«Dans l’ensemble, la situation des femmes sur le marché du travail en 2021 demeure moins avantageuse qu’en 2019, alors que celle des hommes est égale, voire supérieure.» Cette phrase, qui est tirée de la plus récente Enquête de la population active, menée par l’Institut de la statistique du Québec, montre que la pandémie a eu des répercussions plus graves chez les femmes que chez les hommes, et ce, à plusieurs niveaux. Aussi, bien que les questions d’équité et de parité semblent gagner du terrain au sein des entreprises, les chiffres, eux, ne mentent pas: le salaire moyen d’un homme est encore environ 10% plus élevé que celui d’une femme. Quels obstacles rencontrent les femmes dans leur chemin vers le leadership? Et quelles sont les pistes de solution pour les entreprises? Observons ces questions de plus près.

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Le parcours du labyrinthe
«Encore peu de femmes occupent des places dans les hiérarchies supérieures au Québec et au Canada. Et la statistique devient plus désolante quand on regarde du côté des femmes qui sont en situation d’intersectionnalité. J’aimerais voir le jour où la pertinence d’un organisme comme La Gouvernance au Féminin disparaîtra. Mais si on se sent encore obligé·es d’argumenter et d’énumérer les femmes dirigeantes que l’on connaît, c’est la triste preuve qu’il n’y en a pas assez. Ne commencez pas à lister tous les hommes en position de leadership, on en a pour trop longtemps. Et la tendance ne va pas dans la bonne direction.»  Caroline Codsi, fondatrice de l’OBNL La Gouvernance au Féminin, se dit préoccupée par l’impact de la pandémie sur la situation des femmes. «Quand on travaille en partenariat avec des entreprises, on perçoit souvent la fierté des organisations à avoir obtenu la parité au sein de leurs équipes, mais plus on monte en hiérarchie, moins on voit cette équité des sexes. Ce qui montre qu’il y a encore du travail à faire pour l’égalité des hommes et des femmes en entreprise.» 

Ce phénomène du plafond de verre, hautement discuté dans la société, montre que les femmes ont souvent affaire à des obstacles invisibles qui rendent l’accès aux niveaux hiérarchiques supérieurs difficile. Mais le plafond de verre s’efface souvent au profit de la métaphore du labyrinthe, un phénomène qui explique que la faible représentation des femmes se construit tout au long de leur vie. «C’est un phénomène qu’on observe souvent, explique Caroline Codsi, des femmes qui quittent un poste parce que l’entreprise n’a pas fait valoir qu’un chemin était possible pour elles. Autrement dit, elles ne se voient pas représentées dans le modèle organisationnel de l’entreprise et ne s’imaginent pas occuper un poste de haute direction, tout simplement parce que les chances de s’y rendre semblent difficiles, parfois impossibles — surtout quand l'organigramme au sommet de la pyramide est composé majoritairement d’hommes.» 

Les biais inconscients toujours présents
La co-fondatrice et présidente d’Applied, une plateforme qui vise à promouvoir les bonnes pratiques de recrutement, Kate Glazebrook, a démontré que si un homme se sent à l’aise de postuler à un emploi lorsqu’il répond à 60% des critères énumérés pour le poste, les femmes sont pour leur part plus susceptibles de postuler lorsqu’elles jugent qu’elles répondent à la totalité ou la quasi-totalité des critères. Caroline Codsi rappelle que c'est un enjeu traditionnel qu’on a toujours vu et qu’on continue de voir: «Le manque d’audace, la perte de confiance en soi et la difficulté à se mettre en scène sont des problèmes réels et complexes que vivent bon nombre de femmes. Ce sont des obstacles que les femmes s’auto-imposent et ils s’ajoutent aux obstacles réels et extérieurs qu’elles ont à surmonter pour grandir et performer dans le monde teur est particulièrement présent chez les femmes occupant des postes de leadership, puisque 75% d’entre elles se disent concernées par des questions d’estime de soi à un moment ou à un autre dans leur carrière, rapporte une étude KPMG

Même si les femmes font un travail personnel sur leur propre perception d’elles-mêmes, elles risquent toutefois de rencontrer plusieurs biais inconscients sur leur chemin vers le leadership, explique Caroline Codsi. «Un des biais inconscients les plus répandus, c’est celui de la valorisation assez généralisée des qualités de leadership dites “masculines”. L’ironie, c’est que, même quand une dirigeante fait preuve de méthodes de leadership “masculines”, on la juge sévèrement et on ne considère plus ces “qualités” comme telles. Autrement dit, on ne perçoit pas le leadership de manière équitable.» En entrevue avec La Presse, Michel Bibeau, ancien expert à la Commission canadienne des droits de la personne, ajoute que «par exemple, on peut valoriser la facilité de s’exprimer en public, plus souvent observée chez les hommes, et moins la qualité d’écoute, plus souvent l’apanage des femmes.» D’autres facteurs, comme les biais d’affinités, sont aussi responsables du manque de représentation des femmes dans les postes de direction. Candice Maxis observe elle aussi ce phénomène. La leader nationale, diversité, équité et inclusion chez Deloitte affirme que c’est un double plafond de verre à briser pour les gens issus de la diversité: «Quand on regarde les conseils d’administration et les équipes de direction qui se ressemblent, il y a un biais d’affinités qui s’y reflète. Ce sont des gens qui recrutent d’autres gens avec qui ils ont le plus d’affinités.» 

Prenez garde au plafond de Zoom
Un enjeu à surveiller, c’est le retour en présentiel, juge Caroline Codsi. «Ce que j’appelle le “plafond de Zoom” m’inquiète un peu. La pandémie a eu un impact important sur la répartition des tâches dans la maison et sur l’investissement professionnel des femmes dans leur carrière. Les charges mentales et familiales reposent encore beaucoup sur celles-ci, ce qui peut expliquer pourquoi certaines femmes choisiront de prioriser le télétravail. Cela dit, il faut se méfier des biais de proximité, qui peuvent avantager ceux et celles qui se fréquentent plus souvent au bureau. Il ne faut pas laisser derrière et oublier de proposer des projets aux gens qu’on voit simplement sur Zoom. Il faut donner une chance égale à tout le monde, même si on croise plus souvent X au bureau que Y.» On tient peut-être là une des solutions importantes dans l’avenir des femmes et de la diversité au travail: la flexibilité et la bienveillance semblent offrir plus de latitude aux femmes dans le monde du travail, ce pour quoi Caroline Codsi invite les entreprises à repenser leurs stratégies à l’interne. «Il faut valoriser le télétravail autant pour les hommes que pour les femmes. Il faut être plus à l’écoute des femmes, ce qui veut aussi dire de ne pas leur couper la parole, et surtout il faut sensibiliser les têtes dirigeantes aux enjeux intersectionnels. Les bonnes pratiques, ça part toujours du haut de la pyramide.»

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