’audace des autres. La mémoire organisationnelle peut se transmettre. Le mentorat inversé permet aux plus jeunes de partager leur savoir numérique avec les plus anciens. Mais pour tirer parti de cette richesse, encore faut-il créer un climat de travail inclusif et valorisant pour tous les âges.
Lutter contre l’âgisme passe par une prise de conscience, mais surtout par des actions concrètes. Cela implique de revoir les pratiques RH: adapter les offres d’emploi pour éviter un langage excluant, former les gestionnaires à reconnaître leurs biais, offrir des cheminements de carrière non linéaires et miser sur la formation continue à tout âge. Il s’agit aussi de revaloriser les trajectoires atypiques et de reconnaître que l’apprentissage est une démarche qui peut (et doit) durer toute la vie.
Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et de vieillissement de la population, le maintien en emploi des travailleur·euses expérimenté·es n’est plus une option, c’est une nécessité. Mais attention: il ne s’agit pas simplement de les «tolérer» plus longtemps, mais de les inclure pleinement, de miser sur leur contribution unique. De même, les jeunes générations doivent pouvoir se projeter dans des milieux où leurs idées comptent, et non où leur âge est perçu comme un handicap.
L’âgisme au travail ne disparaîtra pas sans un changement de culture profond. Valoriser la pluralité des parcours, reconnaître le potentiel à tous les âges et créer des ponts plutôt que des fossés générationnels: voilà la voie vers des milieux de travail véritablement équitables, intelligents et humains.