
Léa Pennel (elle), directrice artistique, collaboratrice avec Productions Chaumont
Léa Pennel est une révélation pour nous depuis deux ans en tant que collaboratrice en direction artistique. Son dévouement inébranlable à concevoir des décors et accessoires pour nos plateaux est tout simplement remarquable. Issue du monde théâtral et désormais plongée avec passion dans le cinéma, Léa a su insuffler une touche unique et innovante à chaque tournage. Jouant habilement avec les couleurs, les rythmes et l’architecture, elle confère à chaque projet une empreinte mémorable. C’est une artiste dotée d’une détermination et d’un savoir-faire qui se ressentent dans chacune de ses collaborations, et particulièrement avec Productions Chaumont. Sa position en tant que collaboratrice en direction artistique renforce sans aucun doute notre identité dans l’industrie. - Aline Viens, présidente de Productions Chaumont
Quel conseil donnerais-tu à la relève? Ce que j’aimerais partager, c’est l’apprentissage que je fais ces dernières années : connaître ses droits nous évite bien des abus. Je crois aussi que savoir respecter ses limites nous éloigne de l’épuisement.
Qu’est-ce qui t’inspire? L’élément de l’eau: la mer, l’océan et ses couleurs... Pour moi, c’est la force créatrice même. Cet élément, dont le philosophe Gaston Bachelard parle à merveille, possède un pouvoir onirique. Il y a aussi les images conceptuelles de la maison et du cadre de fenêtre. Pour moi, elles évoquent toute la sphère de l’intime, mais mise à distance. Je citerais pour exemple l’un de mes films préférés: "Playtime" de Jacques Tati, où M. Hulot est invité chez M. Giffard à visiter son appartement à la pointe du modernisme. La caméra filme depuis l’extérieur, et la façade de l’immeuble est composée d’unités vitrées dont l’homogénéité architecturale rend poreuse la limite entre l’intime, le privé et le public. Jacques Tati met habilement en abîme l’expérience spectatrice dans cette scène hilarante, mais d’une grande finesse.
Une chose qui te motive particulièrement : Avoir une belle équipe: drôle, bienveillante et solidaire. Lorsque le décor achevé suscite des retours positifs, cela a le pouvoir d’anesthésier ma grande insécurité.
Tes hobbies préférés : Aller chiner dans les friperies, ventes de garage, marché aux puces, sous-sol d’églises, ou encore marketplace; ce qui s’accorde plutôt bien avec le travail que je fais aujourd’hui! Plus jeune, j’ai fait beaucoup de photographie par plaisir, ce qui a façonné d’une certaine manière ma vision artistique aujourd’hui. Ça fait quelques années maintenant que ma caméra dort, peut-être qu’écrire ces mots aura l’effet d’un déclic?
Un fait inusité : Pendant plusieurs années, j’ai eu un chat. Rien d’inusité jusque-là. Un jour, deux amies viennent chez moi. L’une d’elles habitait relativement proche, mais je la connaissais depuis peu. Elle regarde par la fenêtre de ma cuisine et dit: «Ah! Mais c’est Sacha!» Je lui réponds: «Non, c’est mon chat». Elle surenchérit: «Non, c’est Sacha, c’est mon chat!» Nous découvrons alors avec stupéfaction la double vie de ce chat que nous partagions sans le savoir depuis une dizaine d’années, bien avant de nous connaître. Notre amie commune, qui connaissait nos deux maisons respectives, n’avait jamais fait le lien, alors que ce chat, borgne et donc facilement reconnaissable, avait cette particularité attachante.
Un compte sur les médias sociaux à surveiller : #apresdemain.studio C’est le compte Instagram d’un ami qui s’est mis au «tufting» pendant la pandémie. Il réalise de magnifiques tapis. Je suis heureuse de collaborer avec lui sur des tapis tactiles pour un projet d’art vivant pour lequel je signe la scénographie.
L’endroit que tu as préféré visiter ou que tu aimerais visiter : L’Indochine des années 1930 aux saveurs eurasiennes pour ses paysages en noir et blanc et sépia. J’ai fait ce voyage pendant ma maîtrise; j’y ai exploré les archives de cette terre natale de l’auteure Marguerite Duras. Ce voyage a cheminé vers la création d’une installation scénographique librement inspirée de son œuvre. Plus concrètement, j’aime aller me ressourcer à Saint-Lunaire en Bretagne, dans la maison familiale. C’est toujours des moments très privilégiés, et redécouvrir ces paysages d’année en année est un émerveillement sans cesse renouvelé.
Quelle serait la trame sonore de ta vie? J’adore cette question! Elle serait contrastée, légère et profonde, d’une grâce fragile, sur des zones de mystères et des moments tout de même épiques. Il y aurait la magnificence de la voix de Maria Callas accompagnée des accords subtils des notes de piano d’Erik Satie (Gnossiennes et Gymnopédies que j’écoute souvent) et traverserait des eaux profondes, des abysses dark blues de David Lynch et des ambiances mystérieuses à la John Carpenter. Les moments forts auraient la puissance et l’aplomb orchestral des Planètes de Holst.
As-tu eu un·e mentor·e? Il m’est impossible d’en nommer qu’une seule ! Il y a eu Anick La Bissonnière, scénographe et architecte qui a été ma professeure de scénographie au baccalauréat, puis ma directrice de recherche à la maîtrise en théâtre (scénographie). Et Amélie Ducharme, set designer que j’assiste régulièrement avec plaisir depuis deux ans et de qui j’apprends beaucoup. Elles sont toutes deux perfectionnistes et talentueuses, dotées d’une grande rigueur, d’un sens de l’esthétisme aiguisé et d’une signature artistique qui leur est propre. Je leur voue une grande admiration et un immense respect; elles sont des femmes qui m’inspirent quotidiennement.
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Mon parcours artistique s’est construit entre les arts appliqués, le design d’espace et les arts de la scène. En parallèle, j’ai pratiqué la photographie ; j’aimais explorer les lieux, les (re)découvrir à travers ce petit cadre et laisser mon œil jouer avec lui, l’architecture et le rythme des éléments dans la composition de l’image. J’ai poursuivi cette recherche entre l’image et l’espace à la maîtrise en théâtre à l’UQÀM où j’ai créé "L’ÉDEN CINÉMA [décadrage]", une installation scénographique librement inspirée de l’œuvre de Marguerite Duras qui prenait la forme d’un théâtre miniature. Pour le côté "narratif", je me suis inspirée des procédés cinématographiques et des dispositifs précinématographiques. Ce langage emprunté au 7e art commençait alors à s’affirmer dans mon travail. Étudiante, j’avais eu la chance de vivre quelques expériences dans l’industrie du cinéma, mais c’est réellement la pénurie de main-d’œuvre pendant la pandémie qui a amorcé ce nouveau cycle dans ma carrière. Je suis arrivée sur une première grosse production (publicité) complètement dysfonctionnelle, où rapidement mon mandat n’avait plus de limites: j’ai dû colmater plusieurs lacunes et cela à de nombreux niveaux. J’étais un peu la fille qui débarquait de nulle part, mais qui savait déplacer des montagnes. J’y ai beaucoup appris (essentiellement de ce qu’il ne faut pas faire) ainsi que de l’importance de ma santé et de mes droits; un apprentissage à la dure. Paradoxalement, ce milieu est à la fois proche et loin de celui du théâtre d’où je viens. En effet, en théâtre, ce sont des projets de longue haleine, mais les budgets sont maigres; alors qu’en cinéma on manque toujours de temps, mais les budgets alloués sont plus conséquents. D’un point de vue artistique, on ne travaille pas avec la même créativité. Dans les deux cas, c’est une affaire d’équipe et de passion ! Aujourd’hui, dans mes décors, je vois des résidus de mes explorations photographiques: j’aime toujours jouer avec le cadrage, les couleurs, la rythmique des lignes et des volumes, et le hors-champ pour offrir une expérience spectatrice à la fois ludique et poétique.


Crédit photo : Productions Chaumont