Sur Instagram, YouTube et autres plateformes sociales, les créateurs de contenus entremêlent allègrement du beau contenu aux réflexions sur des enjeux qui occupent la sphère publique. Environnement, féminisme, Black Lives Matter, consommation responsable, santé mentale… Qui sont ces influenceurs aux comptes engagés aux plus militants ?

BLM

Influencer, micro-influencer, nano-influencer.

Qu’est-ce qu’un influenceur ? A priori, tout le monde peut exercer une influence. Vous, moi, elle et lui. Sauf que certains ont tiré leur épingle du jeu et ont réussi à monétiser leur plateforme en ligne. Au final, un influenceur revient à une personne à qui l’on fait confiance pour influencer (!) nos comportements de consommation. Quand bien même que les marques auraient longtemps privilégié les vedettes du web et les célébrités pour des collaborations multiples, de nos jours, l’influence n’est plus l’apanage de celles-ci. On retrouvera également les macro et méga-influenceurs, aux audiences titanesques, et les micro et nano-influenceurs, qui ont des communautés plus restreintes.  

Jessica Prudencio
Jessica Prudencio, Créatrice de contenu
Crédit photo : @signefurna sur Instagram

Jessica Prudencio, créatrice de contenu à temps plein, affirme qu’il y a une différence entre un influenceur et un créateur de contenu. « Un créateur de contenu peut être considéré comme un influenceur, mais un influenceur n’est pas nécessairement un créateur de contenu à la base », démystifie celle qui crée du contenu en ligne allant d’articles, photos, vidéos et épisodes de podcast

« Le terme a d’abord été inventé pour les créateurs de contenu numériques qui ont un certain following, mais je pense que, intrinsèquement, on l’est tous un peu lorsqu’on partage un coup de cœur ou une découverte quelconque que ce soit à nos abonnés ou à notre cercle d’amis rapprochés », précise la journaliste Joëlle Paquette. Elle-même créé du contenu pour ses plateformes personnelles, son blogue Very Joëlle et sa page Instagram du même nom, visant à éduquer les gens sur la mode responsable et la clean beauty.

Joëlle Paquette
Joëlle Paquette, Journaliste et rédactrice pour entreprises
Crédit photo : Benoit Essiambre

Les chiffres vous parlent davantage ? Un méga-influenceur aura une audience de plus de 100 000 abonnés. Un micro-influenceur aura une audience de 10  000 à 99  000 abonnés, alors qu’un nano-influenceur aura moins de 10 000 abonnés.

Plus proche de ses « fans », les échanges seront plus faciles à entretenir chez le nano-influenceur. Paraît-il que son taux d’engagement est plus élevé que les influenceurs de tout acabit. Le rapport State of Influencer Marketing 2019 vient confirmer que le taux d’engagement des influenceurs avec plus d’un million d’abonnés est de 1,97 %, alors que les nano-influenceurs auront un taux de 5,60 % — soit deux fois plus élevé !

Conscientiser à coup de post Insta ?

Il y a des influenceurs qui, toutes catégories confondues, que ce soit lifestyle, foodie ou mode, vont traiter de sujets environnementaux, sociétaux et politiques de manière sporadique, et ceux qui en feront leur ligne éditoriale. On n’a qu’à penser à @GretaThunberg, @lesfoliespassageres et @envertetcontretout pour ne nommer que ceux-là. À une époque où les enjeux sociaux sont discutés hors des médias traditionnels — entre autres avec le mouvement BLM et la vague de dénonciations d’inconduites sexuelles — est-ce que nos intervenantes estiment que le métier d’influenceur/créateur de contenu a évolué ?

Elisabeth Massicolli
Elisabeth Massicolli, Journaliste, autrice et rédactrice
Crédit photo : Remco Nagtzaam 

Pour sa part, la journaliste, autrice et rédactrice Elisabeth Massicolli croit que les gens commencent à comprendre ce qu’est le marketing d’influence. « Il y a des comportements qu’on ne tolère plus, notamment en lien avec les enjeux sociaux. On accepte moins les publications tone deaf en pleine pandémie, en pleine lutte de justice sociale. On a envie que les gens qu’on suit utilisent leur plateforme à bon escient, et ça paraît. »

« Dans les derniers mois, j’ai assisté à beaucoup d’influenceurs qui, pour la première fois, exprimaient plus ouvertement leurs points de vue politiques et sociaux, et partageaient des valeurs et des discours plus engagés, soulève Joëlle Paquette. Et c’est tant mieux ! Avec la visibilité vient une responsabilité. »

Et qu’arrive-t-il lorsque les influenceurs ne se prononcent pas sur certains enjeux sociaux, ou le font maladroitement ? Minh-Vy Trinh constate que le public les critique largement. « Je suis un peu mitigée face à cela parce que d’une part, les influenceurs ont énormément de visibilité et ont l’opportunité de conscientiser un grand nombre de personnes. » Ce que Minh Vy trouve dommage, c’est lorsqu’elle ne les voit pas utiliser leur plateforme pour faire une différence. « En revanche, cela met beaucoup de pression sur eux, alors qu’ils n’ont pas nécessairement les connaissances ni la volonté qu’il faut pour éduquer ou conscientiser leurs followers », résume-t-elle.   

Minh-Vy Trinh
Minh-Vy Trinh, Accompagnatrice de voyages, Voyage Grand V

« Dans tous les cas, je sais que ce n’est pas tout le monde qui a envie d’utiliser ses plateformes pour changer les choses et c’est correct aussi, ajoute Jessica Prudencio. On ne peut pas forcer les gens à faire partie de la révolution. »

Environnement

Influer positivement sur le cours des choses

Comment leur message passe-t-il ? Nos interviewées estiment-elles avoir une influence positive auprès de leur communauté respective ? Pour Jessica Prudencio, il n’y a pas l’ombre d’un doute — raison pour laquelle elle poursuit son travail. Sachant qu’elle peut venir en aide à sa communauté, ne serait-ce que pour avoir une meilleure relation avec le corps et avec la nourriture ou à déconstruire les idées racistes et grossophobes, la jeune femme admet être reconnaissante. Il n’est pas rare que sa boîte de réception se remplisse de messages la remerciant du bien qu’elle procure à sa communauté, qui, en retour, lui fait du bien aussi.  

Joëlle Paquette, qui fait de son expertise — la mode durable et la beauté non toxique — sa grande bataille, révèle qu’elle s’est longtemps retenue dans ses propos par crainte de froisser des compagnies ou de paraître « trop intense ». Depuis qu’elle est ouvertement engagée, elle reçoit aussi beaucoup de messages de femmes (son following est majoritairement féminin) qui la remercient de leur faire découvrir de nouvelles marques locales, les éduquer sur certains enjeux reliés à la mode ou aux produits de beauté. « Voir que mon contenu a un impact éducatif et non seulement marketing sur la vie des gens… C’est la motivation principale derrière chaque publication », souligne-t-elle.

Même si elle a moins de likes sous une publication dans laquelle elle parle de fibres écoresponsables qu’une selfie, cette dernière se dit satisfaite à l’idée d’avoir appris quelque chose, à quelqu’un, quelque part. « La gratification provient alors de ce partage de connaissance et non d’un concours de popularité régit par l’algorithme d’Instagram. »

Balancer entre le ludique et la lutte (de justice sociale)

Grande voyageuse (pré-pandémie mondiale), Minh-Vy Trinh partage et publie du contenu au gré de ses élans, et ce, peu importe si cela crée de l’engament avec sa communauté ou non. « Je répète souvent dans mes stories que si les gens n’aiment pas mon contenu, ils n’ont qu’à me unfollow », soutient-elle. Jamais Minh-Vy Trinh ne publiera pour plaire ou récolter des abonnés ou des mentions « j’aime ». Ainsi, elle balancera son contenu à travers ses stories, qui auront une teinte plus engagée et éducative, versus ses photos, qui illustreront son amour pour la nature.

Il en va de même pour Jessica Prudencio, qui estime que son contenu, qui lui vient de manière hyper naturelle, reflète ses nombreuses facettes. Pas de calendrier de contenu ou d’agenda politique, donc. C’est aussi un peu pour cette raison qu’elle a plusieurs plateformes différentes. « Ceux qui n’ont pas envie de me voir poser en lingerie ou de m’entendre parler de racisme peuvent me suivre sur mon compte foodie seulement ! C’est dommage pour eux par contre, parce qu’ils manquent du maudit bon contenu », plaisante-t-elle.

Quant à Joëlle Paquette, elle tente toujours de répondre à l’un des critères suivants : éducatif, drôle ou beau (dans le sens d’inspirant). Puisque dernièrement elle fait davantage de publications éducatives avec de plus longs textes étoffés, elle continue d’intégrer quelques posts légers par-ci par-là pour ne pas que ce soit trop « lourd » auprès de sa communauté. 

« Je me dis parfois que mon contenu devrait être plus sérieux, mais c’est un gros mandat. Je me laisse le droit de publier des niaiseries ! », rigole Elisabeth Massicolli. En temps de pandémie, la journaliste rappelle qu’il est essentiel de ne pas tomber dans le doom scrolling et passer ses journées à partager de mauvaises nouvelles. « C’est absolument vital de le faire, mais il ne faut pas oublier qu’en ce moment, les médias sociaux sont aussi un outil pour se faire du bien, pour se sentir connectés et pour mettre sa tête à off. »

« Je crois que plus on a de followers, plus on a une certaine responsabilité dans ce que l’on partage et publie, d’où l’importance de bien faire nos recherches avant de dire quoique ce soit qui pourrait blesser des gens, ou qui pourrait passer un mauvais message, que ce soit intentionnel ou non », conclut Minh-Vy Trinh.

Comme quoi avoir une grande influence apporte de grandes responsabilités – mais une pincée de douceur peut s’avérer un réel baume en ces temps difficiles.

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Voici quelques suggestions de comptes engagés de nos intervenantes.

@environnement.intersectionnel
@wellreadblackgirl
@bienavecmoncorps
@wokeorwhateva
@miss_me_art
@dixoctobre
@les3sex
@thegoodtrade
@sophiebenson
@fleurandrea
@the.ethical.edit
@goodonyou_app