Selon les experts, 93% de la communication se passe dans le non-verbal. Alors, nous avons demandé à une synergologue, Annabelle Boyer, d'analyser le langage non-verbal des quatre chefs de parti qui ont participé au premier débat diffusé jeudi dernier sur les ondes de Radio-Canada et Télé-Québec.

Pauline Marois

L'intervention de Pauline Marois s'est débutée dans le sourire, avec un œil gauche très présent, ce qui, accompagné de mouvements de cou, de sourcils, de mains et de menton, sont des signes très clairs d'un esprit communicatif. Elle souhaitait passer son message et ainsi aller chercher les gens avec un ton rassurant et chaleureux, faisant ainsi une cassure très distincte avec le côté hautain qui lui est souvent reproché. Elle a gardé les mains ouvertes durant la période de questions, et ce, malgré les nombreuses attaques, mais c'est évidemment le Premier Ministre qui se fait le plus critiquer lors d'un débat alors forcément elle devait s'y être préparée. J'ai remarqué qu'elle allait poser ses mains loin devant le lutrin, ce qui démontre un désir de convaincre l'auditoire (sachant que le lutrin est plus souvent utilisé en tant qu'ancrage que comme levier). Fidèle à son slogan, Pauline Marois était très déterminée dans son non-verbal. Des mains stables, une grande amplitude de mouvement autour d'elle et un haut du corps très mobile veulent dire qu'elle cherchait à se faire comprendre, une tactique généralement utilisée par le Premier Ministre lors des débats. J'ai noté des échanges très détendus avec Françoise David, autant au niveau verbal que non-verbal, et même avec François Legault, qui, même s'ils sont plus confrontants, demeurent complètement sains. Elle n'a toutefois pas été à l'aise quand est venu le temps de discuter de Pierre-Karl Péladeau : son cou et son visage se sont crispés, pas tant en raison du flou de la situation en soi (qui dépendra de l’issue du vote) mais parce qu'elle voulait donner une réponse convaincante qui refléterait sa confiance. Il va sans dire qu'elle avait vu venir l’épineuse question de la souveraineté, et son équipe l'y avait très bien préparée. Son message était cohérant et elle a martelé le même message autant sur le plan verbal que non-verbal, toujours en demeurant dans la zone communicative et réconfortante. Son intervention s'est conclue dans la même veine, dans l'aisance et la fluidité, davantage axée sur le partage du discours que le contrôle de l'information. Certaines personnes semblent l'avoir trouvée agitée entre les questions, mais à mon avis ce n'est que parce qu'elle avait beaucoup de choses à dire et qu'elle ne pouvait les partager dans l'immédiat. Il est clair à mes yeux que Pauline Marois s'est consolidée dans son rôle de leader et qu'elle est beaucoup plus à l'aise maintenant qu'elle ne l'était il y a quelques années.
Note globale: 8/10.

Philippe Couillard

Ma première remarque au niveau de Philippe Couillard est que la corrélation entre son verbal et son non-verbal est plutôt particulière. Je ne m'attendais pas du tout à ce résultat. J’espérais un non-verbal davantage rassurant et assuré, plus en communication. Or, ce n'est pas du tout ce qui s'est passé. Dès le début, Philippe Couillard affichait un faux sourire (les muscles des yeux ne participaient pas, alors que tous les muscles de la bouche étaient tendus et le sourire était étiré, et non remonté) et s'appuyait énormément sur le lutrin. Il penchait surtout vers la droite, en utilisant très peu la main gauche et en surélevant son menton. Son œil droit est demeuré plus petit que son œil gauche tout au long du débat, en raison d’un stress relié à la performance. Bref, tous des signaux qu'il se trouvait davantage dans le contrôle que dans la communication, mais comme il n'a pas l'habitude des débats, ce stress de performance est explicable. Il aurait toutefois pu se détendre à mesure que le débat avançait, ce qu'il n'a pas fait. Ses épaules sont restées figées, il est demeuré axé sur la droite, il utilisait beaucoup les doigts en pince (ce qui signifie qu'il tentait de donner plus de détails pour illustrer ses propos), et il a régulièrement pointé du doigt Pauline Marois et François Legault, ce qui est normalement un manque de politesse, mais qui, en synergologie, représente davantage un geste d'attaque. À un certain moment, il s'est carrément appuyé le coude sur le lutrin, signe qu'il recherchait un ancrage. De plus, j'ai noté qu'il utilisait souvent l'expression «Vous n'êtes pas capables...» et d'autres termes plus agressifs, et son côté droit s'animait de façon marquée lors de ces moments. Cette surutilisation du côté droit démontre que Philippe Couillard se trouvait en mode attaque, même si le ton de sa voix est demeuré relativement doux, et c'est bien là tout mon étonnement. Son ton ne reflétait pas du tout son langage non-verbal très rigide, ce qui reflète son côté très rationnel et qui n'est pas sans rappeler les débats de Jean Charest à l'époque.
Note globale: 6/10.

François Legault

D'entrée de jeu, François Legault était plus détendu que lors du débat de 2012. Il a débuté sa présentation en étant agrippé à son lutrin, en utilisant beaucoup sa main droite et en penchant sa tête à droite, ce qui représente une gestion du stress et un grand contrôle du discours. Ce contrôle a rapidement fait place à un meilleur usage du côté gauche et à des réponses plus détendues, un procédé que j'ai revu à plusieurs reprises durant le débat: des débuts de réponses figées, autant verbalement que physiquement, mais qui devenaient plus fluides à mesure qu'il s'approchait de la fin de sa phrase. Il n'a pas refermé la bouche complètement entre ses réponses, signe qu'il avait énormément de choses à dire, notamment à propos des emplois et de la commission Charbonneau. J'ai toutefois remarqué son inconfort lorsque Pauline Marois a abordé le sujet de la taxe sur le patrimoine et lorsque Phillipe Couillard l'a traité de «souverainiste dormant», lors desquels François Legault a véritablement illustré le phénomène de la tortue avec un cou rabaissé et les épaules remontées, la bouche fermée et un transfert de poids vers l'arrière. Mais de façon générale, l'utilisation graduelle de son côté gauche et l'augmentation de l'amplitude de ses mouvements (beaucoup d'instance des sourcils, par exemple) au fil du débat démontre un intérêt envers l'échange, le partage et la communication de ses informations. J'ai, par contre, noté une tendance à utiliser davantage le côté droit de façon ferme, voire agressive, lors des interactions avec Philippe Couillard, signe d'une animosité marquée envers celui-ci. Ce besoin d'être sur la défensive n'est cependant pas sans fondement, lorsqu'on analyse la façon dont Philippe Couillard s'adresse à François Legault; il n'est pas étonnant que celui-ci réagisse aussi fortement.
Note globale: 7/10.

Françoise David

Madame David était de toute évidence stressée lors de sa présentation de départ, j'ai remarqué beaucoup de contractions au niveau du cou, plusieurs mouvements de langue et un menton surélevé, tous des signes de stress. Elle est devenue beaucoup plus active au moment où elle a abordé le sujet des emplois, ses deux mains étaient en direction de la caméra, en position d'action ou en position jointe, ce qui sous-entend qu'elle est prête à tous les défis grâce à son équipe, qu'elle n'a pas manqué de souligner par plusieurs gestes rassembleurs. Elle est demeurée très cohérente sur le plan non-verbal, et ce, tout au long du débat, une meilleure performance que lors du débat de 2012. Ses gestes allaient tout à fait dans le sens de ses propos, ce qui reflète qu’elle croit fortement en ce qu'elle dit. Son langage non-verbal était beaucoup plus détendu vers la fin du débat, la majorité de ses gestes étant axés sur une communication non-violente, avec notamment une fluidité au niveau des épaules et une grande quantité de mouvements de mains et de tête. À noter toutefois que les communications qu'elle recevait des autres chefs n'étaient en aucun cas violentes, ce qui a bien évidemment aidé à adoucir ses propos et ses gestes. J’aimerais bien la voir en situation d’attaque dans un autre débat pour voir de quel bois elle se chauffe lorsqu’elle est au centre des invectives.
Note globale: 8/10.

À propos d'Annabelle Boyer

Née à Mont-Laurier, dans les Hautes-Laurentides, Annabelle Boyer a un parcours hors normes. Son enfance est bercée par les histoires qu'elle imagine et transpose en théâtre et en littérature. À l'âge de 14 ans, elle découvre le karaté Shotokan qu'elle pratique encore aujourd'hui et dont elle applique les principes et la philosophie dans chaque sphère de sa vie. Après avoir obtenu un DEC en sciences, elle complète un baccalauréat en génagogie (consolidation d'équipe) puis une maîtrise en administration: Intervention et changement organisationnel. Aux termes d'une journée particulièrement éprouvante en gestion de conflits, elle découvre la synergologie: la lecture du non-verbal. Son esprit analytique est séduit par les recherches scientifiques et son cœur apprécie encore plus la possibilité de favoriser la communication pour rendre la relation plus authentique. Elle suit donc une formation de trois ans donnée par Philippe Turchet et Christine Gagnon. Elle obtient ainsi le titre de synergologue. Aujourd'hui encore, elle continue de se perfectionner.