À l’approche des élections, le Grenier s’est entretenu avec l’expert Pierre Gince, président de Mesure Média, pour connaitre ses observations sur les stratégies de communication des cinq principaux partis de la campagne électorale.

GAN: Quelles sont les clés d’une bonne stratégie de communication en campagne électorale?
PG: Une campagne électorale, c’est beaucoup plus semblable qu’on le pense au quotidien de toute organisation! La clé de la réussite est la même: des objectifs clairs et réalistes, une stratégie réfléchie et logique, des messages crédibles et percutants qui vont rallier les troupes et une évaluation en profondeur. 

GAN: Quel était le plus grand défi communicationnel de la campagne de 2022?
PG: Pour tou·tes les chef·fes, à l’exception de François Legault, le défi était d’exister. Depuis 2018, surtout dans le contexte de la pandémie, le premier ministre a occupé une place dans les médias qu’aucun autre premier ministre du Québec n’avait occupée jusqu’à maintenant. En raison de ce monopole, les quatre autres chef·fes, dont trois sont nouveaux à la barre de leur parti, devaient parvenir à se définir. Celui qui partait avec le plus grand déficit de notoriété et qui a le mieux réussi l’exercice à mon avis, c’est Paul Saint-Pierre Plamondon. Si les gens ne connaissent pas encore forcément son nom, il n’est certainement plus seulement le «monsieur du PQ».

GAN: Toujours du point de vue de la communication, quels ont été les principaux bons coups des partis?
PG: Le grand paradoxe de cette campagne électorale, c’est qu’il n’y a jamais eu autant de communicateur·trices, mais aussi peu de bons coups. 

En voici tout de même quelques-uns, selon Pierre:
Gabriel Nadeau-Dubois

  • Il a réussi, depuis quelques années, son repositionnent en deux étapes: de «carré rouge» à parlementaire crédible, puis de co-porte-parole secondaire de parti à co-porte-parole principal et papa avec des cheveux grisonnants.
  • Son ton s’est beaucoup assagi, et il maîtrise l’art du non verbal. Il prend, par exemple, des pauses en parlant et plisse les yeux, ce qui est considéré comme un signe de sagesse.

Éric Duhaime

  • Il est parvenu à obtenir la crédibilité nécessaire pour obtenir une couverture médiatique importante et une présence aux débats des chefs.
  • Il est le seul chef de parti à avoir tenu des rassemblements importants de militantes et de militants (plusieurs centaines de personnes au début, puis environ 2 000 personnes au Centre Vidéotron).
  • Les médias le trouvent divertissant! Que l’on soit pour ou contre ses idées et son parti, il contribue aux cotes d’écoute et au lectorat des médias.

Paul Saint-Pierre Plamondon

  • Il a surpris avec des performances au-delà des attentes aux débats. Il est maintenant enraciné dans le paysage politique.

GAN: À l’inverse, quels ont été les moins bons coups?
PG: Tou·tes les chef·fes ont complètement ignoré le sujet primordial qu’est l’éducation. Aux deux tiers de la campagne électorale, alors qu’il y a eu plus de 19 000 retombées dans les médias traditionnels, seulement 6% sont liées à l’éducation… alors que 13% sont associées au troisième lien.

Par ailleurs, en ce qui a trait aux nouveaux et nouvelles Québécoi·ses, les chef·fes ont beaucoup parlé des quotas et du déclin du français sans réellement aborder les mécanismes d’intégration.

Individuellement, les chef·fes et leurs partis ont aussi commis certaines erreurs. Voici un résumé de celles relevées par Pierre.

Éric Duhaime

  • Le pire faux pas a été celui d’Éric Duhaime. Même s’il connait très bien l’importance que peuvent prendre «les squelettes dans les placards», il n’a pas pris la peine de régler— avant la campagne électorale — la question des taxes payées par ses locataires et sa facture non payée chez Hydro-Québec.

François Legault

  • Dès le début de la campagne, il a donné l’impression qu’il n’avait pas envie d’être là. Son langage non verbal lors des débats (un visage renfrogné), par exemple, a été particulièrement éloquent.
  • Le premier ministre a fait des déclarations polarisantes et blessantes comme affirmer que l’histoire douloureuse de Joyce Echaquan était «réglée», comme établir des liens entre violence et immigration ou encore appeler Dominique Anglade «cette madame».

Dominique Anglade

  • Elle n’est tout simplement pas parvenue à communiquer sans l’ombre d’un doute la pertinence de voter pour le Parti libéral en 2022.
  • L’erreur de plusieurs milliards de dollars dans le cadre financier a certainement fait mal au parti qui a longtemps été reconnu comme étant celui de l’économie.

Gabriel Nadeau-Dubois
L’engagement électoral de taxer les gens qui ont des biens d’une valeur de  plus de 1 million $ a été mal ficelé et mal communiqué. Résultat: la CAQ l’a qualifié de «taxe orange» et a réussi à démoniser l’idée.

GAN: Quel parti a proposé le meilleur slogan?
PG: Le slogan «Continuons» de la CAQ est habile parce qu’il laisse planer une volonté de changement sans promettre quoi que ce soit. Cependant, le slogan qui se démarque le plus est celui du Parti conservateur: «Libres chez nous». À la fois parce qu’il s’agit d’un clin d’œil au formidable «Maîtres chez nous» de l’équipe de Jean Lesage en 1960 et parce qu’il comprend le mot «libres» qui n’a pas été galvaudé contrairement à «liberté». 

GAN: Quel rôle peuvent jouer les mots-clés dans une campagne électorale?
PG: D’abord, il y a des mots qui sont plus clairs que d’autres. La fameuse «taxe orange» a été le mot-clé le plus efficace de cette campagne électorale parce qu’il est clair. Ça, ça marche très bien. En revanche, il y a des mots-clés, comme l’expression «décorations d’Halloween» utilisée par Gabriel Nadeau-Dubois, qui porte à confusion. Il a dû expliquer ses propos en poursuivant avec «arrêtez de faire peur au monde», alors qu’il aurait pu cristalliser son message en moins de mots en s’en tenant à la deuxième partie. Ç’aurait été plus efficace! Les décorations d’Halloween, c’est coloré, mais ce n’est pas payant.

GAN: Y a-t-il un·e chef·fe qui a communiqué de façon plus novatrice que les autres? 
PG: Non. La communication politique ne s’est pas rendue en 2022. C’est en quelque sorte toujours le même monde qui se parle à lui-même. À mon avis, il existe encore un trop grand écart entre les mots qu’utilisent les stratèges politiques et ceux qu’utilise la population dans la vraie vie. Un exemple bien simple est l’utilisation du mot «enjeu» dans le slogan du Parti libéral. Les gens ne disent pas ça, ils disent «problème». Pour conclure, c’est comme si les marques que sont les partis politiques créent encore, en 2022, des produits sans tenir compte de qui les utilisera…

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