Les plateformes sociales se suivent et se ressemblent, empruntant aux autres ce qui fait de leur popularité jusqu’à en perdre leur essence originelle. Snapchat, TikTok, Instagram, X – autrefois Twitter –, Pinterest, LinkedIn, Facebook, etc. Des médias sociaux qui s’émulent entre eux et qui finissent par nous soûler. Nous rendent accro. Nous jouent dans la tête. Nous volent du temps. Quel serait alors le réseau social idéal, s’il pouvait exister ? Une question pas si simple, que je décoche sur deux comptes Instagram, un composé essentiellement d’ami·es, de collègues, de connaissances, de bonnes gens de la comm, et un autre agencé d’une communauté tissée serrée de sportifs·ves et de créateur·trices de contenu. «Le café au coin de ma rue», dit l’un. Une autre lance « Facebook quand c’était un babillard avant les likes». «TikTok en moins addictif et moins débilitant, avec des limites d’une heure par jour max.» «Instagram, mais avec des ami·es au lieu de followers.» Les réponses fusent de toute part et se concordent. Tous et toutes avides de connexion, nostalgiques d’un «avant» où on leur gavait moins de contenu «aléatoire» selon un algorithme impénétrable.

Un environnement plus bienveillant
Si on s’imaginait un réseau social frisant la perfection, ça donnerait quoi ? Sans doute à mille lieues de l’offre actuelle. C’est d’ailleurs avec cette volonté que des alternatives comme Minus, fondé en 2021 par Ben Grosser, artiste et professeur à l’Université de l’Illinois, et Somewhere Good, imaginé par Naj Austin en 2022, ont vu le jour. Des applications pensées pour être loin de la course aux likes et de la performance. Si Minus propose une expérience visant à nous questionner sur notre comportement internaute — pas de bouton «j’aime», pas de pub ni de possibilité de partage et une limite de 100 publications à vie, Somewhere Good a pour but de connecter les utilisateur·trices de couleur et de la communauté queer dans un espace sécurisé grâce à des messages vocaux limités à 60 secondes.

À contresens de ce que les réseaux sociaux sont devenus, le réseau social idéal ? Bien évidemment. C’est ce que croit fermement Elise Rousseau, stratège de contenu web et médias sociaux. D’après elle, celui-ci devrait être «entièrement paramétrable selon nos besoins, nos modes d’interactions souhaités et le contenu auquel on souhaite s’exposer. Il serait axé sur le mieux-être et inciterait à la rencontre réelle d’idées et de personnes. Il serait créé par et pour les utilisateur·trices, sans chercher à être au centre de leur vie ni réfléchi pour leur faire passer le plus de temps possible en ligne. Ses visées ne seraient pas publicitaires, mais humanitaires et nous permettraient de développer nos capacités attentionnelles au lieu d’y nuire. Il favoriserait la réflexion et la profondeur au lieu de l’instantanéité».

L’un des aspects souvent pointés du doigt des médias sociaux est l’impact sur la santé mentale des utilisateur·trices. Au reste, on en a parlé ici et ici. Pourquoi ne pas imaginer des fonctionnalités permettant de gérer le temps passé sur une plateforme, des rappels pour des pauses et des ressources intégrées pour soutenir la santé mentale par exemple ? Elise proposerait ainsi un système de minuteur intégré, pour nous faire savoir plus facilement le temps passé en ligne et si ça répond réellement à nos objectifs, comme «apprendre, se développer, s’informer auprès de médias crédibles, connecter avec les autres, et même briser l’isolement». Et puisqu’on n’est jamais vraiment à l’abri de la dérive des trolls, l’experte en réseaux sociaux suggère également un «délai de publication» pour qu’on réfléchisse avant d’écrire (et de publier), nous permettant de nuancer notre pensée. La jeune professionnelle pousse encore plus loin la réflexion à cette éventuelle plateforme idéale en suggérant fortement une formation de démarrage sur la citoyenneté numérique et ce, dès l’inscription. «Le but commun est d’élever le discours et d’amener les gens à connecter.»

idealElise Rousseau, stratège de contenu web et médias sociaux et Steve Proulx, président de 37e AVENUE

Tout en transparence
Comme l’expliquait Francesca Musiani, directrice adjointe et co-fondatrice du Centre Internet et Société du CNRS à la Revue des médias, d’un point de vue technique, le réseau social idéal n’existe pas. «On peut en revanche identifier des pratiques et un niveau de transparence que l’on devrait retrouver sur tout réseau.» Ce à quoi Steve Proulx, président et fondateur de l’agence 37e AVENUE, adhère. On a lu son point de vue sur le blocage des nouvelles par Meta au Canada sur LinkedIn. On a aimé. On lui a donc demandé ce à quoi ressemblerait un média social idéal, selon lui ? «Le média social idéal devrait être transparent. Comment fonctionne son algorithme ? Comment fonctionne la machine en arrière ? Comment les décisions sont-elles prises ?»

À titre d’exemple, il nous rafraîchit la mémoire qu’il y a quelques années, Facebook avait changé son algorithme de fil de nouvelles, accordant moins de priorité sur les pages d’entreprises et de marques, et davantage sur les contacts personnels, la famille, les proches. «Du jour au lendemain, les entreprises qui avaient investi des dizaines de milliers, voire plus, pour alimenter leur page Facebook ont vu leurs efforts éliminés. On a constaté une baisse de 30 à 60 % de clics et de visibilité causée par ce changement seul.» Facebook avait le droit de le faire, puisque ce sont ses règles du jeu, note le président. «Mais c’est devenu tellement important pour tellement de gens et d’entreprises, que je pense que ça prend de la transparence à quelque part. Si on a un algorithme à changer, on doit avertir les utilisateur·trices, expliquer ce que les changements impliquent, et pourquoi on fait ces changements-là.»

Et sans appât du gain
Est-ce que des réseaux sociaux publics seraient une des solutions ? C’est ce qu’avance Romain Badouard, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Panthéon Assas. Comme il élaborait à la Revue des médias, ce serait «à but non lucratif, pas nécessairement des propriétés de l’État, mais détenu par des associations, des instituts de recherche, des fondations». Elise abonde dans le même sens. «Il faudrait probablement que cette plateforme soit subventionnée et gérée par un nouvel organisme citoyen aux croisements entre la technologie, l’éducation et la psychologie. En plus de développeurs·euses, de designers et de communicateur·trices, l’équipe fondatrice serait composée de technopédagogues, de psychologues, de philosophes, afin de pousser la réflexion sur les impacts du produit qui ne serait pas conçu à des fins mercantiles, mais qui viserait à avoir un impact positif dans nos vies», estime-t-elle. Et ça se voit dans d’autres domaines, avec un esprit plus collectif, constate l’experte en médias sociaux.

«Le modèle d’affaires capitaliste à la recherche de profits n’est peut-être pas le plus adapté, dit Steve, qui estime que les médias sociaux ont pris une place incontournable dans notre quotidien. On met entre les mains des compagnies dont l’objectif est de générer des profits et on se retrouve avec un paquet de problèmes. Je pense que ça doit être un modèle sans but lucratif, une société d’État, quelque chose géré et financé par le public, soutenu par une institution gouvernementale.» Pas contre la publicité, Steve souligne que si on imaginait un média social géré par une société d’État qui s’appelle Média Social Canada — on jase ! —, elle pourrait très bien, dès le jour 1, dire aux médias qu’ils sont invités dans ce réseau, que les publicités, il y en aura, et redevances il y aura aussi. «Dans un média social public idéal, on génère de la publicité, mais on en donne une partie à ceux·elles qui fournissent le contenu. Ça se fait sur YouTube pour les créateur·trices de contenu, et les médias sur Apple News reçoivent une redevance. Pourquoi pas ? Les médias doivent quand même manger et les revenus publicitaires restent une source de revenus.»

Le réseau social idéal serait un environnement bienveillant, tout en transparence et sans l’appât du gain. Mais relèverait-il de l’utopie puisqu’il est à l’image de notre monde capitaliste, qui est loin d’être idéal ? À méditer. Mes DM sont ouverts !

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