Contrairement aux journalistes, les communicateurs marketing n’ont pas à obtenir d’accréditation pour exercer leur métier. Pas encore, à tout le moins. Mais le milieu gagnerait-il à changer la donne ? Discussion sur le sujet en compagnie de Pierre Balloffet.

Pierre Balloffet

Les ingénieurs possèdent la leur ; les médecins, les architectes et les avocats aussi : il s’agit de cette accréditation leur permettant d’œuvrer au sein d’un ordre professionnel, lequel est doté d’une reconnaissance objective de compétences. Mais qu’en est-il des artisans du monde des communications publicitaires et marketing ? Pas d’accréditation nécessaire pour eux, et ce, même si des voix s’élèvent pour remédier à la situation depuis plusieurs années. Mais qu’est-ce que les artisans des communications gagneraient exactement à être accrédités ? La chose leur serait-elle vraiment bénéfique ? C’est ce que nous avons demandé à monsieur Pierre Balloffet, auteur et professeur au département d’entreprenariat et innovation du HEC.

Une procédure contraignante


C’est un homme affable et sympathique qui accepte de répondre à nos questions. Rapidement, on comprend que Pierre Balloffet possède une opinion tranchée sur le sujet. « J’ai toujours été contre cette idée d’accréditation des communicateurs, affirme-t-il d’entrée de jeu. M’est d’avis qu’elle répond vraiment à tous les critères de ce que l’on nomme une fausse bonne idée. Une accréditation, bien sûr, c’est bon pour les institutions de formation qui s’arrogent le pouvoir de reconnaître de manière exclusive une acquisition de compétences. C’est dans leur intérêt. Mais cet intérêt sert-il l’industrie ? J’en doute ! Un bon communicateur marketing, dans le fond, c’est quoi ? C’est un leader inspirant, compétent et curieux, capable de soutirer le meilleur des talents qui l’entourent. Qu’importe le domaine d’où ils proviennent. Des bons  communicateurs, ça se forme, il y a des cours pour cela. Mais a-t-on réellement besoin de les accréditer ? Chez les artisans de la communication (autre que les journalistes), ça me semble périlleux. D’autant plus qu’il faudrait en arriver à créer un système d’évaluation de compétences communicationnelles, ce qui risque d’être tout aussi ardu. »  

Éviter l’uniformisation de la pensée


Plus qu’un alourdissement du processus, Pierre Balloffet craint qu’un devoir d’accréditation chez les communicateurs vienne homogénéiser les produits marketing et publicitaires. « En ne permettant qu’à des communicateurs accrédités de participer à des conceptions marketing, on se prive d’un paquet de beaux talents. Par exemple : si je suis amené à tout repenser la nouvelle image d’une banque, eh bien, je me verrais mal me priver des services d’un architecte, d’un artiste visuel ou, qui sait, d’un anthropologue simplement parce qu’il ne sont pas accrédités "communicateurs" ? Ça va à l’encontre de ma vision d’une approche stratégique et créative de notre industrie. Il faut respecter la diversité des compétences. J’ai toujours été pour que l’on rassemble le plus grand nombre de créatifs différents autour d’une table au moment de réfléchir en terme de marketing. La conjugaison d’une diversité des points de vue est aujourd’hui, plus souvent qu’autrement, une condition du succès. »

Et les avantages ?


Reste que si certaines voix du milieu militent encore aujourd’hui en faveur de telles accréditations, c’est qu’on leur reconnaît certainement quelques avantages. « Il faut comprendre que la situation économique actuelle des agences est plutôt difficile, poursuit Pierre Balloffet. Tout le monde est à la recherche de solutions. Le premier réflexe, naturellement, serait d’épurer le marché pour limiter la concurrence : ce qui permettrait à certaines agences de récolter une plus grosse part du gâteau. Mais à qui profiterait cette situation ? Certainement pas à celles et ceux qui se battent d’arrache pied pour maintenir le dynamisme et l’ouverture de notre industrie. Et encore moins à la qualité des produits marketing. Une telle accréditation créerait invariablement un appauvrissement de la créativité dans le milieu, ce qui n’est pas souhaitable. D’autant plus qu’une telle situation risquerait de créer des barrières d’accès pour le marché québécois vis à vis du reste du monde. En imposant des règles d’accréditation très locales, nous minerions d’autant nos chances de collaborer avec l’international. Le monde des communications se transforme à vitesse grand V, c’est un risque que l’on ne peut pas se permettre. Je le répète : les réalités d’affaires actuelles sont difficiles. Mais nous avons tout pour y réussir. Faisons-nous simplement confiance. »

Article paru dans le Grenier magazine du 12 septembre 2015. Pour vous abonner, cliquez ici.