Colorisme, male gaze, boy’s club, hypersexualisation, masculinité normée, corps-objet, blancheur, hétéronormativité, sexisme… Voilà quelques concepts qui ne sont pas étrangers au paysage publicitaire et qui suscitent l’inquiétude de beaucoup de gens, dont l’organisme le Y des femmes de Montréal. Ayant comme mission de bâtir un avenir meilleur pour les filles, les femmes et leurs familles, le Y des femmes déploie cette semaine une campagne de sensibilisation qui vise le sexisme ordinaire et le manque de diversité dans les publicités. Toujours en restant aligné avec ses valeurs, l’organisme diffuse une vidéo qui appelle au débat en plus d’une série d’articles dans lesquels les enjeux d’inclusion, de genre et d’égalité sont mis à l’avant. Chaque jour, nous sommes confronté·e·s à plus de 4000 publicités. Alors que la société est plurielle et dynamique, est-ce que le paysage publicitaire est inclusif et diversifié ? 

La série d’articles lancée par le Y des femmes Montréal se termine ici. Nous avons réfléchi à plusieurs enjeux présents dans la publicité qui touchent le Québec, mais aussi le monde entier. Certains points résonnent et reviennent ponctuer la réflexion : ainsi, la norme, les stéréotypes et les préjugés préoccupent des jeunes ainsi que des professionnels du milieu. Pour ce dernier article, nous avons eu le plaisir de discuter avec Chris Bergeron, vice-présidente chez Cossette et auteure du livre Valide, dans le but de pousser la réflexion autour de la responsabilité des agences plus loin. 

Dans les deux articles précédents, nous avons parlé avec Sann Sava, Vice-Présidente et chef de la création chez Publicis ainsi qu’avec des jeunes issues de la diversité au sujet de la responsabilité des agences vis-à-vis de la représentativité des identités marginales. Pourrais-tu nous parler de ta position par rapport à ce sujet ?

Chris Bergeron : Il y a quelque chose de particulier dans la question déjà et ça vient du mot marginal. Je pense que c’est toute cette idée qu’il faut déconstruire. Il n’y a pas de marge sans norme, c’est pourquoi je préfère parler de diversité plutôt que de marginalité. Sachant que c’est notre job à nous, les publicitaires générateurs d’images et d’histoires, de cibler les gens, il y a certainement une nécessité de revoir tous nos principes de ciblage. Une personne sur trois fait partie de la diversité (qu’elle soit culturelle ou sexuelle ou de genre) au Canada et encore là, cette statistique bouge beaucoup quand on s’attarde aux grandes villes, qui sont d’autant plus diversifiées. J’ai l’impression qu’on a beaucoup tendance au Québec à travailler en donut. 

C’est un point intéressant. Qu’est-ce tu entends par donut ? Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?

Chris Bergeron : En fait, ça fait référence à une manière de travailler les images et les histoires de manière circulaire. Jusqu’à très récemment, stratégiquement, j’ai l’impression que même si on montre des gens issus de différentes minorités, la réalité qu’on raconte est uniforme et basée sur une expérience très stéréotypée qui montre une vie plus rurale qu’urbaine. Nos publicités ne représentent pas les réalités cosmopolites et même quand on prend quelqu’un issu d’une minorité, on a l’impression que toutes les influences culturelles de cette personne ont été effacées. 

On a remplacé un visage par un autre, autrement dit ?

Oui ! J’ai l’impression que ce qu’on montre comme histoire, ou narrative, c’est par exemple, un homme noir qui pourrait très bien être blanc et qui vit à Saint-Lambert, par exemple. Je ne suis pas tout à fait certaine de croire que c’est une représentation juste de la réalité.

Et que remarques-tu justement de cette façon d’écrire des histoires ? 

Chris Bergeron : Ça se trace de deux manières : la première, on communique une histoire qui exclut les réalités des villes ; la seconde, on procède à un jeu de masque. En effet, quand on montre des diversités, on pense l’histoire autour d’un blanc et on va chercher un noir pour le casting et c’est cette manière de procéder qui ne correspond pas avec la réalité. C’est un mythe assez répandu qui blanchit et straightise les gens dans le but de passer le message : « on connecte avec vous ». 

Comment pourrait-on revoir nos manières de raconter et de communiquer des produits de marques ?

Chris Bergeron : Si on continue à penser que la télé est la meilleure prise de parole pour créer et édifier une marque, on va continuer à uniformiser les messages. La diversité touche aussi la polarisation des canaux de diffusion. En effet, plus on dépend d’un seul format de diffusion (télévisuel, par exemple), moins on a la possibilité d’éclater les sujets autant dans le fond que dans la forme. C’est une question de cible et une question de diversification de points de vue et de points de contacts.

C’est d’ailleurs un phénomène assez répandu, je veux dire, les jeunes n’écoutent pas vraiment la télé.

Chris Bergeron : C’est un fait, oui. Il existe un public à la télévision et un autre sur internet, et ça se fragmente constamment en groupes de plus en plus petits et ciblés. Je pense qu’aujourd’hui, on a la chance de pouvoir cibler des gens par rapport à leurs centres d’intérêt plutôt qu’avec des clichés identitaires. Et il faut s’attacher à ce fonctionnement puisqu’il permet de bâtir des campagnes sur des valeurs plutôt que sur des identités. Au Québec on le voit aussi beaucoup d’ailleurs, c’est très axé sur nos valeurs, notre bouffe, nos traditions. Je comprends très bien les enjeux identitaires et l’histoire québécoise, mais il faut penser que ce qui rejoint les gens c’est justement les récits transversaux. Il existe toujours des points communs entre les individus et il faut cesser de se rabattre sur ce que nous entendons par « norme ».

Justement, cette norme… quel serait le meilleur moyen de la revoir ? 

Chris Bergeron : Le meilleur moyen de revoir la norme, c’est de passer par les intérêts des gens. Et on peut se forcer à se demander : quand on oublie certaines communautés, est-ce qu’on ne fait pas du mal ? 

Ça reste encore très rare de voir des personnes trans dans les pubs mainstream. Moi, le message que je perçois dans tout ça, ce n’est qu’aucune des grandes marques québécoises ne s’intéresse à ma réalité. Si on montrait un petit plus de gens qui me ressemblent, il y aurait certainement des impacts positifs comme plus de compréhension, une baisse de la haine, une normalisation à l’égard des communautés trans et de façon beaucoup plus large, les marques enverraient un message d’ouverture aux consommateurs. Je pense que les marques et les agences ont peur de faire le saut au Québec.

De quelles initiatives devrait-on s’inspirer au Québec ? 

Chris Bergeron : Je me tourne souvent vers l’extérieur du Québec pour observer ce qui se fait de progressiste. J’ai aimé le laboratoire de la diversité, lancé par Ogilvy aux États-Unis, c’est un excellent exemple d’initiative puisqu’il sert de think tank sur de grands sujets de société. J’aime aussi l’initiative de General Motors qui a annoncé récemment que la marque allait donner une partie de ses contrats à des agences black owned. J’aime aussi les campagnes qui règlent des problèmes, par exemple Mastercard qui permettait aux trans de changer leur nom avant même que ça devienne possible dans la société. L’engagement, c’est la clé ! Les marques comme Ben & Jerry’s qui font avancer un certain nombre de causes étaient peu existantes dans l’écosystème de la publicité. Nous sommes à l’ère des changements, nous vivons dans une période où il y a un « effet Greta », où on se rassemble collectivement pour des causes à la Georges Floyd, où on prend conscience de la violence faite aux femmes et où les sujets d’identité deviennent de plus en plus sensibles avec notamment, la cause autochtone. J’ai l’impression qu’on ne s’imprègne pas ou peu de ces réalités en publicité… et on a l’audace de se dire avant-gardiste.

En terminant, quel est ton souhait pour l’avenir des représentations et de la publicité au Québec ?

Chris Bergeron : Je pense qu’il est grand temps que plusieurs se regardent en face et qu’ils se questionnent sur leurs réflexes d’émulations, leurs préjugés et leurs façons d’aborder la norme. C’est encore très difficile aujourd’hui de trouver sa place quand on est atypique et pourtant, c’est ce qui nourrit le plus souvent les créations. Je pense que nous avons du retard à rattraper au Québec et qu’il faut foncer vers le changement et poser des actions concrètes : engager plus de profils différents et oser challenger le système, parce que c’est ce que la société fait en ce moment ! 

Lancée par le Y des femmes de Montréal la campagne de sensibilisation aux stéréotypes et au sexisme dans les publicités s’est déroulée du 24 au 28 mai 2021. Bien qu’elle se soit déployée tout au long d’une semaine, cette campagne appelle à l’action, et ce, tout au long de l’année. En 2011, le Y des femmes produisait un guide afin de populariser les démarches pour porter plainte contre les publicités et les messages sexistes en collaboration avec le Service aux collectivités de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). En 2020, en raison de l’évolution rapide du milieu médiatique depuis cette publication, le Secrétariat à la condition féminine du Québec (SCF) a octroyé à l’organisme un soutien financier pour la mise à jour de ce guide, toujours pertinent.

Pour continuer à agir sur la problématique, le Secrétariat à la condition féminine du Québec finance maintenant cette campagne dans le cadre de la Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes vers 2021. L’action intitulée « Mettre en œuvre des actions visant à contrer le sexisme dans les publicités au Québec » prévoit des tactiques de mobilisation de l’industrie publicitaire et de la relève, des consommatrices et consommateurs et des certaines instances gouvernementales pour contrer le sexisme dans les publicités au Québec. De plus, le secrétariat vise à sensibiliser la population, afin qu’elle puisse mieux connaître les processus pour porter plainte sur les images et messages à caractère sexiste dans les médias.

Le Y des femmes a profondément à cœur les questions de représentativités et de sexismes et souhaite sensibiliser les professionnels de la publicité dans le but d’apporter des changements durables dans la manière de construire des images. 

Rappelons-le : chaque jour, nous sommes confronté·e·s à plus de 4000 publicités. Alors que la société est plurielle et dynamique, nous avons démontré qu’il y a encore du travail à faire pour rendre le paysage publicitaire inclusif et diversifié. Et comme l’a si bien dit Chris Bergeron : « c’est un travail constant, les enjeux changeront dans 5 ans, et nous devrons à nouveau nous ajuster parce que c’est ça le work in progress ».