Comment ça va ? 
J’espère que vous allez bien en ces temps difficiles… 
Stay safe! 
Courage. 
On lâche pas ! 
Prenez soin de vous et de vos proches. 
... 

Les échanges de courriels se multiplient, se suivent et se ressemblent. Derrière ces formules de politesse préconçues, on souhaite indubitablement que l’humain à qui s’adresse le mail va « correct » vu les circonstances pandémiques. Avec les mesures inédites de prévention à la COVID-19, la nouvelle réalité engendrée peut être difficile à adopter – et à s’y adapter. Avant le long-week-end pascal, on s’est entretenu avec le bec afin de connaître l’impact psychologique de la crise sur nos collègues. Deux semaines plus tard, on a eu envie de leur demander « comment ça va pour vrai ». Tour d’horizon en toute transparence (et en mix-feelings) sur ce que vivent depuis le commencement de la crise les grosses agences, les plus petites boîtes et les pigistes. Douze minutes de lecture ahead pour prendre des nouvelles de vos consœurs et confrères.

Chanceux dans la malchance

Marie-Sarah Bouchard, conceptrice-rédactrice et cofondatrice de La Cursive, nous confie qu’elle se sent un peu coupable de le dire, mais elle va très bien. « Comme je suis habituée de travailler de la maison, mes habitudes ne sont pas bouleversées outre mesure ». Au début de la crise, elle se trouvait à Bali, où elle y faisait du télétravail. Déçue de devoir couper court à son voyage de pige, Marie-Sarah peinait à y croire. Même lorsque l’un de ses principaux contrats du printemps a été annulé, elle admet n’avoir jamais ressenti de panique. « Je suis assurément dans une posture privilégiée et je le sais, du moins j’essaie de me le rappeler autant que je le peux. Ce n’est pas tout le monde qui a la chance de passer ses journées du printemps 2020 à faire de la Zumba dans son salon, à tester les recettes d’un nouveau livre de cuisine, à dévorer des romans et à se faire bronzer sur sa terrasse ».

Le président de Romeo & Fils, Martin Henri, va « très très bien ». Même s’il trouve désolant les nombreux ravages de la COVID-19, il voit cette crise « comme un énorme cadeau que nous fait la nature ». Pour lui, c’est une pause méritée, un temps pour se retrouver soi-même et ses proches. « Je n’ai jamais autant parlé à mes amis et à ma famille que même temps. Merci Zoom, Hang Out, House Party, Facebook Messenger, Facetime et tous les autres ».

Sonya Bacon, directrice générale de Kabane, va bien, et se considère sincèrement privilégiée de vivre le confinement avec son mari et son fils. N’empêche que sa fille, sa famille, ses amis et ses collègues de travail lui manquent terriblement. « On a beau faire des meetings Zoom, des vidéos sur Messenger, rien, absolument rien, ne remplace le contact humain ».

Journaliste et rédactrice pigiste qui avait établi ses pénates en Italie, Elisabeth Massicolli va bien et a conscience de son privilège. « Je suis en santé, je mange à ma faim, j’ai un toit au-dessus de la tête et j’ai encore un revenu, même s’il est moins élevé qu’il y a quelques semaines ». Celle qui voit sa motivation à rédiger décliner ces jours-ci se sent « paralysée ». « J’ai de la difficulté à accomplir des tâches qui, avant, me paraissaient faciles, voire agréables. Malgré tout, j’essaie fort de remettre mon travail à temps, et qu’il soit à la hauteur de ce que mes clients attendent de moi ».  

« Ce serait impossible de minimiser la gravité de cette pandémie et toutes ses conséquences, mais nous allons très bien dans les circonstances. Notre équipe et leurs familles immédiates sont en santé, de même que celles de nos clients, et en soi, c’est formidable », déclare Caroline M-Gauthier, vice-présidente exécutive, service-conseil et intégration globale chez Ogilvy. « En termes de travail, nous avons le privilège d’être occupés et nous préparons nos clients pour l’après, qui viendra plus vite qu’on pense, croit-elle. Ces dernières semaines nous ont appris à mieux prendre soin des uns et des autres – plus conscients que jamais de l’importance du rôle de chacun dans la bonne marche de nos opérations et dans la douceur de notre quotidien ».

Montagnes russes émotionnelles

Valérie Grig, présidente de Rugicomm, ainsi que ses VP et associées Joëlle Mauffette et Stéphanie Di Gregorio, nous racontent que c’est loin d’être facile de leur côté. Comme la plupart des entreprises, elles ont dû remercier leurs employées temporairement. « Depuis, nous assurons à trois le roulement de la compagnie. Au début, il y a eu beaucoup de gestion de crise à faire pour nos clients, ce qui nous a quand même donné beaucoup de travail. D’un autre côté, il y a aussi tous les tournages, les pièces et les événements pour lesquels nous travaillions qui ont été annulés ».

Du jour au lendemain, l’agence a perdu maints contrats. Malgré cela, les trois acolytes s’appuient sur la force qui les unit depuis le début de leur association. « Nous avons chacune à notre façon, et au bon moment pour les autres, la résilience nécessaire pour passer à travers. Il y a eu un choc d’abord, mais depuis, nous sommes en mode solution. Le sentiment de tristesse, lui, est plus difficile à apprivoiser. On s’ennuie de nos employées et on a hâte de retrouver nos diners en gang ! ».

France-Aimy Tremblay, associée et productive exécutive chez Romeo & Fils, s’autorise de « gros up and down ». Au début de la crise, elle a plié bagage en moins de 5 minutes, a déserté la métropole pour aller retrouver les siens à Chicoutimi afin de s’isoler avec sa mère et s’occuper de ses grands-parents. Ces temps-ci, ses journées vacillent entre vouloir changer le monde, s’ennuyer de ses proches, se demander si tout ce qu’elle a bâti avec son entreprise les 7 dernières années subsistera à la crise, et l’immense fierté d’être Québécoise et de toutes les personnes qui sont au front à effectuer un travail acharné à sauver des vies. « Mon cerveau jongle avec tellement d’émotions en même temps que c’en est épuisant. Ma motivation s’en trouve affectée, mais j’essaie tout de même de rester forte et positive, mentionne-t-elle. Nous n’avons tellement pas le contrôle sur ce qui se passe que ça ne sert à rien de broyer du noir et d’attirer les énergies négatives. Je veux être forte pour mon entreprise, mes talents, mon équipe, mon entourage et surtout ma famille ».

Tout comme France-Aimy, Elisabeth passe d’un sentiment à l’autre en quelques minutes : « une véritable montagne russe de feelings ! ». « J’ai été déracinée de ma maison, en Italie, et de mon quotidien, en l’espace de quelques jours, sans avoir le temps de réaliser tout ce que ça impliquait. Mon retour à Montréal hâtif me remplit de gratitude, parce que je suis près des miens alors que des milliers de Canadiens sont pris à l’étranger, mais m’attriste aussi, puisque j’ai perdu un gros bout de ma vie, de mon identité en quittant mon pays d’adoption pour je ne sais pas combien de temps encore. J’alterne donc entre le choc, la tristesse, la gratitude, la peur, l’espoir ». Comme elle peut effectuer son travail depuis n’importe où, elle espère que « son aventure européenne reprenne plus tard ».

Au bout du fil, Alexandre Gravel, associé fondateur de Toast Studio, nous indique que ça va bien. « Ça va mieux, ajoute-t-il aussitôt. « Je suis passé de l’étape WTF à l’étape d’adaptation. Avec mon associé, on a pu remanier l’ensemble des opérations pour pouvoir continuer à fonctionner le mieux possible à la lumière de ce qui s’en venait ».

Au début de la crise, Martin a paniqué. « Cela a duré 3 semaines durant lesquelles, en position fœtale sur mon divan, je mourus d’angoisse en pensant à la survie de ma PME, à la perte de mes libertés sociales et à la possible mort de mes proches, se remémore le président de Romeo & fils. Puis, les épais nuages d’angoisse ont commencé à se dissiper assez pour que je puisse commencer à voir le cadeau immense que la nature venait de nous faire ».

« Ça va, on tient le coup, révèle Simon L’Italien, président de Kabane. Évidemment, ce n’est pas facile. Les petites joies deviennent de grandes joies, comme si on ouvrait une grande fenêtre. Par contre, les petites déceptions prennent beaucoup de place. Collectivement, je crois qu’on est un peu hypersensibles, à fleur de peau ». Simon dévoile que les premières semaines ont été sous le signe de l’adrénaline. « On agissait rapidement, presque en automatisme. Les événements se succédaient très hâtivement et on n’avait pas le temps de se poser ». Le président de l’agence reconnait que depuis deux semaines, la motivation est parfois plus difficile à trouver. « On sait qu’on s’en sort, et qu’on va en tirer des apprentissages précieux, mais on est tannés de parler de la COVID et on voudrait déjà être dans l’après ».

« On peut dire sans honte que la crise a été un vrai choc, poursuit-il. On a donc agi très rapidement, en mode survie. Il faut dire que plusieurs clients de l’agence ont malheureusement été frappés dès le départ : tourisme, sport, restauration, festivals, etc. On a donc rapidement compris que nous allions subir le contre coup. Et c’est ce qui s’est passé ».

« Ça va bien pour de vrai… pour l’instant, note Simon Laliberté, fondateur de Bangbang. La “nouvelle” réalité des prochains mois me fait un peu peur par contre ». Il trouve ardu de trouver les mots précis sur le déroulement des dernières semaines. « Assurément un mélange de déni et de tristesse si je considère que les efforts des années pour mettre en place un fonds de roulement raisonnable risquent de s’évaporer d’ici le retour à la “normale” ».

Andres Norambuena, PDG et associé de Blvd-Mtl, va à la fois mal, « parce que voir son taux d’occupation fondre de 50 % est une chute vertigineuse » et bien « parce que garder un taux d’occupation de 50 % par les temps qui courent c’est excellent ». Les « nouveaux problèmes » à l’horizon, selon celui est à la tête de la boîte, sont les horaires et la gestion de projets qui a augmenté. « Et avec l’augmentation de la gestion à distance, faire 1 $ prend maintenant 25 % à 50 % plus d’effort de gestion », dit-il.

Se revirer sur un dix cents

« L’équipe Romeo a fait plusieurs ajustements pour pouvoir offrir une façon de continuer à produire et à travailler en confinement. Dans ce genre de situation, il est primordial de se réinventer et de tomber en mode solution. J’espère que cette approche fera que nous pourrons continuer à confirmer des contrats, mais who knows », partage France-Aimy.

« Rapidement, les employés ont trouvé des solutions simples pour continuer à servir les clients à distance. Les 6 kits de microphone mobiles et de caméras simples nous permettent de servir n’importe quel projet, assure Andres. Sauf que les demandes viennent à toute heure du jour et pour livraison ASAP.

Les soirs et les week-ends chills sont disparus. Comme nous sommes dans une période de pub “momentum,” les clients veulent suivre l’actualité. On ne peut plus prendre 1 mois pour faire un spot. Nous avons une semaine gros max. Parfois 24 h plus tard on doit être en ondes. Bye bye soirs et week-ends ».

Malgré le choc de mauvaises nouvelles qui s’enchaînent depuis la mi-mars, Andres se dit surpris de la réaction des employés. « C’est eux, en équipe, qui ont tout mis en place pour que le studio soit fonctionnel à distance en 24 h. Contrairement au télétravail normal, les artistes ne travaillent pas sur leur ordi à la maison. Ils utilisent leur ordi à la maison pour contrôler les ordis du studio. Ainsi, ils peuvent tous utiliser la puissance du parc informatique de Blvd-Mtl ». Sur une note plus personnelle, il s’agit d’un retour aux sources pour lui. « Avec l’absence de mixeur, je prends le relais et je fais de mixes son comme dans le temps. Une chance que les shortcuts du logiciel n’ont pas changé de place ! ».

Le président de Toast Studio indique que toute son équipe et lui sont dans l’attente du déroulement de la relance et de la durée. Comme le studio était en fin d’année financière le 31 mars dernier, il était déjà à l’étape de prévision de budget. « La relance sera sûrement plus longue qu’on le souhaite et plus lente qu’on le désire, mais il faut se souvenir que c’est temporaire », expose Alexandre.   

Au fil du temps, l’état de choc éprouvé par Simon a laissé place à l’admiration envers ses employés, les clients et les collaborateurs de l’agence. « Ça m’a rendu très optimiste pour l’avenir. L’esprit d’équipe a été mis à l’épreuve certes, mais nous avons passé le test haut la main. Ça nous amène actuellement une énergie très positive qui nous amène à être très agiles, proactifs et innovants. Dans le fond on a toujours voulu agir de cette manière, mais on ne trouvait pas le temps », partage le président de Kabane.

« Si on peut voir le vrai caractère des gens à la façon dont ils se comportent en temps de crise, et bien, je ne pourrais être plus fière de nous en ce moment. Comme peuple, certes, mais aussi à plus petite échelle chez Ogilvy. Je suis impressionnée de la vitesse à laquelle nous avons pu réorganiser nos opérations, et de la façon que chacun de nos employés a embrassé cette nouvelle normalité en participant activement dans le processus », évoque Caroline.  

Ressentant beaucoup de fierté face au lot d’opportunités que l’agence a pu créer pour adapter son modèle d’affaires et tisser des liens au sein de l’équipe, la VP d’Ogilvy estime que le télétravail a donné naissance à des discussions qui n’auraient jamais été aussi profondes dans un contexte traditionnel. « Nos relations se soudent plus que jamais, notre culture d’entreprise se refaçonne et des gens de la relève se démarquent par leur énergie rassembleuse et leur leadership naturel. Cette période historique nous marquera pour toujours, mais le dénominateur commun dans nos discussions d’équipe est notre désir de nous sortir plus fort de cette période. Ça me donne espoir en l’avenir et surtout, ça me rend fière de faire partie de l’équipe de leadership qui mène cette belle gang à l’après-crise, un jour à la fois. Bon courage à tous ! ».

Un avenir oscillant entre espoir et amertume

Dans la foulée de la crise, la DG de Kabane avoue avoir eu une grande prise de conscience, mais aussi de l’espoir pour le futur. « Je suis de celle qui croit que nous étions dus comme société pour une grande pause. Malheureusement, elle a été brutale, soudaine et étrange. Mais on va ressortir de cela avec une autre paire de lunettes et des comportements différents avec notre rapport à plein de choses ».

« Je ressens un vague mélange d’espoir concernant une prise de conscience généralisée des abus qu’on fait subir à la planète et j’espère que des solutions naîtront de la crise », souahite Marie-Sarah.  

« C’est doublement stressant parce qu’ayant décidé de ne pas congédier nos employés, nous voyons venir de plus en plus vite la date d’expiration de notre compagnie, mais on va se battre as always et on va bouncer back. Meilleurs et plus forts. Et avec plein de projets de contenu télé extraordinaire », révèle Martin.  

Sonya estime qu’il y a beaucoup de bon qui a émergé et lève entre autres un chapeau aux initiatives de l’A2C pour tenir l’industrie informée. « Mais on voit et l’on ressent une petite gêne entre nous de s’avouer que pour certains ça va relativement bien, pour d’autres “ça ne va pas bien du tout” ou encore d’autres qui se posent des questions sur la nature et l’avenir de leur business ».

Depuis quelques jours, les femmes de tête de RuGicomm commencent à réfléchir à « l’après » et à comment elles peuvent tirer profit de la situation pour s’assurer d’un avenir meilleur. « Le plus difficile, c’est de ne pas savoir. Personne ne sait de quoi aura l’air l’industrie culturelle post-pandémie. Celle-là, elle nous échappe tous », déplorent Valérie, Joëlle et Stéphanie.

France-Aimy est reconnaissante de l’aide gouvernementale aux entreprises, qu’elle juge magistrale, pour les aider à survivre.
« Cependant, sans deadline de retour en tournage il est difficile pour nous de faire des projections et de prendre de bonnes décisions. Allons-nous tous crouler sous les dettes en sortant de cette période de pandémie ? Allons-nous passer les 10 prochaines années à rembourser tous les prêts offerts par le gouvernement et les banques ? », se questionne-t-elle.  

« Me doutant que le retour à la “normale” ne sera plus jamais comme avant, j’ai évidemment espoir qu’une majorité d’entreprises saura en sortir grandie, ambitionne le fondateur de BangBang. Cependant, j’ai aussi le sentiment que le milieu des créatifs, toutes professions confondues, va en prendre un coup pour plusieurs mois, voire peut-être même pour plusieurs années ».

Sentant que la sortie de crise approche, l’équipe de Kabane a envie de garder leurs « nouvelles bonnes habitudes ». « Moins de longues réunions, plus de télétravail, plus d’initiatives avec nos clients. La Kabane de demain va être très intéressante. À suivre ! », promet Simon.

« Cette “pause” inespérée comme la nomme M. Legault, est en fait à mes yeux une opportunité pour tous d’arrêter de courir, de se retrouver soi-même, de retrouver le sentiment de communauté que nous avions perdu et de réfléchir ensemble à ce que nous voulons que la nouvelle normalité soit. Pour la première fois, je n’ai pas l’impression que l’ennemi est l’autre, mais qu’il est commun à tous, poursuit Martin. J’ai l’étrange sensation qu’une trêve globale unit l’humanité tout entière devant la même adversité. Je perds de plus en plus mon “Je” pour retrouver le sens du “Nous”. J’ai envie d’agir, de passer à l’action. J’ai envie de réfléchir à comment nous allons nous retrousser les manches ensemble pour nous sortir de cette catastrophe. Reconstruire sur des valeurs durables de collectivité, de partage, de tolérance, d’inclusion, de respect de soi-même, des autres et surtout de notre environnement ». 

comment ça va