Ça prend un certain degré de folie pour décider de faire sauter sa carrière après avoir passé les 20 dernières années à la construire. De reculer l’horloge et de réécrire son histoire. De complètement fourrer son profil LinkedIn. Et c’est exactement ce que j’ai fait il y a un an, jour pour jour.
Octobre 2020. On vit déjà le début de ce tsunami que les médias ont nommé « la grande démission ». Pour ma part, j’annonce à Tam-Tam/TBWA mon départ du poste de directrice, planification stratégique… En plus de quitter définitivement l’industrie. La raison de ce départ avait été grandement partagée : au début de la pandémie, mon père est décédé de la COVID-19 et des complications en lien avec son cancer, seul dans sa chambre d’hôpital. Un événement traumatisant pour notre famille. Ce traumatisme, ajouté au stress des demandes de mon rôle de stratège qui nécessite d’être omnibranché à l’actualité pour accompagner nos clients (dont plusieurs étaient des OBNL qui ont subi directement des impacts de la pandémie), était de trop pour mon cerveau. La masse grise qui me permettait d’exceller à mon poste, de créer des liens entre « datasets » pour trouver une histoire porteuse, et de fonctionner normalement comme adulte et parent était endommagée.
J’ai dû faire un arrêt total.
Un redémarrage du système. Safe mode, activé. Halt and catch fire.
Au printemps 2021, 42 % des Canadiens sondés par le Centre canadien pour la mission de l’entreprise songeaient à changer de carrière. Pour plusieurs, c’est leur santé mentale qui devenait d’autant plus prioritaire dû à cette pandémie. Ça prend donc effectivement un peu de folie pour décider de mettre une bombe dans sa carrière. Le Larousse définit la folie d’une part comme un dérèglement mental, un manque de jugement, ou une idée déraisonnable ou excessive, et de l’autre part un engouement, une passion, un vif penchant pour quelque chose. Quand j’ai pris la décision de quitter ma carrière, je savais très bien que je ne pouvais pas échanger quatre 30 sous pour une piastre. Comme je ne pouvais pas demeurer stratège en agence pendant la pandémie et m’attendre à guérir, j’ai opté pour l’audace. J’ai décidé de pousser la pendule de la folie d’une extrémité à l’autre, du dérèglement mental vers la passion.
À travers le coaching et la thérapie, j’avais découvert à quel point la créativité était un remède puissant pour ma condition cérébrale et que, pour guérir, je devais changer la proportion de input (informations) versus output (créativité) dans mon quotidien. C’était de plus en plus évident que la nature de ma carrière agissait contre mon bien-être dans le contexte actuel. Même si j’adore la stratégie et que je suis incapable de ne pas penser stratégiquement.
Comment fait-on pour tirer la plogue sur ce qui, pour plusieurs, fait partie de notre identité ? Heureusement, je n’avais pas activé ma démolition professionnelle sans aide. J’avais un clan et un plan. (Cue la musique.)
Mon clan:
- Moi, d’abord, car j’étais la seule qui pouvait assurer mon succès
- Ma famille
- Un petit réseau d’amis proches, et un plus gros réseau d’ami.es professionnel.les
- Une équipe thérapeutique et médicale
- Une équipe de développement professionnel
Mon plan :
- Planifier financièrement un arrêt de travail de trois mois* (j’en ai pris deux en fin de compte)
- Éliminer les stressants et les obligations superflues (passer en mode MVP)
- Équilibrer le repos régénérateur, la méditation et l’activité physique
- Investir dans de l’introspection et de l’apprentissage sur soi
- Avoir des conversations avec des êtres humains et rire ensemble (vive les walk-and-talk)
- Faire de la thérapie cognitive
- Joindre une cohorte de peer-coaching pour planifier le futur
- Bien manger, boire de l’eau et prendre des vitamines
- Coller ma famille et mon chien pour des petits boosts d’ocytocine
- et surtout, surtout, surtout : créer tous les jours
Ce processus de destruction créative a créé l’espace nécessaire pour voir naître le projet qui me permettrait de me reconstruire. Depuis l’été dernier, j’écris une toute première série télé basée au 17e siècle qui explore le meurtre d’un matelot sur le navire d’un des hommes les plus notoires de la Nouvelle France. Malgré mes études en scénarisation, voilà deux décennies que je n’avais pas mis mon crayon à l’œuvre. Cette expérience, à la fois effrayante et revitalisante, me permettrait non seulement de concentrer mon temps et mes efforts sur la création de quelque chose qui m’intéresse, mais surtout, de tisser un lien encore plus serré avec ma famille. À travers les recherches généalogiques nécessaires pour le développement de la série, j’ai redécouvert une passion que je partageais avec mon père et mon grand-père. Cette expérience cathartique m’a permis de mieux vivre un deuil difficile de façon constructive, en plus de donner une raison d’être à cette année traumatisante. Ça m’a surtout donné le goût de renouer avec ma passion pour le storytelling et de trouver une manière de continuer dans cette direction tout en générant des revenus et de la valeur. Avec l’aide de mon réseau, j’ai réintégré l’industrie du divertissement en mettant à profit mes talents de communicatrice pour un studio d’animation à temps partiel, le tout sans jamais cesser de créer pour moi-même.
Une série en est devenue deux (une histoire d’amour et d’assassinat à l’Expo 67, toujours inspirée par ma famille), puis est ensuite venu un troisième projet qui fusionnerait mes passions pour les marcomms, la communauté, et le storytelling, le tout dans un diagramme de Venn conçu sur mesure pour moi.
C’est donc avec confiance que j’entame le prochain chapitre de ma jeune vie de 41 ans. L’objectif ? Diviser équitablement mon temps, passer d’employée à entrepreneure et conférencière, en plus de continuer à créer des histoires percutantes avec une équipe à mes côtés, tout en aidant les marques à trouver leurs propres histoires.
Certains diront que j’ai trouvé mon ikigai ou mon hedgehog.
Je leur réponds simplement que je me suis recyclée. J’ai pris ces mêmes parties qui me composent, mais je les ai arrangées pour mon bénéfice plutôt qu’à mon détriment. C’est quelque chose qui aurait été impossible sans cette dernière année d’auto-destruction.
Est-ce que je recommande ce plan drastique à tout le monde ? Pas pantoute. Le facteur risque de faire exploser sa carrière est élevé. Ça prend un généreux brin de folie, une confiance et un dévouement fou envers soi-même.
Mais si mon père m’a appris une chose, c’est qu’on a seulement une quantité limitée d’heures sur cette planète et que notre impact est mesuré par les histoires qu’on laisse derrière. Si on ne veut pas passer sa vie à regarder par la vitre de nos fenêtres et de nos écrans, il faut les créer nous-mêmes, ces histoires.
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*Si vous êtes confronté à un arrêt de travail et que votre plus gros obstacle est votre revenu, communiquez avec le BEC ou le.la responsable du programme d’aide aux employé.es de votre employeur ; iels pourront vous diriger vers des ressources.