Raconter une histoire de cyberintimidation de laquelle une personne a souffert est délicat et complexe. La production du documentaire Dans l’ombre du Star Wars Kid aura pris six ans de travail ardu, mais c’est le 30 mars 2022 qu’il sera diffusé sur Télé-Québec. Annie Bourdeau, vice-présidente productions originales d’URBANIA, parle de la saga de cette production.

En 2003, Ghyslain Raza avait 15 ans et perdait le contrôle de son image. Il s’est filmé pour son propre plaisir dans un studio de son école secondaire imitant un combat de Star Wars avec un ramasse-balle de golf en guise de sabre laser. Quelques mois plus tard, la vidéo se retrouvait sur le web à son insu. C’était le premier au monde à vivre de la cyberintimidation, bien malgré lui. «J’associe Ghyslain aux premières fois que j’ai côtoyé le web. C’était la première fois que je côtoyais “la viralité”, mot qui allait devenir populaire dans un avenir proche», mentionne Annie Bourdeau lorsqu’on lui demande ce que représente la vidéo du Star Wars Kid pour elle.

La vidéo est devenue un vrai phénomène de culture populaire. Le Star Wars Kid a même été parodié dans des émissions comme South Park, Family Guy et Arrested Development. Lorsque YouTube a été lancé en 2005, ce genre de phénomène de viralité est devenu courant, mais en 2003, c’était inédit. Ghyslain Raza en a souffert. Alors qu’il était sollicité par des médias de partout dans le monde et des personnalités comme Oprah Winfrey, Jay Leno et Stephen Colbert, Ghyslain a donné une seule entrevue dix ans après la diffusion de la vidéo virale. Le 7 mai 2013, l’article écrit par le journaliste Jonathan Trudel sort dans L’actualité sous le titre Le retour de Star Wars Kid.

En 2016, le journaliste et son ami, Mathieu Fournier, scénariste et réalisateur, sont allés proposer à URBANIA cette idée de documentaire. Avec un élan de passion, Annie me raconte pourquoi URBANIA se devait de produire ce documentaire : « Parce qu’on est des anthropologues de la culture populaire et de la société québécoise et ça s’inscrit pile-poil dans la mission d’URBANIA. C’est pour ça qu’on a décidé de le développer et qu’on l’a défendu. Je ne pouvais pas croire que cette histoire, portée par Jonathan et Mathieu, ne pouvait pas voir le jour. C’est une histoire québécoise qui a fait le tour du monde et peu de gens d’ici sont au courant de ça.»

Le projet a connu plusieurs embûches en six ans de production. Créer un documentaire à partir d’une histoire aussi personnelle a rendu le projet complexe à produire. Annie se souvient que Mathieu Fournier a écrit des dizaines de versions du scénario pour s’assurer de bien respecter l’histoire de Ghyslain. «Ça reste une histoire humaine. Ghyslain n’est jamais sorti au grand jour, et avec le projet, il se réapproprie son histoire», mentionne Annie.

Elle sentait que le projet était porté par les bonnes personnes, mais aucun diffuseur ne partageait son enthousiasme, dont Télé-Québec. En 2018, Sophie Bélanger, chef de contenus, secteur grand public chez Télé-Québec, a fait basculer la décision.

Au printemps 2018, Sophie a croisé son ami Mathieu Fournier sur le Mont-Royal. Mathieu lui a dit qu’il travaillait sur un documentaire, mais que l’équipe n’arrivait pas à convaincre un diffuseur d’embarquer dans le projet. Sophie y croyait dès le début. Elle convainc donc ses collègues de recevoir Mathieu, Jonathan et URBANIA en pitch.

«Bien sûr que je me souvenais quand c’était arrivé en 2003, mais jamais j’avais anticipé l’ampleur de l’affaire dans la vie de Ghyslain, mais aussi le fait que, mondialement, c’est le cas zéro de cyberintimidation.»

Après à peine 15 minutes de présentation, le directeur de la programmation de l’époque, Denis Dubois, parlait déjà de commencer le développement du documentaire, ce qui arrive très rarement.

«On comprenait bien à la fois que c’est l’histoire exceptionnelle de Ghyslain Raza, mais c’est aussi une histoire d’intimidation, comme on en voit plein maintenant. Ce qui est intéressant, c’est de transposer l’histoire de Ghyslain dans ce qu’elle est devenue, c’est-à-dire un enjeu de société. C’est pour ça que ça cadrait complètement avec ce que nous on fait à Télé-Québec», conclut Sophie.

Le documentaire remet non seulement l’histoire de Ghyslain au grand jour, mais aussi celle des personnes ayant vécu de la cyberintimidation. Sophie Bélanger parle de Ghyslain avec beaucoup d’empathie : «Même quand il nous parle du moment où ça lui est arrivé à 15 ans, il semblait déjà avoir une maturité, une sagesse. C’est lui qui rassurait ses parents. On ne souhaite ça à personne, mais c’est comme si, s’il y avait une personne sur la Terre capable de passer à travers ça, bien c’était lui.»

Grâce à ce documentaire, on souhaite que Ghyslain Raza se réapproprie son histoire dans l’espoir d’éviter que d’autres personnes souffrent autant de cyberintimidation et d’enclencher une réflexion sur la viralité, tout en racontant un pan de l’histoire de la culture québécoise. Comme dirait Annie, pile-poil l’impact qu’URBANIA souhaite avoir avec la création de contenu.

À voir sur Télé-Québec le 30 mars à 20 h et sur le site de l’ONF à partir du 31 mars.


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