Ah, les fameux pitchs! Si vous avez déjà travaillé en agence, vous savez à quel point ceux-ci peuvent être exigeants, autant en temps qu’en argent. Pourtant, le travail livré ne voit généralement jamais la lumière du jour. Le processus est-il toujours pertinent? Le jeu en vaut-il la chandelle ? Que peuvent faire les annonceurs pour l’améliorer ? On s’est interrogé sur le sujet hautement débattu des appels de propositions avec l’aide de Julie Dubé, associée, vice-présidente exécutive, développement des affaires de LG2 et de Dominic Tremblay, fondateur et président de Tux.

Pitcher ou ne pas pitcher, telle est la question
Travailler sur un pitch, c’est un peu comme sprinter les yeux fermés pendant deux ou trois semaines. Les délais serrés et le manque de connaissance des enjeux de l’annonceur font souvent partie de l’équation. Mais, selon Dominic Tremblay, il s’agit d’un exercice nécessaire et fortement stimulant. «C’est la possibilité de créer une nouvelle relation, mais aussi de mettre de l’avant le talent des gens, soutient le président de Tux, une agence québécoise indépendante de taille moyenne. Sans pitchs, tout deviendrait une question de prix. Je préfère avoir l’occasion de faire valoir les idées de nos équipes.»

Cela ne signifie pas pour autant que les agences comme la sienne participent à tous les appels de propositions qu’elles reçoivent. Au contraire, chez Tux, comme chez LG2, la plus grande agence de création indépendante au Canada, des critères de sélection précis sont établis. Parmi ceux-ci, il y a évidemment la capacité interne, l’intérêt de l’agence et des équipes pour le secteur d’activité de l’annonceur et les défis proposés par ce dernier, le niveau de compétition et, surtout, le retour sur investissement.

«Un gros appel de propositions sans création peut coûter en moyenne 50 000 $ en temps. Un pitch avec création, peut facilement représenter 80 000 $ et, pour un compte de plusieurs millions, le montant peut atteindre plus de 200 000 $, affirme Julie Dubé. Le coût d'un processus de pitch devient donc un critère important à considérer.»

L’associée de LG2 ajoute aussi que la bienveillance est aussi un facteur à ne pas négliger. «Je dis toujours aux clients qu’un processus de sélection, c’est comme une date à double sens. Ils apprennent à nous connaître, mais, nous aussi, on apprend à les connaître. Du même coup, on prend le temps d'évaluer si nos talents auront du plaisir à collaborer avec ces potentiels clients au quotidien.»

Quelles sont les responsabilités des annonceurs?
Demanderiez-vous à une firme d’architecte de vous dessiner un plan de maison avant de l’embaucher et sans la rémunérer ? Le même principe s’applique aux spécialistes des agences de communication marketing. Les annonceurs ont d’abord le devoir de s’informer quant aux pratiques recommandées pour sélectionner leur nouveau partenaire. Selon les deux dirigeants d’agence, à cet égard, le Québec a évolué beaucoup plus rapidement que l’Ontario et les États-Unis, notamment grâce au travail de l’A2C. D’ailleurs, la première responsabilité qu’ont les annonceurs dans ce processus est de se référer au Guide de sélection des agences de l’A2C afin d’établir la bonne marche à suivre et d’éviter le travail spéculatif.

Qu’est-ce que le travail spéculatif ?
Le «travail spéculatif» correspond à tout travail stratégique ou créatif pour lequel une agence serait normalement rémunérée. Selon l’A2C, «l’utilisation de travail spéculatif dans le cadre d’un appel de propositions vient fausser les données et risque d’accorder une importance démesurée à un exercice de style au détriment des autres critères d’évaluation».

Pour Dominic Tremblay, idéalement, «un pitch n’est pas évalué sur la réponse, mais sur la démarche. Parce qu’il faut travailler rapidement sans nécessairement connaître la réalité du client, la façon de faire les choses est plus évocatrice que le produit final.» Il ajoute également que les délais raisonnables et le franc jeu sont toujours hautement appréciés.

«Ce qu’il y a de plus frustrant pour une agence, c’est quand le processus manque de transparence, admet-il. Quand les dés sont pipés, ce n’est pas un vrai appel de propositions.»

L’ère de l’anti-pitch
Pour éviter que les agences ne se démènent pour rien, Julie Dubé abonde dans le sens de l’A2C: les annonceurs doivent s’intéresser davantage aux réalisations passées des agences et à leurs résultats, ainsi qu’à la chimie entre les équipes.

«Ce qui est révolu, à mon avis, c’est la grosse présentation à la Mad Men, pense-t-elle. On est un peu rendus dans l’anti-pitch. Les gens veulent plus jaser que se faire vendre des idées. On doit faire parler les clients beaucoup plus que nous pour d’abord et avant tout les comprendre.»

On entrerait donc dans l’ère de l’humain, du dialogue, du fit. Bien sûr, il y aura toujours des petites boîtes à cocher et des règles de gouvernance, mais dans un secteur de services comme la communication marketing, ce qu’on achète, c’est le talent. Et le talent, ce sont les gens. S’il y a une chose que les agences souhaitent continuer de voir davantage, ce sont ces occasions d’échanger avec les annonceurs, de comprendre leur vision et leurs angoisses. C’est dans des moments comme ceux-là que naissent les grandes idées et les relations durables.

pitchJulie Dubé, associée, vice-présidente exécutive, développement des affaires de LG2 et Dominic Tremblay, fondateur et président de Tux.
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