Depuis plus de 20 ans, lg2 repousse les limites de la création. Non seulement ses publicités sont-elles saluées pour leur audace, le modèle même de l’agence, fondée par Sylvain Labarre et Paul Gauthier au tournant des années 1990 et comptant aujourd’hui 250 employés, suscite encore l’intérêt.

Il y a une dizaine d’années, les deux fondateurs de l’agence, et leur associé Gilles Chouinard, ont eu à prendre une décision quant à l’avenir de leur entreprise. Convaincus de ne pas vouloir la céder la compagnie à des groupes étrangers, MM. Labarre, Gauthier et Chouinard ont mis en place un plan de transition unique, basé sur l’arrivée de nouveaux associés à la tête de l’agence. Ce plan, qui vise d’abord à assurer la pérennité de lg2, aura aussi eu l’avantage de fidéliser les plus beaux talents de l’agence.

Grenier magazine s’est entretenu avec le président de lg2, Sylvain Labarre, et avec le vice-président et directeur général de l’agence, Mathieu Roy, sur l’importance de la relève, les avantages d’une transition bien planifiée et l’avenir de lg2.

Comment lg2 en est-elle venue à mettre sur pied un plan de transition, au début des années 2000?
Sylvain Labarre : Paul Gauthier, Gilles Chouinard et moi étions vers la mi-quarantaine quand deux ou trois réseaux américains sont venus nous voir. Ils voulaient mieux nous connaître dans le but de nous acheter. On a reçu des propositions [d’achat]. Cela nous a beaucoup fait réfléchir. On se disait que l’entreprise ne serait plus la même si on vendait à des américains. On a réfléchi à ce qu’on voulait pour notre agence. Ces rencontres ont été l’élément déclencheur. On était assis avec les groupes américains et ces gens-là nous parlaient de rentabilité, de ratio, mais très peu de produits. Les réseaux américains ne portaient pas beaucoup attention au côté humain. On s’est dit que ce n’est pas comme ça qu’on voyait lg2. Ça ne faisait pas partie de nos valeurs. On a toujours voulu supporter les employés qui ont permis à l’entreprise de grandir. C’est à partir de ce moment-là qu’on s’est dit qu’il fallait assurer la pérennité de l’entreprise. On a donc développé un plan qui passait par des employés et non par des gens de l’extérieur.

Votre plan de transition s’est-il inspiré d’un modèle existant?
S.L. : On ne connaissait pas ce type de plan. C’est nous qui y avons réfléchi. On a commencé par faire un premier plan. On a regardé, parmi nos employés, lesquels partageaient les mêmes valeurs que nous, lesquels étaient talentueux et lesquels avaient le sens du leadership. On a aussi regardé quels employés avaient des liens de complémentarité, parce qu’on ne voulait pas avoir juste des administrateurs. Parmi les associés fondateurs, on était deux créatifs et un administrateur et c’est un ratio qu’on a voulu respecter. On cherchait aussi des gens qui travaillaient chez nous depuis au moins deux ans, question qu’ils connaissent bien les forces et les faiblesses de lg2 et qu’ils partagent et endossent notre culture.

Mathieu Roy : Le désir d’être son propre patron, les qualités entrepreneuriales et l’âge faisaient aussi partie des critères. Sylvain et Paul étant eux-mêmes assez jeunes au moment de commencer la transition, la relève devait elle-même être assez jeune. Ce plan suppose aussi un acte de foi de toutes les parties. Il faut que les personnes choisies soient les meilleures pour l’organisation et il faut que les associés conçoivent que ce sera le dernier emploi de leur vie. Qu’ils sont là pour rester.

Qui a choisi les nouveaux associés?
S.L. : Une fois qu’on a mis le concept sur la table, c’est nous [NDLR : Sylvain Labarre, Paul Gauthier et Gilles Chouinard] qui avons choisi les premiers associés de la relève, et ce, pour leurs qualités complémentaires et la chimie qui opérait entre eux. Par la suite, pour les associés suivants, ce fût une affaire de consultation entre tous. On peut dire que c’est un peu les associés de la relève, entre eux, qui se sont choisis, parce qu’ils auraient à travailler ensemble par la suite. On avait toutefois, de notre côté, un dernier droit de regard, bien entendu. On était la police d’assurance, le contrôle de qualité final.

Sylvain Labarre & Mathieu Roy

Au départ, le plan de transition avait été annoncé comme un plan d’une durée de dix ans. Où en est-il rendu?
M.R. : Le plan a commencé un peu avant 2005, mais entre 2005 et 2015, il s’est matérialisé. S.L. : Le plan est évolutif, mais on est pas mal dans l’horizon de dix ans. La dernière partie du plan est axée sur le coaching et pourrait se prolonger. Ce qu’il faut noter, c’est qu’il n’y a pas de vitesse rattachée au plan de transition. Il n’y a pas de temps limite. On s’ajuste d’année en année. Aujourd’hui, c’est la relève qui voit à bien structurer et contrôler les unités d’affaires. Je ne quitte pas tout de suite, mais j’ai déjà transféré beaucoup de pouvoirs à Jeremy Gayton [vice-président et directeur général lg2 Toronto], à Mathieu Roy [vice-président et directeur général lg2 Montréal] et à Mireille Côté [vice-présidente et directrice générale lg2 Québec].

Combien d’associés compte lg2 en ce moment?
S.L. : lg2 a des associés dans chacune des cinq unités d’affaires et des associés qui sont au niveau de l’ensemble des unités. On a donc 6 associés principaux et 14 associés complémentaires.

Pourquoi avoir choisi une telle structure?
S.L. : Au départ, Paul et moi nous étions dit qu’il y aurait toujours un associé qui serait responsable du compte. En 24 ans, lg2 a grandi considérablement, alors le fait d’avoir lancé un plan pour la relève nous a aidé de ce côté-là. L’autre aspect de la réponse se trouve dans notre volonté de faire connaître les dirigeants aux employés. Nous voulons que les employés sachent qui dirige la boîte. C’est pour ça que six associés sont désignés comme les dirigeants de lg2 pour l’avenir.

M.R. : Le fait d’avoir plusieurs associés, ça dynamise beaucoup l’entreprise. Tous ces gens-là ont à cœur le succès de l’entreprise et veulent pousser la machine. Ce sont 20 entrepreneurs. C’est aussi un modèle qui permet de rester agile et accessible, puisque 20 associés sont disponibles pour les clients.

N’y a-t-il pas un risque à avoir six leaders, six têtes fortes, à la tête d’une entreprise? Des conflits ne pourraient-ils pas surgir?
M.R. : Ça peut être un piège. Le nombre est un piège, mais on se structure de façon à ce que les décisions soient claires.

S.L. : On a mis l’accent sur la complémentarité au moment du choix des associés. Si tout le monde était identique, on aurait augmenté les chances de conflits. Mais en cherchant des gens avec des forces complémentaires, on diminue les risques de conflits.

Le plan de transition a permis de conserver la culture de lg2 et la croyance selon laquelle la qualité du produit est le meilleur gage de croissance. Avez-vous malgré tout senti certaines inquiétudes de la part des clients, au cours de cette période?
M.R. : Pas du tout. On a même multiplié les points d’ancrage avec les clients. C’est un privilège qu’on a d’avoir deux générations d’associés. Parce qu’on a des structures agiles, on est capable d’attirer à la fois de grands clients nationaux et internationaux et des clients qui sont en démarrage. Ce n’est pas la taille des clients ni leur budget qui est important pour lg2, c’est la qualité du produit qui en ressort et la qualité des gens avec qui on va travailler. Et le fait d’avoir des associés dans la trentaine, la quarantaine et la cinquantaine, ça nous permet de connecter avec tous les types de clients.

Les nouveaux associés de lg2 ont-ils dû s’engager à ne pas vendre l’agence à des intérêts étrangers?
M.R. : Les associés adhèrent à la vision et aux valeurs de lg2. Peu importe l’associé dans l’entreprise, tous désirent travailler pour eux-mêmes, être autonomes, être entrepreneurs. Tout le monde veut répondre aux autres associés et aux employés et non à un siège social de contrôle à New York, Londres ou Paris. C’est fondamental. C’est la vision, c’est le souhait, c’est le désir de faire grandir l’entreprise. C’est une grande fierté de s’appartenir. On construit d’ailleurs dans ce sens-là. On croit à notre produit et à notre recette, à tel point qu’on a ouvert un bureau à Toronto. Ceci étant dit, les fondateurs n’ont pas fait tout ce travail de transfert d’entreprise, qui est beaucoup plus compliqué que de simplement vendre à un holding, pour voir leur entreprise être vendue à des intérêts étrangers deux ans après leur départ. Il y a effectivement des mécanismes en place pour assurer la pérennité de l’entreprise.

Les fondateurs de lg2 auraient certainement fait beaucoup plus d’argent en vendant l’agence à des américains. Est-ce que le côté monétaire a fait partie de l’équation?
S.L. : Ça aurait pu faire partie de l’équation, mais pour nous, le qualitatif a toujours été plus important que le quantitatif. Dans notre analyse, on s’est aussi rendu compte que plusieurs agences de publicité du Québec, de bonnes agences, avaient été vendues à des intérêts étrangers. Malheureusement, certaines d’entre elles n’existent plus et dans d’autres cas, les agences ont considérablement diminué de taille pour devenir des agences satellites dépendantes du réseau, des instructions qui viennent de New York, de Toronto ou d’ailleurs. Ce n’est pas ce qu’on souhaitait.

Au moment du départ à la retraite des fondateurs de lg2, une coupure sera-t-elle faite ou subsistera-t-il un droit de regard?
S.L. : Il n’y aura pas de coupure instantanée. Je pense que les portes nous seront toujours ouvertes. Je suis encore chez lg2 pour quelques années, alors c’est une étape qui reste à être planifiée, mais c’est clair qu’il n’y aura pas de coupure. Il y a par contre un volet qui est très clair : ce sont les associés qui vont diriger. Ils prendront leurs propres décisions et s’ils veulent nous consulter, nous serons toujours disponibles, mais les associés auront la pleine liberté.

M.R. : C’est d’ailleurs déjà le cas. Le transfert s’est fait sur plusieurs années et depuis 2013, les associés sont majoritaires et opèrent l’entreprise dans un esprit de collaboration qui est vraiment unique. Un des ingrédients du succès, c’est la communication, parce que les associés cohabitent avec les fondateurs. Il y a un échange quotidien, constant. Aujourd’hui, on opère l’agence et les fondateurs sont là pour nous coacher, pour valider certaines décisions, pour nous appuyer dans certains dossiers. Un bel exemple de cette collaboration, c’est l’ouverture du bureau de Toronto, qu’on a financé ensemble.

Cette collaboration vient-elle avec une pression supplémentaire ou les associés n’en tirent-ils que du positif?
M.R. : C’est une pression positive. On a le privilège de reprendre une entreprise qui a connu du succès. On ne veut pas que ça arrête, on veut faire progresser l’organisation pour que le produit soit encore meilleur.

Votre plan de transition a-t-il inspiré d’autres entreprises?
M.R. : À notre connaissance, aucune autre entreprise de notre taille, dans notre secteur d’activité, n’a choisi d’aller dans cette direction.

S.L. : Notre plan est très nouveau. On a pris le temps de le concevoir et de le façonner pour qu’il réponde à nos besoins. Mais j’ai donné quelques conférences sur le sujet, devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, entre autres. Les gens sont curieux de voir comment nous nous y sommes pris. Je pense que notre plan est un modèle intéressant, non seulement pour le secteur de la publicité, mais pour l’ensemble de l’industrie québécoise, parce que plusieurs entreprises risquent de se faire acheter par des groupes internationaux et risquent aussi, après un certain temps, de disparaître.

M.R. : Le défi, dans notre secteur d’activité, c’est que les agences de publicité sont intangibles. Ce sont des gens, des idées, une énergie. Une énergie, ça se construit en ayant des valeurs, des croyances et des gens pour les diffuser. Quand vient le temps de transférer les pouvoirs, les dirigeants doivent se demander s’ils ont encore le goût, et l’énergie, de garder ça en vie. Il faut saluer la vision et le désir qu’ont eus Sylvain, Paul et Gilles de faire ça, parce que ce n’est pas simple. C’est peut-être une des raisons pourquoi peu d’agences le font. Parce que, quand vient l’heure de passer le flambeau, les gens se sont tellement investis qu’ils ont simplement envie d’être rachetés et de ne pas avoir à faire tout le travail de transition, lequel est très compliqué et exigeant.

Pour les nouveaux associés, quels sont les objectifs à court et à moyen termes?
M.R. : Notre objectif, c’est de poursuivre avec la même vision. S’assurer que le produit demeure le plus performant possible. En ce moment, on s’attaque à la scène canadienne avec le bureau de Toronto, mais on a aussi, à long terme, des ambitions nord-américaines. On souhaite que le produit rayonne au-delà de nos frontières. On veut faire un bon travail canadien, continuer à être les meilleurs possibles sur le plan du produit et des idées. Ce n’est pas impossible qu’on prenne de l’expansion, mais on va le faire par le produit. On n’a pas l’ambition de monter un empire. On n’a pas de visée sur New York. On a toujours eu une croissance contrôlée, planifiée.

S.L. : Toronto va déjà super bien. C’est une entreprise qui a le vent dans les voiles et qui est déjà rentable, ce qui est exceptionnel. Ouvrir à Toronto, ça nous permet de redévelopper le Québec à partir de Toronto. Ça permet à lg2 de devenir une agence nationale et d’avoir accès à plus de grands comptes nationaux. Ça nous place dans une bonne position pour avoir une croissance à Toronto, à Montréal et à Québec.

En plus du transfert de l’entreprise, le plan de transition de lg2 a joué un rôle dans la rétention des employés. L’aviez-vous prévu?
S.L. : On a fait de belles découvertes à travers ce plan de transition. Quand on approche la nouvelle génération pour lui demander de devenir associée dans la boite, on s’aperçoit que c’est une belle façon de faire de la rétention d’employés de talent. Et, indirectement, c’est aussi une belle façon d’attirer des employés de talent de l’extérieur. Mais l’objectif n’était pas strictement d’attacher les gens. Chez nous, les employés sont très importants. On est sûrement l’agence avec la plus faible rotation d’employés. On garde nos employés longtemps, parce que la qualité de vie des employés au travail et à l’extérieur du bureau, c’est ce qu’il y a de plus important.

M.R. : La rétention des employés n’est pas un défi pour nous. C’est par contre un défi d’industrie que d’attirer les meilleurs talents, et on n’est pas à l’abri de ça. Mais au niveau de la rétention des employés, c’est spectaculaire chez lg2. Les gens sont heureux et ils sont fiers de travailler pour l’agence. Et les talents de l’extérieur sont attirés par lg2 parce qu’ils sont curieux de voir quelle est cette boite qui fait un si beau travail et qui, en plus, respecte la qualité de vie de ses employés. On croit fermement que les gens doivent avoir une vie à l’extérieur pour être en mesure d’avoir des idées à l’intérieur. On est très respectueux de cet équilibre.

S.L. : Il ne faut pas parler des deux côtés de la bouche. C’est comme une campagne publicitaire. On a beau avoir un concept, mais si le concept n’est pas appliqué correctement, ce n’est pas un bon concept. Ce qu’on dit, on le fait jusqu’au bout.


Article paru dans le Grenier magazine du 31 octobre 2015. Pour vous abonner, cliquez ici.