Le 29 juillet dernier, le Grenier aux nouvelles lançait un appel aux témoignages sur ses réseaux sociaux en prévision d’un article portant sur la culture du viol dans le domaine des communications. Nombre de récits nous ont poussés à élargir l’angle d’approche pour mettre en lumière une culture plus large : celle de l’abus. Dans un souhait d’identifier ces actions toxiques, sournoises et trop souvent normalisées, nous vous partageons ces histoires. 

Abus : usage mauvais, injuste ou excessif d’une chose, d’un pouvoir, d’un droit.*

Une nouvelle vague de dénonciations se rapportant à des abus sexuels, mais aussi de harcèlement psychologique, de violence physique, d’intimidation et d’abus de pouvoir, déferle en ce moment sur les réseaux sociaux, emportant avec elle son lot de bourreaux. Le milieu des communications n’y échappe pas, comme nous l’ont témoigné en toute confidence certaines victimes.

« Petite agence de pub. Un patron hyper contrôlant, narcissique, menteur, qui a réussi à me faire brailler à ma troisième journée en poste. Son adjointe qui vient me voir pour me donner son soutien… et me dire d’être forte, de ne pas trop m’en faire, parce que nous y passions toutes et tous. Dégueulasse. »

« Boîte de production événementielle. À ma première journée de job, des collègues femmes viennent m’avertir qu’untel et qu’untel ont les mains longues. Me dire de me méfier de leur présence. J’ai vu des filles en être victimes de ces collègues, tout ça toléré, au vu et au su de plusieurs, dont moi. »

« Plateau de télévision. Un producteur intimidateur, manipulateur, qui n’hésitait pas à mentir pour diviser et, souvent, humilier. Pour ensuite te charmer, te faire sentir momentanément importante... et te refaire trébucher de plus haut par la suite. Un comportement toxique et cyclique qui m’a valu des mois de reconstruction pour réintégrer le milieu du travail. »

INSIDIEUSES

Des témoignages, donc, que nous partageons de façon anonyme, qui se multiplient aussi sur différentes pages Instagram depuis plusieurs semaines. Et qui ne se limitent pas qu’à des agressions de nature sexuelle, lesquelles se regroupent généralement sous l’appellation culture du viol. « Suite aux récentes dénonciations, le bec a réalisé que la culture de l’abus serait une expression plus juste, affirme Valérie Charest, gestionnaire du Bénévolat d’entraide aux communicateurs. L’abus peut être sexuel, mais aussi physique et psychologique. L’impact sur une victime est similaire, quelle que soit l’agression. Et dénoncer cette culture de l’abus est hautement difficile, car la ligne n’est pas toujours tracée de manière claire. La perception des gens sur la violence psychologique n’est pas unanime et la peur demeure notre plus grand blocage. »

Les nuances de l’abus peuvent être effectivement insidieuses.

« Tournages pour une série de publicités dans les années 2000. C’était dans mes premières expériences comme assistante alors que j’étais encore à l’université. Une productrice était sur mon cas, je n’ai jamais su pourquoi. Des remarques déplacées à mon égard devant les clients, devant l’équipe. Elle m’adressait des demandes humiliantes (lui faire un massage, me faire recommencer un café cinq fois) alors que je n’avais même pas à être en interaction avec elle. Je me suis longtemps sentie coupable d’avoir été inadéquate. On m’a répété que j’aurais dû trouver la force de la confronter. J’en étais juste incapable. »

« Plateau de tournage. J’étais la fille one of the boys d’une équipe de machinos qui se la jouait tough, mais que je gardais en respect parce que j’ai une grande gueule. Un jour, un nouveau collègue arrive en remplacement : un jeune homme timide, portant un surplus de poids. Les quolibets sournois, mais toujours cruels à son égard (ma belle tite-bouboule, mon petit carré de suif) déguisés en mots doux ont débuté et se sont répandus comme une traînée de poudre sur le plateau. Il est resté avec nous trois semaines, silencieux, et je sais aujourd’hui qu’il en a souffert beaucoup. Ce qui semblait bêtement anodin sur le coup était en fait une crise qui aurait dû être rectifiée. »

EN QUÊTE DE SAFE SPACE

La culture de l’abus dans le milieu des communications (comme partout ailleurs) n’a pas de discernement quant à l’espace où elle s’installe.

« Super belle boîte de pub. Une équipe respectueuse dont je fais partie depuis quatre ans. Et, hop ! Une personne toxique fait son entrée dans la gang. Je ne la détecte pas tout de suite, mais des employés à moi me font des allusions voilées quant à ses comportements abusifs et narcissiques. Je suis au-dessus de cet individu dans la hiérarchie : il est donc continuellement mielleux avec moi. Et efficace. Je n’ai rien à lui reprocher. Mais je vois le moral et le rendement de certains péricliter. Je sens que quelque chose ne tourne pas rond. Les gens sont mal à l’aise de m’en parler. J’ai finalement découvert à quel point cet individu avait réussi, en quelques semaines, à instaurer un climat toxique. Il faut être à l’écoute de tous les petits signes et ne jamais hésiter à les communiquer. »

Même chose dans les cadres scolaires.

« J’ai étudié en communication, et je pense qu’il est important de dénoncer le grooming qui se passe d’entrée de jeu à l’université. Il y’a quelques années le département de communication a choisi de ne plus financer les Jeux de la comm. suite à des allégations de viols liées à une autre délégation. Les critères pour participer aux Jeux n’avaient aucun secret lorsque j’étais à l’université : si le but était de former une équipe basée sur les compétences, la réalité de la sélection était toutes autres. Les entrevues étaient plutôt basées sur le physique, la couleur de peau... J’ai des souvenirs de conversations très claires auprès de personnes de mon programme ayant tenté d’être sélectionnées en se préparant à répondre à des questions sur leurs compétences pour finalement se faire évaluer sur leur tolérance à l’humiliation. »

SUPPORT ET RESSOURCES

Pour celles et ceux qui souhaiteraient mettre fin à des situations d’abus discrètes comme ostentatoires, des ressources existent. Des lois aussi. « Depuis le 1er janvier 2019, tout employeur doit rendre accessible à son personnel une politique de prévention du harcèlement psychologique et sexuel en milieu de travail et mettre en place un processus de traitement des plaintes, le tout conformément aux nouvelles dispositions de la Loi sur les normes du travail, nous dit Dominique Villeneuve, présidente-directrice générale de l’A2C. De plus, une série d’autres ressources (dont le bec, mentionné plus tôt) existent pour permettre à quiconque de notre industrie d’aller trouver l’aide nécessaire pour s’extirper d’une situation d’abus [NDLR : voir la liste en fin d’article]. À cet effet, l’A2C offre d’ailleurs un atelier sur l’éthique et la prévention du harcèlement en milieu de travail le 15 septembre prochain. Cette formation viendra aider tout gestionnaire à être mieux formé sur le sujet, reconnaître les signes et les mécanismes de protection et d’action qui favorisent un milieu de travail inclusif et respectueux. Ces ressources sont gratuites. Il ne faut jamais hésiter à les utiliser. »

Vous êtes victimes d’abus en milieu de travail où êtes témoins de situations qui commandent une intervention? Quelques liens utiles :

Clinique Juripop : https://juripop.org/
L’Aparté (domaine culturel ou de production) : https://www.aparte.ca/
Le bec : https://le-bec.org/

Si vous êtes prêts ou prêtes à parler, la ligne d’aide du bec offre un soutien psychologique avec des professionnels. Elle est ouverte 24/7, gratuite et confidentielle. Il suffit d’appeler au 1-888-355-5548, des intervenants évalueront vos besoins et prendront rendez-vous avec un professionnel.

Si vous ne vous sentez pas prêts ou prêtes à en parler, une bibliothèque en ligne de vidéos et de conseils gratuits existe. Il y a un module spécifique sur la violence sexuelle (information essentielle à propos de l’agression sexuelle, le consentement, et comment offrir le soutien à une victime.)

Pour se connecter : https://nabsbec.lifespeak.com/welcome
Mot de passe pour accéder au compte de groupe : lifespeak

*Définition : Antidote.

Abus

Illustration : Marie-Eve Turgeon