À la mi-février,  Québecor et Groupe TVA annonçaient le licenciement de 240 employés. Une nouvelle qui a remué les braises d’un débat déjà amorcé depuis un moment, celui du contexte numérique changeant où règne une rude concurrence. Aujourd’hui, l’avenir des médias semble incertain à mesure que s'éparpillent les revenus publicitaires. Comment permettre à chacun, géants comme petits, d’obtenir sa part de tarte? Survol des pistes de solution avec Karine Courtemanche, cheffe de la direction des agences Touché! et PHD.  

Karine Courtemanche

L’annonce d’un congédiement de masse par Québecor met une fois de plus à l’avant-scène la triste réalité des médias d’ici, qui peinent à demeurer rentables face aux géants du web et aux diverses plateformes de diffusion. Ceux que l’on reconnaît par l’acronyme GAFAM auraient gobé jusqu’à 81% des revenus publicitaires numériques canadiens depuis une dizaine d’années, selon diverses sources.  

«La crise n’en est pas une de sous-financement, précise Karine Courtemanche. À ce jour, on a dépassé l'année record de 2019 au niveau du nombre d’investissements publicitaires au pays auprès de médias canadiens ou internationaux. C’est plutôt toutes ces plateformes numériques et de streaming qui ont séparé la tarte publicitaire en plusieurs parties. Certains se ramassent donc avec de plus petites pointes.»

La faute à qui?
Pour expliquer sa décision de réduction de personnel, Québecor pointait du doigt dans un communiqué «les géants numériques qui capturent actuellement des dollars publicitaires destinés aux entreprises d'ici», mais également «une iniquité flagrante de la Société Radio-Canada (...) et un traitement commercial hautement préjudiciable réservé à l'ensemble de ses services spécialisés par le distributeur Bell Télé». En plus de la bataille contre les acteurs web d'envergure mondiale, assiste-t-on présentement à une guerre médiatique interne ?

«Je ne pense pas que ça soit une bataille de parts de marché entre les différentes entreprises télévisuelles. Ça me semble une lecture peu productive, car selon moi, la situation en est vraiment une de sous-financement de la télévision par les annonceurs. Aussi, des pratiques permises à de grands joueurs globaux ne le sont pas pour des joueurs locaux», explique Karine Courtemanche.

Plutôt que de se pointer du doigt les uns les autres, un plan d’action où tous mettent la main à la pâte permettrait d’éventuellement améliorer cette conjoncture, selon la cheffe de la direction de Touché! et PHD. «Il y a trois piliers qui ont des responsabilités: les médias, le gouvernement et les annonceurs.»

La position des médias
Pour voir les choses évoluer en leur faveur, les entreprises médiatiques d’ici devront faire preuve non seulement de résilience, mais également d’innovation et d’audace pour se réinventer au rythme de l’évolution du numérique. 

«Les médias doivent s’assurer qu’ils adaptent constamment leur offre face aux nouvelles réalités du consommateur. Il y a des exemples positifs, comme La Presse, qui a complètement changé sa plateforme, et qui a dirigé sa vocation vers un OSBL, un modèle d’affaires basé sur les annonceurs, mais également sur les dons des lecteur·rices. Elle a réussi à tirer son épingle du jeu», illustre Karine Courtemanche. 

L’action des gouvernements
La spécialiste du placement média admet cependant que cette voie n’est pas toujours facile à prendre pour les entreprises médiatiques qui attendent toujours de bénéficier du coup de pouce annoncé par le gouvernement, notamment par l’entremise de la loi C-18. Cette dernière vise à «aider les entreprises de nouvelles à obtenir une indemnisation équitable lorsque leur contenu de nouvelles est rendu disponible par des intermédiaires de nouvelles numériques qui dominent le marché (...)». Le projet de loi, déposé au printemps dernier, n'a toujours pas été adopté. 

«Il y a une responsabilité gouvernementale de s’assurer qu’on crée un environnement où les grands joueurs globaux ne sont pas favorisés au détriment des acteurs locaux. Cette loi va permettre que ça ne devienne pas le Far West et va éloigner les situations de monopole.»

L’éducation des annonceurs
Les annonceurs ont également un rôle très important à jouer, selon Karine Courtemanche. Et il passe par une meilleure compréhension du déséquilibre actuel et la mise en place de pratiques d’investissement responsables. «Plusieurs études ont prouvé que le fait d’investir dans des médias locaux ne nuit pas à la performance des campagnes. Mais en ce moment, il y a un surinvestissement vers les grosses plateformes en ligne, notamment Google et Facebook et ce, même si les consommateurs passent 36% de leur temps de consommation à regarder la télévision traditionnelle. Le médium est donc sous-investi. L’éducation des annonceurs peut être un geste concret de support envers le contenu et les plateformes canadiennes, mais aussi une façon de mieux s'aligner avec les habitudes médias des gens.» 

Et les consommateurs ?
Oui, les consommateurs participeront également à améliorer la situation, croit-elle. Les contenus sont peut-être aujourd’hui facilement disponibles, mais leur pertinence dépend aussi de la publicité qui la supporte.

«Les consommateurs pensent souvent que la publicité est une nuisance. Mais cette pensée amène beaucoup d’évitement publicitaire, ce qui occasionne pour les médias locaux des difficultés de monétisation du contenu. On ne doit pas abandonner ce combat-là et continuer à éduquer le consommateur sur le fait que les mécanismes de financement sont ceux qui font vivre le contenu de qualité et les plateformes qui le diffusent.»