Ce n’est un secret pour personne: les femmes continuent d’être sous-représentées dans les postes décisionnels à l’échelle mondiale. Au Canada, même si près de la moitié de la main-d’œuvre est féminine, seulement un quart des postes de cadres et un cinquième des sièges au sein de conseils d’administration sont occupés par des femmes. Pourtant, de nombreuses études le démontrent: les entreprises gagnent (littéralement !) à nommer des femmes dans leurs équipes de direction. Selon une analyse effectuée auprès de 21 980 compagnies de 91 pays différents, la présence de femmes dans des positions de leadership contribue à accroître la profitabilité d’une entreprise.

On a discuté de l’apport féminin sur le marché du travail avec cinq professionnelles qui font leur marque dans les secteurs des communications, du marketing et de la production. Voici ce qui est ressorti de nos échanges, preuves à l’appui.

Dafina Savic
Dafina savic

Un levier de changement
Les femmes proposent des perspectives et des approches différentes de celles de leurs collègues masculins. En perturbant le statu quo, elles font naître de nouvelles idées et propulsent l’innovation.

Pour Dafina Savic, cofondatrice de l’agence Uena, chaque personne, en fonction de son bagage d’expérience et de compétences, apporte quelque chose d’unique en entreprise. Cette diversité de façon de faire et de réfléchir est due à un ensemble de facteurs, notamment le genre, mais il faut faire attention de ne pas s’y restreindre. En fait, c’est la mixité qui fait réellement avancer les choses.

«Si le leadership féminin influence de plus en plus le monde des affaires, c’est parce que les femmes ont enfin accès aux postes et aux moyens pour le faire. La présence des femmes est venue chambarder les milieux qui étaient, et parfois demeurent, homogènes. La présence des femmes a permis d’analyser les choses différemment, de faire ressortir encore plus d’idées et d’apporter des changements novateurs. La même logique s’applique aux personnes d’appartenances diverses.»

Pour appuyer ses propos, l’entrepreneure cite en exemple le principe de conciliation travail-famille. «C’est un enjeu qui existe depuis des années, mais qui n’était pas considéré comme une préoccupation importante puisqu’on estimait qu’elle touchait principalement les femmes, qui étaient à l’époque beaucoup moins présentes dans les milieux de travail. Aujourd’hui, la présence des femmes a amené une meilleure compréhension des réalités et des besoins liés à la conciliation travail-famille et a permis d’adopter des pratiques de gestion qui favorisent un meilleur équilibre travail-famille pour tout le monde.»

Genevieve Cabana-Proulx
Geneviève Cabana-Proulx

L’entraide et la solidarité
À tous les niveaux de gestion, les femmes soutiennent plus régulièrement leur personnel et favorisent davantage la diversité au sein de leurs équipes.

Geneviève Cabana-Proulx, présidente de SOMA, n’a pas le profil habituel d’un dirigeant de maison de production. Celle qui a fait ses débuts comme réceptionniste de la boîte a appris les ficelles du métier grâce à la générosité de sa mentore et fondatrice de SOMA, Jacinthe Arsenault.

«Je ne pense pas que j’en serais là où je suis aujourd’hui si je n’avais pas eu une femme comme Jacinthe comme patronne. Elle n’a jamais vu en moi de la compétition; elle voyait de la relève. Elle m’a transmis toutes ses connaissances avant de me passer le flambeau, un peu comme si j’étais l’héritière d’une entreprise familiale. Je pense qu’en s’entraidant comme ça, on peut aller plus loin.»

Dans un milieu aussi compétitif que la production, l’esprit de collaboration n’a d’ailleurs pas toujours été vu d’un bon œil selon la cheffe d’entreprise.

«Quand j’ai commencé il y a 15 ans, j’allais chercher des briefs et je me retrouvais dans l’ascenseur avec des hommes qui ne m’adressaient jamais la parole. Tout était fait dans le secret. Aujourd’hui, je n’ai aucun malaise à aller luncher avec la concurrence. Je pense que les femmes ont apporté cet aspect d’ouverture là. La compétition saine et respectueuse, ça se peut!»

France Aimy Tremblay
France-Aimy Tremblay


Un modèle de résilience pour la relève
Qui dit plus de femmes dans les salles de réunion dit plus de femmes dans des postes de direction et plus de filles et de jeunes femmes inspirées par toutes les possibilités qui s’offrent à elles.

Entre 1972 et 2018, le nombre d’entreprises appartenant à des femmes aux États-Unis est passé de 402 000 à plus de 13 millions. En 2013, France-Aimy Tremblay est entrée dans la tendance lorsqu’elle a cofondé Romeo & Fils avec son partenaire, Martin Henri. À l’époque, elle n’avait que 25 ans.

«J’ai un parcours vraiment atypique. J’ai fait mes sciences pures au Cégep, puis j’ai été admise au doctorat en chiropratique à Trois-Rivières. Ce n’était vraiment pas pour moi. Un jour, j’ai donné tous mes livres et j’ai déménagé à Montréal sur un coup de tête. C’est en travaillant dans des bars et en fréquentant beaucoup de personnes des milieux de la musique et du cinéma que j’ai appris à connaître la prod. Ç’a été difficile, il m’a fallu être très résiliente pour en arriver ici.»

Dans les dernières années de pandémie, plusieurs études ont d’ailleurs démontré que les femmes sont particulièrement résilientes lors de situations difficiles – notamment en temps de crise.

«Pour moi, il n’y a jamais de problème. Je suis toujours en mode solution. Comme j’ai appris mon travail sur le tas, j’ai cette capacité à m’adapter à toutes les situations, comme un caméléon, et à être conciliante. Je suis prête à m’entourer de la relève et à la former, tant qu’elle a la bonne attitude et la détermination pour nous aider à avancer.»

Geneviève Tardif
Geneviève Tardif

L’intelligence émotive
Traditionnellement, la société encourage les petites filles à se montrer empathiques, à utiliser les bons mots pour exprimer leurs émotions et à développer des relations profondes et sincères. Ces soft skills ou compétences personnelles sont d’ailleurs plus utilisées par les dirigeantes que par les dirigeants.

L’animatrice et chroniqueuse sportive Geneviève Tardif a souvent eu l’occasion d’observer la différence que font les femmes dans un secteur fortement dominé par les hommes.

«Je pense qu’on recherche un peu plus l’émotion. Je remarque que je me sers probablement plus de ma sensibilité et de mon empathie pour réaliser des projets ou pour poser des questions. Parce qu’on parle de sport différemment, on permet aux gens de découvrir les athlètes sous un autre angle.»

Depuis qu’elle a lancé l’émission Sportives, point final! avec son amie et ancienne plongeuse olympique Roseline Filion, Geneviève constate aussi que la présence de plusieurs femmes autour de la table entraîne souvent une plus grande transparence.

«Sportives, point final!, c’est un projet 100% féminin. On a voulu sortir du moule en s’entourant exclusivement de femmes autant derrière que devant la caméra. Ça nous permet de travailler différemment. On est plus confiantes, on a l’impression que notre opinion compte davantage et je pense que les personnes interviewées se sentent bien de discuter de certains sujets plus sensibles avec nous.»

Annie Larouche
Annie Larouche

La recherche d’harmonie
La participation de femmes à la mise en place d’accord de paix augmente de 20% les chances que ceux-ci durent plus de deux ans et de 35% les chances qu’ils durent quinze ans.

Transposons cette donnée au monde du travail tel qu’on le connaît et elle résume en quelque sorte l’approche d’Annie Larouche, vice-présidente des opérations de l’Alliance de Montréal. Cumulant plus de 30 ans de métier, Annie est une grosse pointure dans l’univers sportif québécois, mais elle est aussi l’une des seules femmes à s’y être taillé une place d’envergure.

En 2018-2019, les femmes occupaient seulement 23% des sièges de conseils d’administration et 19% des postes de présidence dans le secteur.

«La réalité, c’est qu’il a fallu que des hommes m’ouvrent les portes. Il a fallu que des hommes croient en moi et, ça, je l’ai toujours compris. C’est important de revendiquer notre place, mais il faut le faire de la bonne façon, justement en provoquant des réflexions qui brisent les stéréotypes et favorisent l’inclusion.»

En 2018, l’ancienne directrice du volet communautaire et entraîneure-chef des cheerleaders des Alouettes de Montréal a pris la décision d’ajouter une poignée d’hommes à son équipe de haute voltige. En plus de contribuer à diversifier le groupe, l’initiative qui en a surpris plusieurs a permis de redéfinir l’image que le public — y compris l’administration — se faisait de ces athlètes féminines. Plus récemment, elle a aussi amené ses homologues masculins de la Ligue élite canadienne de basketball à tenir compte des besoins et des désirs des fans dans leur stratégie globale.

«Comme femmes, je pense qu’on a l’habitude d’être sollicitées de tous bords, tous côtés. Traditionnellement, on est appelées à jouer plusieurs rôles, alors on apprend vite l’importance de la souplesse et de la synergie. Notre bagage fait en sorte qu’on a peut-être plus tendance à tenir compte de plusieurs points de vue, à vouloir rassembler les gens autour de nos décisions et à expliquer nos actions. Tout le monde ne sera pas toujours d’accord, mais il va comprendre. Je pense qu’en disant les vraies affaires, on arrive à un climat plus harmonieux.»

Une influence grandissante
Heureusement, partout dans le monde, incluant au Québec, plusieurs femmes bourrées de talent continuent de démontrer l’importance du leadership féminin et de l’équité en milieu de travail. Il suffit de penser à des dirigeantes comme Sophie Brochu (présidente d’Hydro-Québec), Isabelle Hudon (gestionnaire et ambassadrice du Canada en France) ou à Valérie Plante (mairesse de Montréal) pour avoir confiance que les choses évoluent dans la bonne direction.