Le magazine québécois papier est bien vivant et n’est pas près de disparaître selon les différents acteurs du milieu. Si cela fait des dizaines d’années que sa mort se fait prophétiser, l’industrie a un tout autre son de cloche. Plutôt que de fermer les presses, il suffirait de diversifier son approche. Nous nous sommes entretenus avec Geneviève Vézina-Montplaisir, associée au magazine Caribou et Joanie Pietracupa, rédactrice en chef multimarques chez KO Média pour en apprendre plus sur leur vision de la cohabitation du magazine papier et de ses versions numériques.

Choisir l’imprimé pour ralentir la cadence de création
Pour le magazine Caribou, un lancement en 2014 était à contre-courant de la culture populaire qui avait les yeux rivés vers les blogues comme futur unique de l’industrie du reportage lifestyle. De son propre aveu, Geneviève admet que la décision de lancer un magazine imprimé plutôt que de choisir l’avenue numérique n’était pas une décision monétaire: «On avait vraiment envie de faire un magazine papier. Même à ce moment-là on était déjà pas mal sur nos écrans, on avait le goût que les gens puissent avoir un break d’écran. [...] on trouvait qu’il y avait déjà beaucoup de blogues, on avait le goût de fouiller des sujets, un peu plus.»

Par contre, même avec le désir de ralentir le rythme de publication (seulement quelques parutions par année) afin d’offrir des reportages plus costauds et des images plus léchées, Geneviève savait dès le lancement qu’un support numérique serait éventuellement essentiel à la survie du magazine. 

Joanie a une vision similaire du magazine papier. Elle y voit une manière d’offrir le temps de faire des dossiers plus complets comparativement aux publications numériques qui demandent une rapidité de création effrénée: «Dans le magazine imprimé, on a plus de temps et des ressources différentes pour créer le contenu, ce qui fait qu'on choisit d'offrir des reportages plus fouillés (études, statistiques, nombreuses entrevues, etc.) et des dossiers photos créés sur mesure pour les marques (shootings photos avec mannequins et stars, longues entrevues, portraits en tout type.» 

Elle présente la version numérique comme un support pour des contenus qui se consomment et se créent plus rapidement: «Sur les sites web des marques, on est évidemment plus dans l'instantanéité, on parle de sujets d'actualité qui font le buzz ou de listes de type best-of en tout genre (sorties de vidéos d'artistes musicaux en exclusivité, nouveaux restos ou boutiques à découvrir, courts carnets de voyage, topos de type "on a testé...", top 10 des meilleurs soins anti-âge, etc.). Les sujets sont adaptés à la version du média – imprimé et numérique – et nos lectorats sont donc servis différents contenus sur nos différentes plateformes.»

Choisir l’imprimé pour bloquer les distractions 
Une autre raison de la pérennité de l’imprimé est, selon Geneviève, la pause bénéfique que le format apporte au bruit du quotidien: le magazine devient un support qui nous bloque de toutes les stimulations extérieures et des notifications, des pop-ups et de l’attrait de l’instantanéité.  Pour le lectorat, c’est de s’accorder un moment pour soi, un moment pour s’arrêter.»

Joanie, de son côté, décrit la lecture d’un magazine imprimé comme un moment de self-care bien mérité (que les lectrices et lecteurs n’hésitent d’ailleurs pas à prendre en photo et à relayer sur les médias sociaux). 

Dans un contexte où les nouvelles négatives se retrouvent partout dès que l’on ouvre un écran, Joanie pense qu’il y aura toujours un public pour le moment de calme qu’offre l’ouverture des pages d’un magazine. «Je crois qu'il y a un certain bassin de personnes qui vont continuer à vouloir lire des reportages de société longs et fouillés, pour leur pertinence, et à regarder des images de mode ou façon portraits bien pensées et travaillées, pour leur beauté.»

Choisir l’imprimé, le numérique et plus encore
Lors du débat imprimé ou numérique, une dualité artificielle est souvent installée entre les deux options comme si l’une d’entre elle devait en sortir vainqueur au profit de son adversaire. Comme si les formats étaient en bataille royale et qu’inévitablement l’imprimé devait laisser la place à la modernité du numérique. Ce que nous partagent les artisans du milieu c’est plutôt la présence d’un écosystème dans lequel les différents formats se nourrissent et s’aident à grandir. 

Du côté de Geneviève, le magazine est une pièce dans le puzzle de son aventure entrepreneuriale. D’un côté, elle croit fermement en la valeur du format imprimé, de l’autre elle sait que pour faire vivre les artisans derrière Caribou, son équipe a besoin d’offres complémentaires: «Quand on est arrivés sur le marché, les plus vieux voyaient une débandade du modèle d’affaires, mais nous on voyait une résurgence du magazine. Dans le prochain numéro, Aliments du Québec a décidé d’être partenaire du magazine papier. Ça prouve que le magazine papier a encore sa place et que les grands annonceurs veulent encore s’y associer. Mais nous, dans notre modèle d’affaire, on a toujours su que le magazine ne permettrait pas de faire vivre notre équipe de trois actionnaires à temps plein.»

Pour l’équipe de Geneviève, Caribou est une carte de visite vers son agence maison, Cervidés, sans laquelle la publication du magazine ne serait pas possible. 

Pour Joanie, la recette parfaite est dans le maillage entre l’imprimé et le numérique. «Côté clients et annonceurs, c'est certain que le fait de proposer des offres multiplateformes est très alléchant. On peut aller rejoindre différents lectorats selon le format du contenu choisi.»

caribou
Photo: cariboumag.com

Choisir l’imprimé pour appuyer le travail journalistique
Pour conclure, Geneviève nous partage que l’achat d’un magazine est, selon elle, plus qu’un acte de consommation de divertissement: «c’est aussi un appui à un milieu en grand bouleversement. Avec les GAFA qui ont pris cette part de marché-là, d’être abonné à un magazine, c’est d’appuyer le travail journalistique.»

Geneviève souligne par contre que son commentaire ne vise pas à diminuer la qualité du contenu que l’on peut retrouver sur le web: «Il est par contre indéniable que certains contenus prennent plus de temps à produire et nécessitent plus de ressources que d’autres», rappelle-t-elle.