J’offre ici quelques commentaires et précisions en réaction au débat soulevé par l’article de Geneviève Morin, intitulé «Est-ce que l’université forme adéquatement les travailleurs.euses de demain?».

Les carences et doléances de la relève en communication marketing sont un problème multifactoriel, mais pas si compliqué qu’on ne puisse en résumer ici les principales causes et solutions, lesquelles interpellent trois catégories d’acteurs.

Premier acteur : l’industrie de la communication marketing
Elle a surtout besoin de techniciens, sensiblement moins de technologues et très peu de professionnels. La différence entre les trois tient à leur formation, qui détermine leurs compétences, et au degré de responsabilité qu’ils peuvent endosser. Les techniciens et technologues sont formés par les collèges et les cégeps, les professionnels par les universités. Si l’industrie souhaite que notre système d’éducation forme plus de techniciens et de technologues qualifiés, elle aurait avantage à se concerter pour négocier avec les collèges et les cégeps le développement et la promotion de formations appropriées. Si elle veut avoir accès à plus de professionnels spécifiquement compétents en communication marketing, la concertation doit se faire avec les universités. D’autre part, l’évolution rapide des technologies a pour corollaire l’obsolescence rapide des savoirs techniques des employés. Pour contrer ce phénomène, l’industrie peut investir dans la formation continue ou renouveler fréquemment son personnel.

Le taux de roulement historiquement très important des agences dans cette industrie, leur très faible encadrement et leurs planchers salariaux sont révélateurs des stratégies prédatrices que la plupart des agences privilégient et qui sont bien connues. Elles misent sur un maximum de jeunes employés, très faiblement rémunérés mais chèrement tarifés, capables de se former sur le tas, par eux-mêmes, et tant et aussi longtemps qu’ils seront capables de maintenir leur compétitivité à l’emploi. Elle recrute aussi dans tous les milieux, pas seulement pour enrichir sa créativité de points de vue et de savoirs variés mais aussi parce qu’elle a un taux de roulement qui interdit de penser que les programmes de formation en communication marketing suffiront jamais à combler ses besoins pour de la main d’œuvre fraîche. L’aura de prestige et de créativité, et la promesse d’une ambiance de travail dynamique et décontractée suffisent à maintenir l’attractivité d’une industrie malgré ses conditions de travail qui situent la plupart de ses entreprises au niveau de start-ups éternellement bloquées en phase de démarrage. Les agences se justifient en avançant, en partie avec raison, que c’est surtout chez elles que se forme la relève de l’industrie, ce que confirme le fort pourcentage de transition des employés des agences vers les entreprises et organisations clients.

Deuxième acteur : les universités
Elle sont les institutions d’enseignement prises à partie dans le débat. C’est la formation fournie par deux départements (celui de marketing et celui d’information et communication) qui sont mis en cause par la relève étudiante. Au baccalauréat, la taille des groupes, qui détermine la capacité d’encadrement, les objectifs de la formation, qui déterminent les compétences des professeurs qu’on engage, ainsi que la part des revenus obtenus pour chaque crédit d’étude, qui détermine notamment la capacité à engager des chargés de cours capables de dispenser les savoir-faire les plus à jour, ne permettent pas de dispenser tous les cours spécialisés auxquels s’attendent la relève et l’industrie. Les mêmes raisons expliquent pourquoi c’est seulement au deuxième cycle que l’on retrouve les programmes spécialisés susceptibles de satisfaire les attentes.

Le découpage des territoires d’autorité entre les départements de marketing et d’information et communication ajoute à la complexité du problème. Comme à peu près tout le monde, la majorité des étudiants qui s’inscrivent en marketing confondent cette discipline avec la communication. Le marketing, c’est la mise en marché, et ceux qui étudient dans cette discipline découvrent surtout, pendant trois ans, les joies de la gestion des prix, des produits et des réseaux de distribution, et n’auront droit qu’à quelques cours en communication car l’essentiel des savoirs en la matière relèvent du territoire des départements d’information et communication. Les étudiants en marketing sortiront du baccalauréat avec la conviction, ferme mais erronée, qu’ils sont des communicateurs. Les départements d’information et de communication, eux, ont un problème de focus, comme leur nom permet de le deviner, et qui découle du fait que, historiquement, ils ont été progressivement bricolés pour se constituer une masse critique d’étudiants et de professeurs. Ces départements ont des baccalauréats surtout conçus pour former des chercheurs, de sorte que moins de la moitié de leurs cours sont consacrés à la formation professionnelle, et pour des emplois aussi différents et antithétiques que sont le journalisme, les relations publiques et la publicité.

On peut se demander pourquoi les universités ne travaillent pas davantage à faire comprendre les distinctions entre techniciens, technologues et professionnels, entre marketing et communication, et à corriger les attentes sur ce que le baccalauréat peut offrir en termes de formation professionnelle en communication marketing. Quant à l’industrie, si elle souhaite vraiment que les universités forment des bacheliers avec plus de compétences en communication marketing, elle doit s’investir davantage dans la création et le soutien de filières spécifiques au premier cycle, comme les écoles universitaires de formation professionnelle. On peut toutefois douter de l’intérêt de l’industrie pour une plus grande professionnalisation des communicateurs.

Troisième acteur : les bacheliers
Ils sont formatés depuis le primaire à obtenir les meilleures notes, moyennes et cotes possibles, parce que c'est ainsi que les établissements scolaires évaluent leur valeur intellectuelle : comme une valeur marchande. Bien qu’aucun employeur ne demande jamais à voir leur bulletin, tout l'écosystème scolaire incite les étudiants à améliorer leurs notes, ce qui a un effet pervers dans les programmes qui ne les obligent pas à choisir une concentration. Cette latitude en incite beaucoup à papillonner d’une concentration à l’autre, choisissant leurs cours moins en fonction de leur degré de pertinence que de leur degré de facilité perçue. Il s’ensuit que le jugement sévère que les finissants portent sur la complétude de leur formation professionnelle est en partie tributaire de leurs choix autodidactes que les départements autorisent.

La formation professionnelle offerte n’est pas si lacunaire que l’on se l’imagine. Dans mon département d’information et communication, à l’Université Laval, les cours dont on déplore l’inexistence sont en réalité suivis par les étudiants inscrits dans la concentration publicitaire: gestion de projets et d’agence, création de contenu, création publicitaire, placement média, enjeux et usages de l’intelligence artificielle en communication, pour ne nommer que ceux-là. L’attrait d’une formation à la carte est renforcé du fait que la plupart des étudiants ne savent pas encore ni ce que l’industrie peut leur offrir comme emplois ni ce qu’ils veulent faire, et du fait que l’industrie ne cesse de signaler à quel point elle valorise la polyvalence de ses employés. Bref, pour les étudiants, le baccalauréat est moins l’antichambre du marché du travail qu’une étape de découverte de soi.

Les carences de la formation professionnelle en communication marketing ne sont donc pas qu’un problème de perception, mais aussi, ironiquement, un problème de communication.