Selon certains, celle de Montréal est trop à gauche, intellectuelle et beige. Selon d’autres, celle de Québec est trop à droite, virulente et impulsive. Les préjugés pleuvent lorsqu’on discute des radios parlées de Québec et de Montréal. À l’image d’une certaine rivalité Canadiens-Nordiques maintenant révolue, cette dualité déclenche des passions dans les deux camps.

Longtemps qualifiée de Radio-Poubelle, la radio parlée de Québec s’est métamorphosée. De nos jours, certains la qualifient plutôt de Radio-Spectacle. Mais la radio montréalaise aussi a changé. L’humour, longtemps perçue comme la manne radiophonique, y trouve de moins en moins sa place et les réseaux sont en quête de leur identité.

Le Grenier aux Nouvelles se penche alors sur la question suivante: Les radios parlées de Montréal et de Québec sont-elles vraiment si différentes?

La force du nombre


Avec vingt-trois stations, dont quatre grandes radios parlées (FM93, CHOI Radio X, NRJ et Radio-Canada), Québec l’emporte haut-la-main sur Montréal, qui peine à maintenir trois joueurs de radio parlée, dans un marché de vingt-six stations. Pourquoi ? Dave Ouellet, celui-là même qui incarne le sympathique MC Gilles, ex-consultant en radiodiffusion et grand défenseur des régions, pense que les instances médiatiques montréalaises n’ont pas encore compris que l’avenir réside dans la radio parlée : « Québec l’a compris depuis longtemps, mais Montréal finira bien par comprendre. »

Dave Ouellet

Mais pourquoi tant de radios parlées à Québec ? « Montréal est l’exception, avance Philippe Lefebvre, directeur général de CHOI Radio X. Dans les autres villes américaines, la radio parlée est omniprésente. Mais Québec fait peut-être aussi figure d’exception à l’autre bout du spectre. »

« La radio faite à Montréal parle majoritairement de Montréal, ajoute Dave Ouellet. Ainsi, alors qu’elle devrait plutôt être un médium de proximité, la radio de Montréal, et particulièrement Radio-Canada, est 
montréalocentriste. Québec parle beaucoup de Québec, parce que personne d’autre ne le fait. »

« La priorité de Montréal, ce sont les sujets de Montréal ; les gens de Québec ne se reconnaissent pas dans cette radio », ajoute Nicolas Lacroix, chroniqueur et recherchiste de Gilles Parent, au FM93.

Une radio d’opinion avant tout


« À Québec, on fait de la radio d’opinion, alors qu’à Montréal, on fait de la radio d’information », avance Olivier Niquette, chroniqueur à La soirée est encore jeune, dont le travail est de colliger des segments incisifs des radios parlées de la Capitale. « Montréal cache ses opinions, c’est comme une tradition », ajoute-t-il en spécifiant que, pour cette raison, Québec voit la radio montréalaise comme « lisse et plate ». Ce sentiment est d'ailleurs partagé par l’animateur Gilles Payer, qui a travaillé dans les deux métropoles : « Elle [la radio de Montréal] est plutôt uniforme. Elle n'est pas assez audacieuse! »

Gilles Payer

Mais la population montréalaise ne désire pas de radio d’opinion, pense Nicolas Lacroix : « Peut-être est-ce parce que c’est un concept qui vient de Québec, ajoute-t-il. À Montréal, il y a consensus. À Québec c’est moins formaté, c'est plus naturel. Québec, c’est l’absence de forme et de décorum. Par exemple, il y a un contrat sous-entendu avec les auditeurs qu’on va parler comme le vrai monde. »

« La radio de Québec, c’est le perron de l’église, version 2015 », ajoute Philippe Lefebvre. Liberté, je crie ton nom partout!, scandait l’ancien slogan de CHOI Radio X.

Liberté, diversité et divertissement


Cette liberté d’expression, de même que la diversité des opinions, sont primordiales. « Ne pas avoir de diversité médiatique est un ticket pour l’absence de débat, souligne Matthieu Dugal. Mais il y a une responsabilité qui t’incombe, quand tu as un micro », ajoute-t-il.

Matthieu Dugal

Pour Nicolas Lacroix, cette liberté n’est pas de source journalistique. « À Québec, peu de chroniqueurs sont journalistes. Le premier mandat de l’émission de Gilles Parent, envers l’auditoire, c’est de divertir. La radio de Montréal est journalistiquement objective, c'est-à-dire qu'elle se limite aux faits et à l’actualité, mais nous, on est là pour donner un show

Quant à Philippe Lefebvre, il ne croit pas que la radio de la Capitale en soit une de divertissement. « Le mot divertissement est péjoratif, à mon avis. On peut être léger, sans être fanfaron. C’est le charisme d’un animateur qui fera la différence! Le but premier n’est pas de faire du divertissement, mais la personnalité d’un animateur le rendra divertissant. Nous, on veut que le contenu soit intelligent, pertinent et intéressant. »

Matthieu Dugal trouve aussi que la radio de la Vieille Capitale est beaucoup plus diversifiée qu’on le pense. « La radio est bigarrée. Il y a des stations plus à gauche : CHYZ, CKRL et Radio-Canada Québec. Cette dernière s’en tire d’ailleurs fort bien avec ses émissions, et ce, même si la ligne éditoriale est à peu près la même qu’à Montréal. » Ce à quoi Dave Ouellet rajoute : « À Radio-Canada Québec, ce sont les émissions locales qui se démarquent, malgré le fait que les opinions ne soient pas aussi tranchées. »

Dans les souliers de l’autre


Contrairement à Montréal, il y a un star système local radiophonique à Québec. « Québec est un microcosme. Le star système se retrouve à la radio, parce que les stars, à Montréal, elles se retrouvent à la télé! », dit Dave Ouellet.

Nicolas Lacroix poursuit : « À Montréal, on prend les vedettes des autres médias et on les met à la radio. À Québec, on préfère les gens nés de la radio. S’il y a une chose que j’aimerais changer de Montréal, c’est qu’il y ait moins de vedettes, moins d’humoristes et moins de gens qui font de la radio en attendant un contrat télé. »

Nicolas Lacroix

Justement, que pourrait-on souhaiter pour la radio de l’autre ville? Dave Ouellet apprécie que la radio de Québec donne la chance aux jeunes : « Mais j’aimerais qu’elle propose encore plus de nouvelles voix et de nouvelles voies. » C'est le même son de cloche du côté de Matthieu Dugal, qui espère aussi que la diversité soit plus grande et qui se questionne : « Aurons-nous une aussi grande diversité avec l’apparition de joueurs comme Richard Martineau et André Arthur? »

De son côté, Gilles Payer aimerait une ouverture des deux villes : « Ce qui est dommage n’est pas d’avoir une métropole et une capitale qui font de la radio de façon distincte, c’est de penser qu’une seule ville détient la vérité! »

Et l’avenir ?


Selon Matthieu Dugal, quatre stations de radio parlée à Québec, ça peut sembler beaucoup pour un petit marché : « Parce que le débat est important, ces radios ont leur place. Mais pour leur survie, il doit aussi y avoir une diversification dans le message livré ». Une opinion que ne partage toutefois pas Philippe Lefebvre : « Culturellement parlant, il y a toujours eu quatre ou cinq stations de radio parlées à Québec. Ce sont les dernières années qui font l'exception, avec seulement trois stations, chose qui a changé avec l’arrivée de NRJ. Des neufs radios commerciales de la ville, ce sont pourtant les stations parlées qui tirent le mieux leur épingle du jeu! »

Alors que les parts de marché des stations musicales semblent s’amoindrir et que celles des chaînes d’information paraissent stagner, qu’adviendra-t-il du milieu radiophonique, d’ici les prochaines années? Selon Philippe Lefebvre, une chose est certaine : Montréal pourrait accueillir de nouveaux joueurs sur l’échiquier de ses ondes. « Si on regarde les énormes parts de marché du 98,5, il y a définitivement de la place pour d’autres radios parlées. », conclut-il.

Québec aurait-elle pavé la voie pour Montréal? Ça reste à voir...

NDLR : Richard Martineau et Denis Gravel n’ont pas répondu à notre invitation.


Article paru dans le Grenier magazine du 3 octobre 2015. Pour vous abonner, cliquez ici.