TW : Suicide 

Votre comportement sur les réseaux sociaux – et son utilisation – minent-ils votre santé mentale, et par ricochet, physique? Si la tentation de consulter vos réseaux dès le réveil est tenace, « nous avons un problème, Houston ».

Amour, haine et danger, fredonne la chanteuse belge Angèle, dans son tout nouveau single relatant son rapport aux réseaux sociaux et à l’importance qu’elle confère à son smartphone. L’artiste n’a pas faux. Plus que jamais, le temps d’écran s’est intensifié dans les dernières années, avec un pic bien évident lors des premières vagues de la Covid-19. D’après les données de Statistiques Canada, entre novembre 2020 à mars 2021, 75% des Canadien·nes de plus de 15 ans s’adonnaient plus souvent à diverses activités liées à Internet, et près de la moitié des Canadien·nes (48%) ont déclaré avoir pris part à au moins une activité de ce type pour la toute première fois pendant la pandémie.

Insta, Insta, dis-moi qui est la plus belle
En France, 16% des 15-24 ans présentent des syndromes dépressifs selon une étude de la DRESS. Au Canada, la dépression frappe davantage les 15-24 ans que le reste de la population. Aux États-Unis, la revue scientifique Health Communication publiait une étude illustrant le lien de corrélation entre les réseaux sociaux et la santé mentale des adolescent·es. Ainsi, 1 ado sur 6 a un niveau de consommation « gravement problématique » des réseaux sociaux. Les chercheur·es Patricia Conrod et Elroy Boers, de l’Université de Montréal et du CHU Sainte-Justine, estiment que c’est plutôt l’univers des médias sociaux et de la télévision qui encourage des comparaisons sociales associées à une diminution de l’estime de soi, menant à l’augmentation des symptômes de dépression. Parmi les comportements problématiques, on pointe du doigt le « doomscrolling » qu’on pourrait traduire par « défilement morbide ». Chez les gens ultra connecté·es sur les plateformes sociales, faire défiler du contenu anxiogène de manière quasi mécanique au quotidien peut entraîner plusieurs troubles comme l’augmentation du stress, de l’anxiété, de l’insomnie et peut aller jusqu’à la dépression. Cette pratique est liée au « FOMO », le « Fear of Missing Out », c’est-à-dire la peur de manquer un événement ou quelque chose qui se passe (en ligne), créant ainsi de l’angoisse, surtout chez les jeunes. À noter que le « doomscrolling » ne crée pas de troubles, mais les amplifie. La psychologue et spécialiste numérique Vanessa Lalo indiquait à Europe1 qu’une personne anxieuse va chercher à reprendre le contrôle de l’information en allant chercher plus d’informations pour se rassurer. Le hic? C’est que ça a l’effet inverse, générant ainsi de l’anxiété, déjà là au préalable. Et que dire de l’existence de filtres et d’applications de retouche photo qui subliment son minois en quelques clics? Des études établissent de plus en plus de liens entre les selfies fortement filtrés et l’insatisfaction corporelle accrue. Ce phénomène porte le nom de « Dysmorphie Snapchat ». Cette dysmorphie se produit lorsque vous comparez un égoportrait filtré à votre apparence réelle allant jusqu’à vouloir souhaiter modifier vos traits afin qu’ils correspondent aux images filtrées. Une étude de 2020 sur 481 étudiant·es universitaires suggère que passer plus de temps à regarder des selfies pourrait augmenter votre insatisfaction à l’égard de votre propre visage. De plus, passer davantage de temps à regarder des selfies  pourrait vous amener à faire plus de comparaisons entre vous et les autres. Et la comparaison ne s’arrête pas qu’au physique. D’après un sondage américain, près de 47% de la génération Z et 46 % des millenials ont déjà ressenti de la jalousie, de l’anxiété, de la honte ou de la colère par rapport à leur situation financière à cause des publications sur les réseaux sociaux.

C’est la faute à l’algorithme
Les algorithmes sont-ils vraiment nos amis? Sur les médias sociaux, les algorithmes vont sélectionner les contenus qui nous seront montrés à partir de nos goûts et de nos comportements numériques. Fan de vidéos de chats? Chats et autres bêtes défileront dans votre feed. Fan de fitness? Vidéos d’entraînements recommandées ce sera. L’objectif du « méchant » algo est de vous garder le plus longtemps possible en ligne – ça génère des vues, des likes, des commentaires et de l’engagement – de sorte que les grosses machines comme TikTok et Meta se font la palette grâce aux annonceurs et aux profits au détriment de votre santé mentale. L’affaire Facebook Files, vous connaissez? La lanceuse d’alerte France Hugens, ingénieure et ancienne de Facebook, reprochait à la société de privilégier les profits plutôt que la sécurité des utilisateur·trices en 2021. Plus récemment, en octobre 2022, et ce, pour la première fois, un tribunal a déclaré que des contenus préjudiciables publiés sur Instagram et Pinterest ont joué un rôle dans la mort de l’adolescente britannique Molly Russel en 2017. D’après ce que rapporte The Guardian, il s’agit d’un acte « d’automutilation alors qu’elle souffrait de dépression et des effets négatifs des contenus en ligne ». En effet, l’adolescente a vu plus de 16 000 contenus sur Instagram (dont 2100 étaient liés au suicide, à l’automutilation et à la dépression) au cours des six mois précédant sa mort. Sur son compte Pinterest, plus de 400 images liées à des sujets similaires ont été décelées. À la suite de cette tragédie, Pinterest a grandement augmenté ses moyens pour lutter contre les publications dangereuses pour ses utilisateur·trices, et propose de l’aide aux personnes cherchant des termes liés au suicide. De son côté, un porte-parole de Meta n’a pas spécifiquement annoncé de mesures, mais a assuré que la société s’engage à ce qu’Instagram soit une expérience positive, surtout chez les adolescent·es. Pour rappel, des systèmes de préventions existent sur ce réseau.

« Le but des compagnies derrière les réseaux sociaux est d’attirer notre attention et de la maintenir. Les données recueillies servent à la personnalisation des publicités et de nous envoyer du contenu qu’on aime. C’est tout à leur avantage que les utilisateur·trices développent le réflexe de regarder leur téléphone le plus souvent possible. Mais ce réflexe varie beaucoup d’un individu à l’autre, partage Emmanuelle Parent, cofondatrice et directrice générale du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne (CIEL). On a remarqué que les réseaux sociaux vont exacerber des vulnérabilités individuelles qu’on a déjà ». Par exemple, si vous faites de l’insomnie et que vous êtes accro aux écrans, vous risquez d’entamer une émission avant le coucher. Puis une autre. Ah, une p’tite dernière… vous empêchant de trouver sommeil. Idem si on s’expose à des standards de beauté irréalistes. En portant attention à des comptes présentant ces dits standards, l’algorithme en déduit qu’on apprécie ce type de contenu et continuera de nous en pousser davantage. Si bien qu’on sera surexposé·e, impactant notre perception de soi. Selon Emmanuelle, un même contenu peut inspirer une personne, mais en rebuter une autre. Un contenu qui nous fait du bien peut également ne plus nous faire du bien à un moment clé de notre vie. Si on tente de concevoir un enfant pendant une longue période de temps, il se peut que les photos et vidéos de nouveaux-nés, on trouve ça moins cute. « Il y a vraiment un appel à l'introspection quand on parle de l'impact des réseaux sociaux parce qu'ils jouent un rôle un peu différent dans notre vie », relate Emmanuelle.

Pas que du mauvais
À l’inverse, les médias sociaux peuvent aussi avoir de bons côtés. Non seulement ils servent à rester en contact avec ses proches, même à distance, communiquer et s’informer, on y a vu naître des mouvements sociaux et militants pour amplifier les voix des plus marginalisé·es, démuni·es et ouvrir la conversation sur un tas d’enjeux importants. Pour une pléthore d’adolescent·es, les réseaux sociaux sont une façon de tisser des liens au-delà du IRL (In Real Life). Les jeunes peuvent chercher des communautés fondées sur des intérêts communs – sports, culture, causes et musique, entre autres. Au sein de ces dernières, il·elles peuvent créer de véritables amitiés avec des gens depuis n’importe où dans le monde avec des perspectives et des visions divergentes. Les réseaux peuvent devenir une tribune et un réseau de soutien pour les jeunes, notamment pour les communautés 2SLGBTQIA+. « Il y a des opportunités géniales de pouvoir connecter avec les autres. On peut avoir accès à une communauté aux mêmes intérêts que nous, qui nous rejoint et qui nous offre un soutien et support moral », illustre Emmanuelle.

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Naviguer (et doser) intelligemment
La fondation CIEL, cofondée par Emmanuelle et Alexandre Champagne, ouvre le dialogue sur les enjeux du numérique liés à notre santé mentale afin de rendre la relation entre les gens et les réseaux sociaux plus positive. Par le biais de conférences et d’ateliers de bien-être numérique en collaboration avec des expert·es multidisciplinaires, l’organisme a pour mission de sensibiliser la population à adopter des comportements plus sains. À travers ses ateliers d’autodéfenses numériques, CIEL discute avec les jeunes de 14 à 17 ans dans les écoles secondaires et les Cégeps. « On est beaucoup en prévention pour parler des problématiques qui peuvent émerger en lien avec notre usage des écrans. On va parler à des jeunes qui n’ont peut-être pas de problèmes et qu'ils n’en développeront peut-être pas non plus », détaille Emmanuelle. Les ateliers reposent beaucoup sur la participation des jeunes, qui sont très allumé·es et à l’affût de leur propre usage des écrans. En plus de démystifier l’effet de l’utilisation numérique sur le bien-être, de développer leur esprit critique et réaliser les impacts des écrans sur les relations sociales et les notes scolaires, le CIEL donne des trucs pour bénéficier le plus possible des avantages des écrans et en minimiser les effets négatifs. D’après Emmanuelle, plus nous sommes conscient·es des mécanismes des plateformes pour assurer notre attention, plus nous aurons conscience que nous avons un contrôle sur les algorithmes qui s’affinent selon nos préférences. Si un contenu nous fait sentir inadéquat·e ou dévalorisé·e, on n’hésite pas à se désabonner. « On essaie de transformer nos fils d’actualité, on veille à ce que le contenu consommé corresponde à nos valeurs et on suit des choses qui nous font du bien », dit-elle. « On peut couper la lecture automatique sur YouTube, par exemple, limiter le plus possible les notifications des applis en les mettant sur « mute », ou installer des temps limites d’utilisation quotidienne », conseille Emmanuelle. On peut même aller jusqu’à supprimer une application de son téléphone lorsqu’on a besoin de se concentrer. Conseil d’un élève ayant participé à un atelier du CIEL, qui disait supprimer l’appli TikTok en période d’examens! Aussitôt les examens terminés, l’appli retrouvait sa place sur son mobile. Vous voyez? Il suffit de bien doser son utilisation des réseaux et savoir quand prendre une pause. Se retirer des réseaux pendant une semaine peut améliorer le bien-être et réduire les symptômes de dépression et d’anxiété, selon des chercheurs de la University of Bath, au Royaume-Uni. Pour certain·es participant·es de l’étude, cela impliquait de libérer environ neuf heures de leur semaine qui auraient autrement été consacrées à « doomscroller » sur Instagram, Facebook, Twitter et TikTok. Autre truc pour éviter une surconnexion permanente sur le mobile (et préserver sa santé mentale) est d’installer les applications que sur l’ordinateur. Selon la cofondatrice du CIEL, une réflexion s’impose sur sa vie en général, son plaisir, sa gestion des priorités et voir comment les écrans s’insèrent dans notre vie. « Souvent, les gens qui ont une vie à l’extérieur des réseaux grâce aux ami·es, aux sports, aux loisirs, etc., vont avoir un usage des écrans plus harmonieux », résume Emmanuelle.

Si vous aviez 9h de plus par semaine, que feriez-vous de votre temps?

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  • En cas d’idées suicidaires ou d’inquiétudes liées avec le suicide, demandez de l’aide pour vous et vos proches. Suicide Action Montréal soutient la clientèle vulnérable 24h/24, 7j/7 : 1-866-277 3553
  • Le bien-être en comm marketing (bec) est là pour vous 24h/7 aussi :  1-888-355-5548.
  • Si vous souhaitez pousser la réflexion sur l’impact des réseaux sociaux sur les femmes et les selfies, consultez l’étude «Selfies de femmes, négociation normative et production de culture visuelle sur Instagram et Facebook» de Chiara Piazzesi, professeure au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et de Catherine Lavoie Mongrain, doctorante en sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
  • Intéressées par les ateliers de défense autonumériques du CIEL? Visitez https://leciel.ca/.  

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