Quand on vous dit qu’elle n’est pas réelle, vous avez du mal à y croire. Vous épluchez toutes les photos du fil Instagram de Lil Miquela et puis vous finissez par identifier cette chose qui cloche avec la mannequin Brésilienne-Américaine de 19 ans, suivie par trois millions de personnes. L’illusion est si bien travaillée que vous auriez pu tomber dans le piège: la jeune fille porte des marques de streetwear comme Supreme et d’autres fois des marques de luxe comme Chanel; elle fréquente de vrais restaurants branchés à New York et à Los Angeles; elle a un reflet dans le miroir et projette une ombre. Pourtant, elle n’est pas réelle.

Lil Miquela est en réalité un avatar conçu de toutes pièces par la petite startup Brud. Basée à Los Angeles, l’entreprise a pour ambition de redéfinir la manière de raconter des histoires et souhaite utiliser l’engagement et l’influence de la communauté par rapport à la technologie: «Depuis le premier jour, Brud a pour objectif de créer de nouveaux modèles de storytelling. Et nous l’avons fait. Nous avons créé Miquela, et des millions de fans sont intervenu·es pour l’aider à avoir un impact massif sur la culture. C’est pourquoi, à partir de cette année, nous ouvrons un écosystème de technologies alimentées par la communauté pour construire des histoires et des mondes.» Quand on pense à Lil Miquela et aux autres influenceur·euses virtuel·les, on peut se demander ce qu’ils et elles apportent à une communauté. Selon Christopher Travers, fondateur de VirtualHumans.org, «les influenceur·euses virtuel·les améliorent et humanisent la relation du monde avec les expériences numériques.» D’autres sont plus sceptiques et ne sont pas si convaincu·es par la personnification de l’ordinateur sur les réseaux sociaux.

Il devient difficile de statuer: un avatar complètement modelé par une agence peut-il inspirer une nouvelle façon de raconter des histoires? Peut-être: Lil Miquela est commanditée par plusieurs marques et inspire les autres avec des photos d’elle dans une grande ville. Elle vend du rêve autant qu’elle vend des produits. Tout ça semble relever de la science-fiction et pourtant, c’est déjà bel et bien en place. La présence de plus en plus grande et pourtant souvent très discrète de l’intelligence artificielle a-t-elle des chances de changer la manière de faire du marketing?

Intelligence artificielle (IA) et marketing numérique
Quand j’ai demandé ce qu’ils pensaient de cette Lil Miquela à Guillaume Petitclerc, cofondateur de Moov AI, et à Olivier Blais, cofondateur et VP science de la décision chez Moov AI, les deux ont souri en coin. «C’est quand même cool quand tu y penses, a dit Olivier Blais, ce n’est personne et en même temps c’est un système. Ça devient presque l’équivalent d’un chatbot, qui, dans les faits, sert à faire vivre une expérience positive à des utilisateur·trices. Mais, au lieu de vivre une expérience conversationnelle, ici tu expérimentes une interface visuelle. Et c’est assez cool de penser à ce genre d’initiatives, puisqu’à mon avis, l’écosystème du marketing numérique est propice à une ouverture sur l’IA en ce moment.» 

Plusieurs personnes ont tendance à penser à des ordinateurs qui parlent (comme Siri ou Alexa) ou à des voitures qui se pilotent d’elles-mêmes quand on parle d’IA. En réalité, l’IA se manifeste sous forme d’outils et d’applications fonctionnant discrètement dans l’ombre, rendant nos stratégies marketing plus simples en automatisant des tâches ou en faisant des prédictions, nous dit Guillaume Petitclerc. « L’IA est déjà bien présente dans l’univers numérique et représente une boite à outils très précieuse pour les entreprises marketing ou les agences. En fait, si on s’intéresse aux meilleurs outils et qu’on cherche constamment à aller au-devant de sa compétition dans le marché, on doit regarder l’IA sous un bon œil. C’est un outil qui coûte cher à développer, mais qui peut être extrêmement utile pour la collecte de données, pour la compréhension des insights, pour l’automatisation de certaines tâches, pour la personnalisation des courriels et des contacts avec la clientèle ou pour l’expérience utilisateur. Moi je vois ça comme des outils qui servent et qui accompagnent les équipes marketing et non le contraire. Je crois qu’il faut savoir utiliser intelligemment ces outils pour en tirer profit.»

Gestion du risque
Aujourd’hui, le terme IA est utilisé pour décrire un logiciel capable d’apprendre, de collecter et d’évoluer de manière autonome. Alors que des machines pouvaient aider à soulever des charges lourdes ou à faire des opérations mécaniques, on peut maintenant se fier aux ordinateurs pour aider à répondre à des questions qui nécessitent de l’analyse et de la réflexion. «C’est vrai, si l’IA reçoit les bonnes données, avise prudemment Guillaume Petitclerc. On vante souvent l’autonomie de l’IA, mais il faut être prudent·es avec ça. L’image est importante pour les marques, et il faut comprendre qu’avec l’IA il y a toujours un certain risque de dérive, on peut prendre l’exemple récent du chatbot de Microsoft qui apprenait constamment des discussions et qui est devenu raciste et antisémite parce que des trolls ont alimenté des conversations qui allaient dans ce sens. À mon avis, on ne peut pas se fier aveuglément sur l’IA, on doit rester à l’affût de ses apprentissages et on doit la modérer régulièrement afin d’en tirer un maximum de profit.» Son collègue Olivier Blais est tout aussi d’accord avec cette vision de la gestion du risque: «Plus une IA devient sophistiquée, plus tu ajoutes des risques. On l’a vu avec Microsoft, c’était un outil très sophistiqué… On l’a aussi vu avec une application de photos de Google qui est devenue raciste.»  

La collecte de données et la loi C-27
Si l’intégration de l’IA dans nos opérations peut s’accompagner de certains risques, il reste que cet outil peut être particulièrement efficace à l’ère du marketing numérique. «On peut en apprendre beaucoup sur la clientèle et sur ses intérêts, affirme Guillaume Petitclerc. La publicité ciblée sur Facebook ou encore les moteurs de recommandation développés par Amazon sont accompagnés par des technologies d’apprentissage automatique qui leur permettent de devenir de plus en plus efficaces à mesure qu’elles reçoivent des données de la clientèle et des habitudes d’achat. Je suis d’avis qu’on doit d’abord penser à une stratégie marketing et ensuite voir si une IA peut nous aider à atteindre nos objectifs, et non l’inverse.» 

En terminant, Olivier Blais réitère l’importance d’avoir une bonne gestion des données, tout en rappelant l’application très proche du projet de loi C-27: «Cette loi va changer plusieurs choses importantes et d’ailleurs, on travaille sur un article qui l’explique et qui sera publié sur Moov AI. En gros, la loi C-27 vient changer la manière dont on collecte les données, c’est pourquoi on doit faire preuve de prudence avec l’IA, et surtout, on doit absolument gérer et contrôler les données personnelles de la clientèle de manière organisée. L’IA peut aider à le faire, mais on doit d’abord s’assurer que les bonnes bases sont là.» 

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