Paris, 15 h 45. Dans 15 minutes, sur le site web de l’ambassade canadienne va apparaître une petite case à cocher, afin de postuler pour l’obtention d’un Permis Vacances Travail, communément appelé : le PVT. Ils sont près de 40 000 jeunes Français au fil de départ. 16 h sonnent. Une frénésie de clics s’enchaine, le serveur plante, des connexions sont rompues. 10 minutes passent et les 
6500 places s’envolent au hasard. Avec elles, une autre vague de jeunes Français qui fuient leur terre natale.

Photo: Donald Robitaille (OSA Images)

L’herbe est-elle réellement plus verte au Québec ? Le Québec, Eldorado des pubeux français ? La question se pose au regard de cette vague d’immigrants franchouillards, qui prend des allures de tsunami. Pour beaucoup de Français, le Québec, c’est le « bon plan ». Nous parlons français, nous sommes ouverts d’esprit et chaleureux. En comparaison, notre multiculturalisme façon Montréal semble fonctionner. Mais surtout, surtout, nous avons des emplois disponibles.

Arrivée à Montréal en février dernier, Harmony Le Reste fait partie de ces 6500 chanceux ayant obtenu un PVT. Avec en poche un bac en design graphique et première de sa promotion, elle avait pourtant tenté de travailler en France. « Là bas, pour décrocher un entretien, il faut inonder toutes les boîtes, il faut envoyer des centaines de CV dans toute la France, on y passe des journées entières, c’est épuisant, démoralisant parce que 80 % des demandes si ce n’est plus, demeurent sans réponse. À moins d’être le fils de… Il n’y a pas de boulot. » Voici donc le fond du problème. Car si certains Français sont encore attirés par nos quelques arpents de neige, beaucoup de ces jeunes ne sont finalement qu’à la recherche d’un emploi décent dans le domaine qu’ils ont étudié.

Quant à lui, Sébastien Layafe est arrivé au Québec avec une résidence permanente. Un investissement de 2000 euros et 15 mois de paperasse à remplir. Une fois en sol québécois, le charme et le modus vivendi québécois opèrent : « Tu t’aperçois que les directeurs de création à Montréal sont beaucoup plus disponibles. Les joindre au téléphone, pouvoir leur envoyer un email c’est déjà une grosse différence par rapport à Paris. » Rapidement, Sébastien trouve un poste de D.A. chez BBR. La position reste précaire, mais le seuil passé, et à coups de créations retentissantes, on pense entre autres à la pub de Sherlock l’antivoleur, gagnant d’un prix Créa, il fait pas à pas son chemin dans l’industrie. Quelques années plus tard, il se joint, à titre de directeur de création adjoint, au bureau montréalais de John st. Maintenant en position d’embaucher lui-même son équipe, Sébastien observe que, contrairement aux jeunes Français, les Québécois ont des attentes beaucoup plus élevées quant à leurs conditions et à leurs horaires de travail. Les Français, souvent échaudés par leurs expériences dans leur pays natal, n’ont qu’un seul objectif : trouver un emploi, quel qu’il soit, peu importe les conditions.

Sébastien Layafe, ACD / Directeur artistique,
 John st.

Mais qu’en est-il de la formation des Français vis-à-vis de celle des Québécois ? En France, on compte près de 80 programmes directement rattachés à la publicité et au marketing. En comparaison, au Québec il y a le certificat d’un an en publicité de l’Université de Montréal, qui ne fait toutefois pas l’unanimité dans l’industrie, et il y a un bac de l’UQAM très généraliste en communications marketing, de même que quelques écoles privées. Les concepteurs québécois proviennent donc de plusieurs horizons. Il est d’ailleurs amusant de remarquer que plusieurs d’entre eux sont issus de l’École nationale de l’humour.

Directrice des ressources humaines chez Groupe Cossette Communication, Sandra L’Écuyer affirme : « Souvent, on observe (chez les jeunes Canadiens) que s’ils ont les bonnes connaissances, c’est la pratique qui leur manque. Chose que l’on ne voit pas chez les Français qui arrivent ici. Leur besoin d’apprentissages se situe beaucoup plus au niveau de l’aspect culturel. On voit aussi des différences au niveau de la formalité, qui est plus grande en France qu’au Québec; l’aspect hiérarchique, l’usage du vouvoiement par exemple. C’est dans ces nuances que se situe l’apprentissage, plutôt que dans les aspects techniques. » Mais en somme, pour Mme l’Écuyer, et en termes de performance, être Français n’est pas un enjeu.

Reste tout de même le problème de l’adaptation culturelle. Avec ses stratégies et ses cibles, la publicité se nourrit des spécificités culturelles de son marché. Or, outre la langue que nous partageons, la province de Québec a ses habitudes bien à elle, et se fait une fierté de se démarquer des autres, de la France en premier lieu. Dès lors, on peut poser la question : comment un Français fraîchement débarqué s’y retrouve-t-il avec les référents culturels essentiels afin de créer des publicités émotionnellement pertinentes aux yeux du marché québécois ? Nos 36 cordes sensibles, quoi.

Devant cette problématique, Gaetan Namouric affirme sans hésitation : « Le fait que j’étais étranger a fait de moi un meilleur observateur. J’aurais été un moins bon publicitaire en France. Pendant longtemps ici, j’ai fermé ma gueule. Je me suis plus tu que j'ai parlé. Il est beaucoup plus facile d’observer une culture de l’extérieur. » Le raisonnement est logique et son application semble porter ses fruits.

Cette position fait écho à une anecdote que me raconte Patrick Chaubet, avec un accent empreint du sud de la France, que près de 18 années en sol québécois n’ont pas su altérer. « On a la naïveté de l’inexpérience d’une place, qui donne toute la force à tout ce qu’on voit et à tout ce qu’on vit. Tu n’as jamais vu ça auparavant, donc ça rentre plus fort du coup. » Preuve à l’appui, Patrick me raconte la conception de la campagne « Ici c’est Pepsi ». Véritable hymne patriotique québécois, la publicité fait l’apologie de nos loufoqueries : « Ici on déménage le même jour; ici on aime notre gastronomie (entendre la poutine); ici on dit pas ici, on dit icitte! ». Or, ces traits de caractère bien de chez nous ont été relevés par un Français. Il est aisé de remarquer l’extraordinaire, le différent. C’est une autre affaire que de remarquer les spécificités du quotidien, de la normalité. Mais pour un Français fraîchement débarqué, notre quotidien québécois est un univers inconnu qui ne cherche qu’à se révéler.

Harmony Le Reste, Designer graphique, La Base

Harmony Le Reste a finalement trouvé un poste de designer graphique à LaBase, après deux mois de recherche et… 6 entretiens! Ça ne se passe pas super bien avec son colocataire, et ses poumons découvrant l’air frais de février se rebellent, mais ses yeux brillent lorsqu’elle décrit son aventure québécoise. Elle travaille. Qui plus est, elle fait ce qu’elle voulait faire. Les 6000 km qui la séparent de Paris, le peu de choix de yogourts et de Danette dans les marchés ne restent que de petites concessions devant l’exploit d’avoir trouvé un poste dans son domaine. Dès lors, pour répondre à la question « L’herbe est-elle plus verte au Québec ? » : je ne crois pas, non. Je pense simplement qu’elle a la couleur du Québec.


Article paru dans le Grenier magazine du 12 septembre 2015. Pour vous abonner, cliquez ici.