La campagne électorale provinciale est terminée, et on a entendu toute une panoplie de discours et de promesses de la part des politiciens en lice. Ils viennent de tous les horizons, et apportent leur propre bagage d’expériences dans leur travail, mais ils ne sont pas seuls lorsque vient le temps d’écrire leurs fameux discours. Qui sont les rédacteurs en coulisses, qui trouvent les bons mots pour nos politiciens?

Des parcours variés
Relations de presse, sciences politiques, communications: il y a plusieurs façons d’intégrer l’équipe d’un politicien et de participer à la rédaction de leurs discours et allocutions publiques. Patrice Servant, expert en rédaction stratégique pour TACT, en sait quelque chose, car c’est en tant que journaliste à la radio qu’il commence sa carrière, avant de se lancer en rédaction de discours et en argumentation publique. «C’est avec la radio que j’ai appris à maîtriser la rédaction dans une langue parlée. J’ai eu l’intuition qu’il y avait des besoins, et j’ai commencé à travailler avec différents cabinets de relations publiques. J’ai d’abord travaillé auprès de dirigeants d’entreprises, et en 2002, par hasard, j’ai appris que Jean Charest avait besoin d’un rédacteur de discours, et je suis entré à son service», nous explique-t-il. Patrice passera presque 10 ans aux côtés de Jean Charest, dont 8 ans alors que ce dernier était premier ministre. Il a aussi écrit pour d’autres politiciens, autant au fédéral qu’au provincial, incluant Justin Trudeau, Philippe Couillard, Monique Jérôme-Forget, et Denis Coderre, pour n’en nommer que quelques-uns.

L’anatomie d’un discours
Comment ce genre de collaboration fonctionne-t-elle? Est-ce une vraie collaboration, ou une commande détaillée pour le rédacteur? Patrice Servant avoue que cela peut dépendre du politicien en particulier, mais qu’habituellement, il s’agit d’une collaboration étroite: «Par exemple, Jean Charest, il avait une façon particulière de travailler parce que c’était un orateur très habile. Il pouvait très bien partir avec le texte dans sa poche et livrer le discours, parce qu’il avait travaillé minutieusement le texte dans les jours précédents. Il sortait son Sharpie noir et annotait le texte, marquait ses intonations, etc.» Force est de constater que tous les politiciens ne sont cependant pas aussi charismatiques et habiles devant un public qu’un M. Charest ou un M. Trudeau, puisque certains sont plutôt des lecteurs qui s’accrochent au texte, ce que Patrice trouve dommage, puisqu’un texte lu n’a jamais le même impact qu’une interprétation spontanée.

Il nous explique également qu’un discours est composé de quatre éléments: un texte, un contexte, un orateur et un public. Un discours réussi, c’est lorsque tous ces éléments fonctionnent bien ensemble, mais parfois, lorsqu’on sait que ce discours sera prononcé devant un public hostile ou sur un sujet litigieux, on se prépare à vivre un moment difficile. À ce moment-là, un discours réussi, c’est simplement un discours qui atteint les objectifs de communication de l’équipe. «À l’opposé d’un texte journalistique, un discours politique est une œuvre de conviction qui cherche à influencer les gens, c’est donc un genre de plaidoyer. Pour convaincre, on prend des raccourcis, ou on écarte certains éléments de l’histoire pour se concentrer sur ceux qui font notre affaire», ajoute Patrice. «Il y a donc une interprétation de la réalité, en politique, qui est orientée sur les objectifs.»

Et les convictions des rédacteurs, là-dedans?
C’est en expliquant cette dernière facette de la rédaction de discours politique que Servant explique pourquoi il a éventuellement quitté ce milieu pour se concentrer sur les communications de chefs d’entreprises: s’orienter selon les convictions partisanes, après un moment, ça use. Y a-t-il des enjeux éthiques personnels à écrire des discours pour des politiciens lorsque ceux-ci veulent communiquer quelque chose avec laquelle nous ne sommes pas d’accord?

Patrice explique qu’il navigue ça comme un avocat: «On est en démocratie, alors lorsque j’écris un discours, il faut que je fasse abstraction de ce que je pense, et j’essaie de faire en sorte que la personne avec qui je travaille soit bien comprise pour que les citoyens puissent juger. Cependant, c’est sûr que je ne pourrais jamais travailler pour certaines personnes dont les idéologies vont à l’encontre des miennes, comme écrire contre le droit à l’avortement, par exemple, donc il y a certaines lignes que je ne peux pas franchir.»

Au même titre que le métier de politicien, celui de rédacteur de discours est un métier de conviction, jusqu’à un certain point, en plus d’un défi de communication; au plus grand nombre le plus clair et convaincant possible. En période d’élections, il s’agit aussi d’un travail frustrant et sous pression: les élections offrent peu de temps pour communiquer ses objectifs et se faire comprendre sur un éventail gigantesque d’enjeux et de sujets d’intérêt.

On souhaite un bon repos à tous les attachés de presse.

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