Dans la célèbre série Mad Men, il y a cette scène mythique où Don Draper présente le projecteur Carousel de Kodak. Pour l’introduire et le vendre, il ne parle ni de technique ni de performance, mais de nostalgie. Devant ses clients ébahis, il décrit ce sentiment comme « une douleur d’une vieille blessure » : « In Greek, nostalgia literally means the pain from an old wound. It’s a twinge in your heart far more powerful than memory alone. This device isn’t a spaceship, it’s a time machine. It goes backwards, forwards. It takes us to a place where we ache to go again. »
Un moment de télévision culte qui résume en quelques phrases ce que la publicité peut avoir de plus puissant : nous transporter ailleurs, nous faire vibrer plus fort que n’importe quel argument rationnel. C’est exactement ça, la force du marketing nostalgique.
Et c’est là qu’on risque de vous étonner. Même si on la croit omniprésente, la nostalgie est en réalité rarement exploitée en publicité : seulement 1 à 4 % des campagnes à l’échelle mondiale y font appel, selon Kantar, la multinationale spécialisée en études de marché. Or, quand elle est bien utilisée, l’effet est spectaculaire, et la pub devient aussitôt virale, mémorable, solidifiant du même coup ce lien émotionnel si précieux entre une marque et son public.
Mais jusqu’où peut-on aller avant que la nostalgie ne perde sa magie ? Est-elle un levier puissant ou un piège facile pour les marques ?
La psychologie de la nostalgie
Avant de plonger dans le vif du sujet, à savoir la limite de cet effet magique, partons ensemble sur les mêmes bases. La nostalgie n’est pas qu’un vague sentiment doux-amer, c’est une ressource émotionnelle puissante et multifacette. Historiquement, le terme désignait même un diagnostic médical : un « mal du pays », rappelle Sonya Bacon, consultante, planification stratégique et chargée de cours, Université de Sherbrooke. Aujourd’hui, elle est analysée comme une émotion ambivalente, mais structurante, comme le soulève un article du Guardian. La nostalgie mélange plusieurs émotions passant du doux à l’amer, parfois. Sur le plan psychologique, elle est décrite comme une émotion mixte parce qu’elle est majoritairement positive lorsqu’elle est générée intentionnellement (par exemple, via une campagne publicitaire), mais plus teintée de mélancolie dans les remémorations quotidiennes. Ce mélange, où se mêlent plaisir et regret, est aussi ce qui lui confère sa puissance si évocatrice.
Mais gare à la nostalgie subie : lorsqu’elle est déclenchée par la solitude ou l’anxiété, elle peut certes apaiser, mais aussi creuser une certaine mélancolie. Un gentil rappel que la nostalgie est précieuse quand elle est maîtrisée, mais négative si elle n’est pas bien structurée.
La nostalgie de génération en génération
Vous les avez probablement vus avec des papillons dans les cheveux, des flip-phones ou encore vus danser sur du Ja Rule. Les Gen Z sont fasciné·es pas des époques qu’ils·elles n’ont pas vécu. Fascination qui se superpose d’ailleurs à une réalité beaucoup plus anxiogène. Selon une étude Léger de 2024, 75 % des Zilléniaux ont déjà vécu des périodes d’anxiété et près de la moitié (48 %) une dépression. En entrevue à Radio-Canada, le spécialiste de la culture pop, Antonio Dominguez Leiva, explique « qu’il y a aujourd’hui fascination pour un passé que l’on perçoit comme un passé beaucoup plus heureux, souriant, désinvolte, insouciant que notre époque actuelle. » Pas étonnant, donc, que cette génération recherchent dans le passé une forme de réconfort ou de stabilité. D’où l’impression collective que la nostalgie est partout ces derniers temps, précise le Professeur Dominguez Leiva.
Mais attention, cette génération reste méfiante. « C’est une génération paradoxale, observe Sonya Bacon. Elle adore les clins d’œil rétro, mais elle déteste le fake. Elle a un radar extrêmement affûté contre le marketing opportuniste. » Les données appuient ce paradoxe : la nostalgie augmente leur intention d’achat et leur disposition à payer (+25 % pour des marques nostalgiques), mais quand une marque non nostalgique essaie de surfer artificiellement sur la vague, son image en ressort affaiblie.

Forces et faiblesses du marketing nostalgique
Si la nostalgie peut électriser une campagne, elle n’est pas sans écueils. Ses forces sont évidentes : elle crée une connexion émotionnelle profonde, suscite la viralité et encourage la fidélisation. « C’est un raccourci puissant, dit Sonya Bacon. Tout le monde partage quand ça touche juste. » Mais l’ingrédient peut vite tourner au piège. Une campagne trop appuyée risque de paraître réchauffée ou kitsch. « Le fameux “te souviens-tu ?” utilisé sans subtilité, ça tombe à plat », avertit Sonya Bacon. Pire encore, ressusciter certaines époques peut créer des controverses : les années 50 et 60, par exemple, ne riment pas forcément avec inclusion ou diversité.
Le succès repose donc sur l’authenticité. Sonya Bacon insiste : « La nostalgie doit être un ingrédient, pas la recette. » Un bon exemple est Top Gun : Maverick, qui a su revisiter un univers culte sans s’y enfermer, en y insufflant un souffle nouveau. À l’inverse, des recyclages paresseux condamnent la marque à rester prisonnière du passé.
Parlant de mauvais coup, Sonya Bacon souligne que toutes les marques ne manient pas la nostalgie avec doigté. Elle cite l’exemple récent d’American Eagle avec Syndey Sweeney, qui a tenté de capitaliser sur un imaginaire rétro sans l’adapter aux codes actuels. « C’est le piège classique, dit-elle. On recycle des images du passé sans réflexion, et au lieu d’un clin d’œil complice, on obtient un copier-coller paresseux. Résultat : ça sonne faux et ça tombe à plat. » Pour elle, la nostalgie ne doit pas être une photocopie du passé, mais une matière vivante à réinventer et même à prolonger. « On devrait réactualiser des choses du passé, c’est là qu’on arrive à toucher l’émotion, et on redonne au souvenir de la pertinence à l’ère actuelle. »
L’art fragile de jouer avec la mémoire
La nostalgie en publicité est un jeu d’équilibriste. Elle peut électriser une campagne, créer un lien émotionnel quasi instantané et même redonner de la valeur perçue à une marque. Mais elle peut tout aussi vite se retourner contre elle si l’exercice manque d’authenticité ou de subtilité.
« La nostalgie fonctionne quand elle est revisitée, inclusive et en résonance avec l’époque actuelle », rappelle Sonya Bacon. Autrement dit, quand elle est utilisée avec paresse ou maladresse, elle réduit une marque à une caricature de son passé. Pour la chargée de cours, c’est une certitude : la nostalgie ne se démodera jamais. « C’est une émotion universelle, dit-elle. On a tous et toutes besoin, à un moment ou un autre, de se reconnecter à notre passé. C’est ce qui nous aide à apprendre, à évoluer et à regarder vers l’avenir. »
Alors, simple outil marketing ou stratégie durable ? La réponse se trouve peut-être là : dans la capacité des marques à faire de la nostalgie non pas un refuge, mais un tremplin vers demain.