Connaissez-vous la biométrie? Ce procédé technologique consiste à utiliser les caractéristiques physiques, biologiques et même comportementales des individus à des fins d'identification. Souvent pointée du doigt pour ses contours flous, cette technique soulève plusieurs questionnements en lien avec le partage d’informations personnelles et le respect de la vie privée. Me Frédéric Letendre, avocat et associé de la firme Yulex, spécialiste de la question, nous éclaire sur la situation.

Frederic Letendre
Frederic Letendre

Le concept de biométrie ne date pas d’hier, mais tient depuis une dizaine d’années un rôle de plus en plus important à mesure qu’évoluent les innovations technologiques du numérique. La collecte de données biométriques peut être nécessaire dans différents cas de figure. On l’utilise notamment pour des besoins de sécurité (aéroport, immigration, etc.), pour des appareils de communication (ouvrir un cellulaire, confirmer l’achat d’une application), ou même dans les milieux du commerce et de la vente (identifier un client, personnaliser un service). Les données biométriques se divisent aussi en trois catégories distinctes. 

«On retrouve la biométrie morphologique, qui se base sur l’identification de traits physiques, comme la reconnaissance des empreintes digitales, ou la forme de la main, du visage et de l'œil. La biométrie comportementale consiste quant à elle à l’analyse des comportements d’une personne, par exemple sa signature, sa voix, sa démarche, etc. Finalement, les données de la biométrie biologique regroupent les traces d’une personne, comme l’ADN, le sang, la salive ou l’urine», explique Frédéric Letendre, avocat spécialisé en droit national et international des affaires, de la propriété intellectuelle et du droit des technologies.

Ces différentes catégories ont un point central en commun: elles regroupent des données à caractère (très) personnel. Bien que plusieurs s’interrogent sur l’utilisation abusive de ces informations privées par les entreprises ou les instances gouvernementales, il n’en demeure pas moins que l’usage de la biométrie comporte des avantages. «La biométrie est très utile et pratique, car les données biométriques sont propres à un individu (ex.: ADN, empreintes, reconnaissance faciale, iris…) et elles ont la particularité d’être uniques et permanentes. Elles sont difficilement reproductibles et utilisables par quelqu’un d’autre que l’individu en question par opposition, par exemple, à un mot de passe. Par contre, cela soulève une interrogation au niveau de la vie privée, étant donné qu’une fois qu’une personne est associée à des caractéristiques biométriques, il devient beaucoup plus difficile d’échapper à l’identification», précise Frédéric Letendre

Une pratique qui fait polémique
Dans sa thèse dédiée au sujet de la biométrie publiée en 2014, l’avocate Julie M. Gauthier explique que l’utilisation de plus en plus courante des données biométriques s’inscrit dans un besoin toujours grandissant de contrôle de la sécurité (notamment observé depuis les événements tragiques survenus le 11 septembre 2001). Une tendance aussi présente chez les entreprises privées ou publiques qui souhaitent se protéger de la fraude ou du vol d’informations. Chose certaine, la popularité grandissante de la collecte biométrique laisse profiler certaines problématiques au niveau de l’éthique, de la protection de la vie privée et même du libre arbitre. 

«Un des enjeux majeurs en lien avec les données biométriques est le fait que les données sont publiquement accessibles, croit Frédéric Letendre. Les informations en lien avec la reconnaissance faciale peuvent facilement être capturées sans qu’on en soit conscient (partage de photos, vidéos). Un autre exemple: les empreintes digitales. Elles peuvent être facilement collectées, car on laisse des empreintes en touchant différentes surfaces. L’information en lien avec notre iris peut être recueillie secrètement à une distance pouvant atteindre deux mètres. Bref, on ne sait pas quand et comment on partage nos informations biométriques, dans un contexte où l’information est facilement accessible.»

Pour Frédéric Letendre, il est certain que le débat sur la biométrie et les limites de son utilisation soulève plus d’un questionnement. Notamment celui de la notion de surveillance ou d’une utilisation à grande échelle (par les instances dirigeantes, par exemple) de nos données.  

«Lorsque le gouvernement, qui est là pour nous protéger de l’utilisation malsaine de nos renseignements personnels, arrive à la conclusion que les données biométriques pourraient lui servir, on vient à se poser la question suivante: quel intérêt aurait-il à légiférer pour protéger notre vie privée si cela équivalait à se mettre lui-même des bâtons dans les roues? Prenons comme exemple la Chine, où la surveillance vidéo, intégrée à la reconnaissance faciale, permet de reconnaître les individus qui traversent la rue illégalement afin de leur envoyer une amende par la poste. L’enjeu, c’est aussi de savoir où tracer la ligne en tant que société. Quelles utilisations sommes-nous prêt·es à accepter? Jusqu’où allons-nous tolérer l’utilisation de nos informations personnelles par le gouvernement? Par les entreprises privées?».

Réglementer pour mieux entourer la pratique 
Outre la polémique face à la facilité d’utiliser ces informations privées, il y a celle de décider si oui ou non, nous acceptons de partager nos données, et que celles-ci soient utilisées sans que nous sachions vraiment si c’est à bon escient. En tant que consommateur·trices et citoyen·nes, sommes-nous suffisamment informé·es sur le sujet pour arriver à prendre une décision éclairée?

«Le consentement des individus à la collecte de telles données doit être exprès et donné de manière libre. Contrairement à la collecte de certains renseignements moins sensibles, l’organisme qui collecte des renseignements biométriques ne peut donc inférer le consentement des circonstances ou du silence de l’individu. Une manière de s’assurer d’obtenir un consentement consiste à offrir une méthode alternative aux individus pour atteindre le même objectif. Donc, le refus de fournir des données biométriques devrait, dans la plupart des cas, n’avoir pour conséquence que de devoir utiliser une solution de rechange, souvent moins pratique. Évidemment, dans certains cas, l'État exige que l’on fournisse certaines données biométriques et il est impossible de s’y soustraire, en matière criminelle notamment», explique Frédéric Letendre

Est-ce donc légal pour une marque ou une entreprise de collecter ou vendre des bases de données contenant les renseignements biométriques sans le consentement des individus? Selon le spécialiste, oui, tant que l’organisation en question respecte les lois en matière de protection des renseignements personnels.

En 2001, la province a mis en place la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information (LCCJTI) qui réglemente l'utilisation de données biométriques. «Au Québec, une entreprise qui recueille, utilise, communique à des tiers, conserve ou détruit des renseignements personnels a plusieurs obligations à respecter en vertu des lois québécoises. S’agissant de renseignements personnels, les banques de caractéristiques biométriques doivent, selon le type d’organisation dans lequel elles sont utilisées, aussi être conformes aux dispositions de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels ou la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé », précise Frédéric Letendre

Pour ou contre la biométrie?
Finalement, est-ce que la circulation continue et évolutive de nos données biométriques est plus nuisible qu’autre chose? Ou participe-t-elle plutôt à assurer une meilleure sécurité? L’atteinte d’un juste milieu réside dans une bonne définition des limites de la pratique biométrique et de sa législation, selon l’avocat et associé de Yulex.

«Comme n’importe quelle nouvelle technologie, elle n’est pas nécessaire, mais je crois que nous avons intérêt à l’intégrer dans notre vie. L’utilisation des données biométriques s’installe dans notre société depuis au moins 10 ans et elle prend de plus en plus d’ampleur. Cela pousse les gouvernements à bien l’encadrer afin qu’il n’y ait pas de violation de nos droits en tant qu’individus.»

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