Le Y des femmes de Montréal déploie cette semaine une campagne de sensibilisation qui vise le sexisme ordinaire et le manque de diversité dans les publicités. Toujours en restant aligné avec ses valeurs, l’organisme diffuse une vidéo qui appelle au débat en plus d’une série d’articles dans lesquels les enjeux d’inclusion, de genre et d’égalité sont mis à l’avant. Ainsi, en ouvrant la conversation sur ces problématiques, le Y des femmes cherche à soulever la part importante des publicitaires qui représentent les femmes dans la mise en scène du sexisme ordinaire et plus particulièrement en recréant l’aplanissement des histoires et des réalités : on pense notamment aux stéréotypes culturels ainsi qu'aux rôles traditionnels encore attribués aux femmes et aux hommes, quel que soit le produit à promouvoir ou sa nature. Suivez le débat qui prendra place pendant la semaine du 24 au 28 mai sur les plateformes du Grenier et du Y des femmes !

Y des femmes 1

À force d’appeler ça ma vie, je vais finir par y croire. C’est le principe de la publicité. - Samuel Beckett

Entrevue avec Sann Sava, vice-présidente et cheffe de la création chez Publicis.
Chaque jour au Canada, nous sommes exposés à plus de 4000 publicités. Qu’elles soient directement sous nos yeux, ou qu’elles longent le long des murs ou des autoroutes, qu’elles soient dans une publication Instagram ou derrière une pinte de lait, les publicités occupent une place importante, voire majeure dans nos vies. C’est parce qu’elle scrute méticuleusement nos habitudes, nos réflexes, nos valeurs, nos croyances et nos comportements que la publicité soulève malgré elle des problématiques relatives à une mise en scène répétée des mêmes modèles. Force est d’admettre qu’en tant qu’influence de socialisation secondaire — on insère un peu de Bourdieu ici — le commerce des images participe à réguler les histoires (narratives) sous un modèle plutôt univoque et dominant.

« Les femmes sont bombardées d’injonctions et de stéréotypes qui, même s’ils évoluent, restent toujours présents et se manifestent sous diverses formes », nous indique Sann Sava, vice-présidente, cheffe de la création chez Publicis. Nous parlant notamment de la femme-objet, la créatrice avise que « les hommes ne sont pas à l’abri du sexisme non plus » et qu’ils sont également visés par des stéréotypes : « Je suis une féministe qui milite pour l’égalité et les clichés me dérangent. En tant que publicitaires, on a le devoir moral de nous en éloigner. » 

Par sexisme, on peut entendre stéréotypes. Ainsi, les représentations stéréotypées constituent des constructions de la réalité qui cherchent à « recréer la norme ». Bien qu’il soit difficile parfois de faire l’exercice mental et de réfléchir autrement, Sann Sava invite les agences à faire l’effort supplémentaire : « La publicité doit utiliser des insights universels pour être efficace et souvent, on utilise les mêmes ficelles stéréotypées. C’est parce que nous cherchons à plaire à tout le monde qu’on tombe dans des raccourcis. Il faut arriver à comprendre que ça prend beaucoup d’efforts pour désarticuler nos biais inconscients. » 

Y des femmes 2

En parlant de normes, Sann Sava souligne que chez Publicis, ce sont des femmes qui sont majoritairement à la tête de l’agence et que l’entreprise rayonne par ses équipes diversifiées autant sexuellement que culturellement. Elle explique que cette structure favorise la sensibilisation et permet d’éviter certains pièges du sexisme ordinaire. Bien entendu, la vice-présidente ne pointe pas du doigt les agences dirigées par des hommes hétérosexuels, mais elle indique plutôt que la diversification des points de vue offre l’avantage d’avoir plus de réponses à la question : est-ce que c’est dégradant ou offensant pour quelqu’un? 

Cette question se tourne dans tous les sens et elle relève la responsabilité des créateurs. « Il faut qu’on soit conscient de l’impact et de notre contribution dans l’imaginaire collectif », précise Sann Sava en insistant pour rappeler aux agences qu’elles doivent « participer à bâtir un imaginaire collectif plus équilibré, plus sain et plus réaliste. »

Plus d’authenticité pour plus de responsabilisation
Pour la cheffe de la création, il s’agirait donc d’un devoir moral que les agences auraient envers les consommateurs. « Oui, il faut répondre aux demandes des client·e·s, mais il faut aussi assumer la responsabilité de les accompagner et de les conseiller. Notre devoir est d’être à l’affût des enjeux sociétaires et de prendre du recul face aux demandes. La publicité a le super pouvoir de changer des comportements, il faut absolument l’utiliser à bon escient. »

L’idée de modèle préoccupe Sann Sava qui amène le débat un peu plus loin lorsqu’elle et son équipe questionnent les retouches esthétiques, par exemple. Les femmes ont été longtemps attachées à la notion d’objet et c’est une tendance qui continue de se répéter. En 1975, la question était déjà soulevée par la chercheuse Laura Mulvey, qui publiait dès lors un article frappant, Visuel Pleasure and Narrative Cinema, dans lequel il était question d’interroger la posture objectifiée de la femme. « Notre devoir et la responsabilité que nous avons envers les consommateurs, c’est aussi de faire preuve d’authenticité. J’ai grandi avec l’omniprésence de la glorification de la maigreur à la Kate Moss et je connais la frustration d’avoir à se comparer à un idéal inatteignable. »

Y des femmes 3

En terminant, ce que nous indique Sann Sava, c’est que la conversation lancée par le Y des femmes est nécessaire : « C’est important de se poser des questions et de ne rien tenir pour acquis. Nous devons inclure de la diversité au sens large partout : dans nos brainstorms, dans nos pitchs, nos castings, partout. Faisons ressortir la beauté de la différence. C’est en étant plus ouvert que nous serons plus vrais. » Si la publicité véhicule et vend du rêve, il apparaît clair que l’inspiration doit venir d’une société diversifiée, décomplexée et colorée.  

Suivez la discussion tout au long de la semaine!
Rester à l’affût ! La réflexion lancée par le Y des femmes se poursuit les 26 et 27 mai. Les jeunes aussi ont leur mot à dire, c’est pourquoi nous avons poursuivi la conversation auprès de jeunes femmes de la diversité. Ne manquez pas ce deuxième article ainsi que le troisième qui pousse la réflexion plus loin encore avec la conceptrice-rédactrice et auteure, Chris Bergeron.