Colorisme, male gaze, boy’s club, hypersexualisation, masculinité normée, corps-objet, blancheur, hétéronormativité, sexisme… Voilà quelques concepts qui ne sont pas étrangers au paysage publicitaire et qui suscitent l’inquiétude de beaucoup de gens, dont l’organisme le Y des femmes de Montréal. Ayant comme mission de bâtir un avenir meilleur pour les filles, les femmes et leurs familles, le Y des femmes déploie cette semaine une campagne de sensibilisation qui vise le sexisme ordinaire et le manque de diversité dans les publicités. Toujours en restant aligné avec ses valeurs, l’organisme diffuse une vidéo qui appelle au débat en plus d’une série d’articles dans lesquels les enjeux d’inclusion, de genre et d’égalité sont mis à l’avant. Chaque jour, nous sommes confronté·e·s à plus de 4000 publicités. Alors que la société est plurielle et dynamique, est-ce que le paysage publicitaire est inclusif et diversifié ? 

Suivez la conversation qui prend place tout au long de la semaine du 24 au 28 mai sur les plateformes du Grenier et du Y des femmes !

Dans le cadre de la campagne de sensibilisation aux stéréotypes et au sexisme dans les publicités au Québec menée par le Y des femmes du 24 au 28 mai 2021, une série d’ateliers a été donnée auprès de jeunes femmes issues de la diversité dans le but de réfléchir à l’impact des images. Le Grenier a assisté à ces ateliers dirigés par les intervenantes du Y des femmes. Force est de constater que les jeunes, toutes âgées entre 16 et 19 ans, sont préoccupées par les questions de représentations.

« On retrouve des thèmes communs à travers les différentes représentations des communautés et ces thèmes agissent de manière à affirmer des codes, qui sont sexistes et racistes, et qui évacuent toutes questions de représentation responsable au profit d’une objectification stéréotypée des femmes racisées », introduisait d’entrée de jeu Aïda Cissé, intervenante au Y des femmes. « Ces stéréotypes, poursuivit-elle, sont partout… autant sur Netflix que dans les publicités. »

Tout au long de la semaine, les intervenantes ont tenté d’identifier avec le groupe quels étaient les stéréotypes et comment il était possible de les repérer, tout en générant une conversation positive et ouverte au dialogue. Cette manière de procéder a eu des effets bénéfiques et a généré de belles discussions honnêtes entre les jeunes et les intervenantes. Ensemble, parcourons ce qui est ressorti de cette série d’ateliers.

Des stéréotypes qui concernent les femmes et surtout la diversité
C’est Theryanne, étudiante au secondaire, qui a répondu en premier à la question :
« Êtes-vous capables de reconnaître des images récurrentes et des stéréotypes ? Si oui, sauriez-vous nous en nommer ? » 

« C’est sûr que si je me fie par exemple aux médias plus larges, comme Netflix, je pense à la femme noire qui a souvent la bad attitude ou juste au phénomène du colorisme ; aux personnes noires qui sont dans la drogue, qui ont des problèmes avec la justice ; aux afro-Latines à qui on associe souvent une touche exotique et spicy ; à la communauté musulmane qui est presque toujours attachée au terrorisme ; aux Asiatiques qui vivent plus de racisme dernièrement à cause de la pandémie ; aux amis homosexuels qui sont toujours too much. »

Jiayin, étudiante au Cégep, ajoute que la notion de beauté irréaliste a tout à voir avec la construction des stéréotypes. « Je ressens beaucoup de pression par rapport aux images que je vois. Je sais que c’est un acte idiot, étant donné qu’une équipe complète de maquilleurs, de coiffeurs, etc. se cache derrière chaque mannequin. Mais je pense que c’est là la dangerosité de cette esthétique : on ne peut s’empêcher de se comparer bien qu’on soit conscient(e) de l’irréalisme des attentes. Ainsi, on assujettit la population féminine à une tentative (perdue à l’avance) de l’atteinte de la perfection, ce qui l’empêche de réfléchir à des choses plus importantes. »

Le colorisme et texturisme, des tendances répétées
Pour Aïda Laure, étudiante au Cégep, la question de colorisme est très importante pour elle : « Ce qui m’énerve, c’est qu’on associe souvent les personnes de ma couleur (métis) à une certaine forme de perfection. Comme si c’était le juste milieu. C’est d’ailleurs une chose que j’ai souvent remarqué dans les commentaires sur Tik Tok. Les gens écrivent qu’ils préfèrent le juste milieu, les light skin. Je me demande pourquoi est-ce que c’est ça le juste milieu et pourquoi c’est ça qu’il faut avoir ou atteindre pour être remarquée ou pour être désirée ? »

La notion de colorisme a d’ailleurs été le centre du troisième atelier donné par une des intervenantes du Y des femmes. En soulevant la tendance à vouloir blanchir les personnes de couleur, l’intervenante a reçu beaucoup de réactions de la part des participantes. Youveline, cégepienne, affirme ne pas se reconnaître dans les représentations des femmes noires qu’elle voit à la télé et dans les médias.

« Si tu as la peau plus foncée ou les cheveux plus crépus, j’ai l’impression que tu ne corresponds pas du tout à l’image d’une femme noire dans les médias et dans l’imagerie collective. En fait, ce que ça me dit à moi, c’est que je ne corresponds pas aux critères de beauté et j’ai l’impression que c’est un des impacts du colorisme… Quand on voit Beyoncé deux à trois teintes plus claires dans les publicités, ou encore des femmes métissées aux nez étroits et aux cheveux lisses, on finit par se dire que ces femmes ont été choisies et sont félicitées dans leur beauté parce qu’elles ont tout de familier avec les blanches. »

De son côté, Andrea, étudiante au secondaire, croit que les enjeux de textures se greffent aux enjeux de couleur. « Je remarque qu’à l’école, avec mes amies, quand une d’entre nous arrive un matin avec les cheveux lissés, toutes les filles ensemble nous la félicitons de s’être mise belle. Et j’ai l’impression que ce n’est pas normal ou accepté, du moins, de se laisser les cheveux au naturel. Même mes amies de couleur, quand elles mettent des perruques lisses, elles sont perçues comme étant beaucoup plus belles. Je trouve ça dommage de voir qu’on valorise autant les cheveux lisses alors que les cheveux crépus sont tout aussi beaux. Et à la télé, c’est ce qu’on voit… Je veux dire même moi, depuis que je suis petite, à la télé ce que je vois ce sont des femmes aux cheveux lisses, droits ou avec un peu de volume… dans tous les cas, ce sont toujours des cheveux sans imperfections et je me dis que si on grandit en voyant tout le temps ce modèle, on va finir par penser que c’est ça qui est beau, pas le reste. »

Des responsabilités à prendre du côté des créateurs d’images
Nous avons posé la question, à savoir si les jeunes se reconnaissaient dans les médias, et la réponse a été quasi unanime : on ne voit que trop rarement des cheveux naturels et imparfaits ; on remarque que certains aspects culturels sont évacués des personnages au profit d’une mise en place de raccourcis (on pense à la femme latina très exotique, par exemple) ; et qu’un traitement blanchissant est opéré dans la représentation des gens de couleur. Jiayin a affirmé qu’elle aimerait voir plus de gens qui lui ressemblent dans les médias : « Je ne me reconnais presque jamais dans les publicités et les médias même lorsqu’on tente de représenter mon ethnie. Je note parfois des similitudes d’une publicité à l’autre, car on dresse un portrait similaire des personnes asiatiques sur toutes les plateformes, ce qui empêche les individus au sein d’une même communauté d’avoir des personnalités ou des caractéristiques différentes. Cependant, je tiens à dire que je peux parfois me reconnaître dans des annonces dont le but n’était pas de me représenter moi ou mon ethnie, et que c’est le genre de contenu que j’aimerais voir plus souvent. J’aimerais qu’on présente plus de gens différents parce que c’est ce qui est le plus près de la réalité. »

La jeune femme ajoute finalement que « les agences de publicité et les marques jouent un grand rôle dans la transmission des valeurs de la population, comme l’ouverture d’esprit et la tolérance. La preuve, c’est que les statistiques montrent que la diffusion de publicités avec des comportements de pratiques dangereuses sur la route, telles que l’excès de la limite de vitesse, accroît le nombre d’accidents d’auto. Si on applique cette logique à la représentation, les publicités qui dépeignent mal les communautés minoritaires joueraient probablement, et à long terme, un rôle important dans la perpétuation du racisme. Les publicités sont, ou jouent le rôle du moins, de la propagande moderne : elles ont une énorme influence sur la population et doivent travailler à représenter fidèlement les différents groupes au sein de la population visée, à mon avis. »

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Retrouvez-nous demain pour le dernier article de cette campagne du Y des femmes !

La discussion entourant le sexisme et les stéréotypes en publicité se termine demain par une entrevue avec la conceptrice-rédactrice et auteure, Chris Bergeron, qui apporte l’idée de représentation responsable plus loin et qui invite les publicitaires à bouger au même rythme que la société.