L’arrivée des beaux jours miroite un semblant de vie qui flirte moins avec la dystopie. Et pourtant, les bourgeons qui se ragaillardissent et les oiseaux qui gazouillent cui-cui jurent avec la réalité pandémique. En avril dernier, le Grenier a sondé plusieurs figures du milieu de la communication pour connaître ce qu’elles avaient vraiment sur
le « chest » depuis le début du confinement. Les échos de l’industrie oscillaient entre espoir, fatigue et incertitude. Gratitude aussi, de savoir que quelqu’un, quelque part, lui demande « comment ça va pour vrai ». L’univers de la comm est peut-être petit, mais on n’a pas pu échanger avec tout le monde ! On a donc répété l’exercice. Une fois de plus, revue en toute transparence sur ce que vit l’industrie : petites boîtes, plus grandes boîtes et freelancers.

Chaque semaine durant le mois de mai, le mardi et le jeudi, le Grenier a diffusé sa série « Comment ça va pour vrai chez... ». La version longue a été publiée dans le magazine le 25 mai dernier.  

L’importance de la santé mentale

Joint par Zoom alors qu’il vit son confinement à son chalet à Mont-Tremblant, Vincent Fortin, président de Republik, se considère chanceux de pouvoir avoir son lifestyle de fin de semaine en tout temps. Ce qu’il trouve plus pénible, c’est de savoir que ce n’est pas facile pour tous. « On a des gens qui n’ont pas de chums/blondes et qui se retrouvent seuls à la maison où tout est virtuel. Dans notre milieu, il y a des créatifs qui tirent leur énergie des humains qui les entourent, alors c’est difficile quand il n’y en a pas ».

Jean-Philippe Shoiry, chef de la stratégie et associé chez Republik, était à l’extérieur lors de notre appel Zoom. Il venait de compléter un défi pour l’agence. Parmi la panoplie d’activités pour garder le moral des troupes chez Republik, un concours d’activités physique où les pointages sont répertoriés sur un site !

Comme bien des agences, la boîte essaie de  virtualiser ce qu’elle faisait déjà physiquement. Ainsi, le lundi, c’est jour de yoga et le mardi et le jeudi, place à la Salle à manger Republik, où les employés peuvent se connecter à une salle à manger, par groupe de 4. « Ça permet aux gens d’avoir un vibe d’être 3-4 à manger ensemble pour avoir des conversations un peu plus profondes », explique Vincent. Le mercredi, l’agence organise un 5@7 plus introspectif. Pour finir la semaine, les associés se retrouvent pour un State of nation afin de discuter de la revue globale de l’agence à l’ensemble de l’équipe. Les anniversaires ne sont pas oubliés non plus : on les souligne avec un gâteau envoyé à l’attention des fêtés.

JP Shoiry et Vincent Fortin
Jean-Philippe Shoiry, chef de la stratégie et associé et Vincent Fortin, président, Republik 

Éternelle optimiste, Rachelle Claveau, présidente de Publicis, nous dit d’entrée de jeu qu’elle voit le verre d’eau extrêmement plein, ce qui pourrait « teinter ses réponses un peu ». Elle revenait tout juste de rendre visite à sa mère — à distance — pour lui porter des courses, au moment où on s’est parlé. Rachelle se dit fière de son équipe, qui besogne très fort. « Il y a beaucoup de belles choses qui ressortent de la crise en ce moment, notamment l’engagement de la part de mes employés. Le monde travaille bien et s’est adapté selon les circonstances. On fait de belles campagnes, on pitche, on gagne. Il y a du bon, mais c’est sûr que ce n’est pas facile ».

Racehelle Claveau
Rachelle Claveau, présidente, Publicis
Crédit photo : Yanick Déry

« Je te dirais que la santé mentale des individus est un enjeu majeur, dit Jean-Philippe. Mon partner Vince et Martin, notre responsable de la culture, travaillent très forts pour essayer de briser l’isolement. On a des employés en colocation dans un 4/12. C’est difficile de vivre au niveau personnel et humain ». Chaque deux semaines, en vue de protéger la santé mentale de l’équipe, Vincent prend le temps de parler avec ses employés, en one on one.

« Maintenant, nous sommes tous adaptés à la nouvelle réalité et la vie continue, nous dit Rachelle. Tous les matins, on est au poste, on se parle et on continue de travailler. Le club social est encore très actif chez Publicis. On fait toutes sortes de défis (RIRES) et on organise des 5@7 à distance. Il faut protéger l’espace mental ».

Not business as usual, mais fidèles au poste

La présidente de l’agence nous confirme que la « vibe » chez Publicis est positive.
« Je sens une solidarité. Les gens s’entraident et sont présents. C’est dans les temps difficiles qu’on voit les vrais joueurs et toute ma gang est fidèle au poste. C’est très touchant : je suis contente de pouvoir compter sur des gens comme ça ».

Puisque Publicis avait déjà une politique de télétravail (mais pas à la même fréquence !) la transition n’était pas un choc pour l’équipe. « Au début, le mot d’ordre n’était pas de communiquer, mais de surcommuniquer, autant pour nos clients qu’entre nous ».

« Pour nous, indépendamment des mesures gouvernementales, qui vont sûrement prôner le télétravail pendant plusieurs mois, on va adopter certains learnings de cette pratique-là », divulgue Jean-Philippe. Comme il nous l’explique, Republik avait déjà une politique de télétravail aussi, mais l’agence misait surtout (et beaucoup) sur une culture d’entreprise où les gens sont ensemble. « On a investi dans notre bureau, dans nos activités d’équipe et on voulait vraiment que tout le monde soit là de 9 à 5. On a bâti une super belle culture d’entreprise et ça fonctionne bien, mais présentement on est à l’autre côté du spectre où personne ne se voit et personne n’est au bureau. Ça nous teste beaucoup, mais on est quand même capable de mettre des choses en place pour continuer à bâtir cette culture-là et la garder bien active ».

Au début de la crise, comme Publicis travaillait sur la livraison d’un important pitch, elle était un peu dans le déni. Bien que les bureaux étaient vides dès le 13 mars, plusieurs personnes impliquées sur le pitch continuaient de s’affairer sur le projet dans les locaux de l’agence. « Je pense qu’on a tous pensé que c’était plus temporaire que ce l’était », admet Rachelle. Elle qui avait l’habitude de régler des pépins au bureau en se baladant dans l’agence, a trouvé difficile de gérer son temps. « Normalement, plusieurs situations peuvent se régler à travers des contacts plus organiques dans l’agence. Je me promène, je parle aux gens. Là, il fallait booker des meetings, des appels, des vidéoconférences et ça devient séquentiel. Je travaillais de 6 h à 23 h et les fins de semaine, je travaillais sur des pitchs ».

Le chef de la stratégie de Republik nous indique que les 2 premières semaines, l’agence baignait dans l’incertitude. Puis, les choses se sont bien replacées les semaines subséquentes. « On a de nouveaux clients et de bonnes nouvelles. On a pratiquement réembauché presque toutes les personnes qu’on avait été obligé de mettre à pied temporairement. Je ne dirais pas le terme “business as usual”, car ce n’est vraiment pas le cas (RIRES), mais au niveau opérationnel, on continue de bien desservir nos clients ».  

Remonter la pente

« JP et moi gérons une croissance depuis 3-4 ans. On n’a jamais senti d’essoufflement d’entreprise. Et là c’est arrivé du jour au lendemain — ça te rappelle que tu n’es pas invincible. En tant qu’entrepreneur, lorsque tu as un défi à surmonter, tu prends le contrôle pour passer à travers, mais en ce moment, le plus difficile, c’est la perspective qu’il n’y a pas de vaccin. On ne sait pas comment ça va recommencer. Comme on n’a jamais vécu ça, on ne savait pas comment réagir ». Vincent a donc appelé d’autres CEO dans l’industrie, dont Sébastien Fauré, chez Bleublancrouge.
« Ils en ont plus que moi derrière la cravate, alors je leur ai demandé des trucs pour essayer d’aiguiser mes propres réflexes. Ça a été bon pour nous ».

Financièrement, Publicis a pris une « claque » comme bien d’autres entreprises, nous dit Rachelle

« Reculer en entrepreneuriat c’est difficile, avoue Vincent. Parfois, tu restructures pour mieux rebondir, mais dans une perspective de conjoncture, tu restructures parce que c’est nécessaire économiquement, mais pas nécessairement parce que c’était la meilleure chose pour la compagnie. Ton plan stratégique sur 3 ans d’avant-crise devient ton objectif dans 1 an ou 2 ans ». Le président de Republik estime toutefois que l’agence est chanceuse. « On était chanceux d’être dans une situation financière qui était déjà bonne, ce qui nous permet aujourd’hui de passer au travers, mais surtout d’arriver à la fin de cette crise avec une bonne posture financière pour être prêt pour la relance ».

« Ces temps-ci, on voit passer des quotes comme “never waste a crisis”, comme quoi dans les plus grosses crises, il y a de grandes opportunités, soulève Jean-Philippe. En temps de crise, les messages et les valeurs B Corp deviennent plus mainstream. Les marques doivent démontrer leur utilité, leur pertinence, rester proches de leurs employés, de leurs clients, et de leurs fournisseurs, et ultimement, cette crise devrait nous aider à amener ce message à un autre niveau et aider les marques à se positionner pour la suite », conclut-il.