Un an après avoir été banni de Twitter, Facebook et YouTube à la suite de l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021, le très populaire — quoique tout aussi controversé — Donald Trump a lancé officiellement son propre réseau social. Appelé Truth Social, le réseau «de la vérité» a vu le jour lors du jour férié aux États-Unis, dédié à l’honneur des présidents américains, soit le 21 février. 

En moins d’un mois d’existence, Truth Social a déjà rencontré plusieurs pépins, pour ne nommer que ceux-là: problèmes de connexion et de gestion de trafic; accusation de plagiat (logo); messages d’erreur, etc. Se vantant d’être l’alternative améliorée de Twitter, le réseau de l’ancien président américain se targue d’être un nouvel espace pour la liberté d’expression, comme le souligne la description de la plateforme: «Truth Social is America's "Big Tent" social media platform that encourages an open, free, and honest global conversation without discriminating against political ideology.» Ouverture, liberté, respect des idéologies politiques, toutes ses idées fondatrices de Truth social ont été fortement appuyées par les investisseurs, puisque Trump Media & Technology Group, la compagnie qui édite Truth Social, a reçu un financement extraordinaire d’un milliard de dollars pour fonder la plateforme sociale. En fait, connaissant la relation conflictuelle entre Donald Trump et la liberté d’expression, la question qu’on est en droit de se poser, c’est: est-ce qu’il faut craindre l’apparition d’un réseau social créé par une des plus grandes figures anti-média contemporaines? Pour répondre à cette question, le Grenier s’est entretenu avec Patrick White, professeur en journalisme à l’UQAM. 

Commençons déjà par ce point, Truth social a reçu un énorme montant pour créer et mettre en forme sa plateforme. Qu’est-ce que ça illustre, à votre avis?
Patrick White
: Ce que ça prouve, c’est que Donald Trump est capable de mettre sur pied une compagnie avec beaucoup d’investisseurs et que donc, sur le plan financier, beaucoup de gens se placent derrière lui et lui font confiance. Ça prouve aussi que son attitude revancharde face à son exclusion des réseaux sociaux se voit félicitée, mais il reste que ça prouve que Trump est très actif et qu’il a beaucoup d’espoir pour cette plateforme.

Et à votre avis, quel est l’avenir d’un réseau social alternatif comme Truth social?
Patrick White: En fait, je crois que l’avenir de Truth est intimement lié à l’avenir de Donald Trump. Et la question qui se cache derrière toute sa démarche concerne probablement plus sa prochaine candidature aux futures élections présidentielles que la création d’un espace de «vérité et de liberté d’expression». On suppose qu’il se présentera aux prochaines élections, du moins, c’est un discours qu’il entretient dans les médias, et on peut certainement se questionner sur la fonction qu’occupe une plateforme comme Truth Social dans sa démarche politique. Est-ce que Truth deviendra une plateforme de propagande politique en vue des prochaines élections? On ne peut pas savoir à l’heure actuelle, mais on peut se questionner sur l’avenir de cette plateforme pour plusieurs autres raisons. D’abord, Truth social doit faire compétition à des géants comme TikTok, Twitter, Facebook, Instagram et YouTube qui comptent des millions d’abonné·es. Ce n’est pas chose facile et on peut se rassurer qu’il faudrait des années pour atteindre les chiffres d’Instagram, par exemple. Aussi, on peut se demander si les gens qui s’abonnent le font par curiosité ou par intérêt réel pour la plateforme. Il est clair que l’ancien président attire souvent l’attention des curieux, et on a pu voir que plus 170  000 abonnements ont été créés à la suite du lancement de la plateforme Truth social. C’est un bon départ, mais c’est très loin derrière les géants. 

Truth social et le journalisme… Est-ce que ça promet?
Patrick White: On connait très bien le traitement qu’a réservé Trump aux médias par le passé. Le journalisme paie encore très cher aujourd’hui pour l’influence négative qu’a exercée Trump envers les médias et le journalisme. Partout dans le monde, la violence envers les journalistes ne cesse d’augmenter, qu’on parle d’agressions physiques, de trolls ou de harcèlement psychologique. L’ancien président américain est responsable d’une bonne partie de ce qui arrive présentement aux journalistes parce qu’il soulève la haine envers ce métier, et parce qu’il s’attaque à toute opinion qui n’est pas en accord avec la sienne. Et Truth social, c’est plus particulièrement une réponse au bannissement de Trump, il faut se le rappeler, de son réseau chouchou, Twitter. Truth social, c’est un écosystème parallèle aux médias conventionnels, un espace où la désinformation ne sera pas modérée et où la diffamation risque d’être chose quotidienne. 

Justement, est-ce qu’on devrait s’inquiéter de cette chambre d’échos? 
Patrick White: Avec la vague récente de manifestations à Ottawa, ou encore avec la propagande russe qu’on voit de plus en plus exercer un pouvoir important sur sa population, il est clair que nous sommes en droit de nous demander si un réseau social, entièrement dédié à la propagande «trumpiste» est inquiétant. Trump a participé, sinon initié parfois, à la diffusion d’informations mensongères tout au long de son mandat, et ça continue aujourd’hui. Il a appuyé ouvertement Poutine et a félicité le mouvement anti-mesures sanitaires. Il encourage la révolte citoyenne contre le gouvernement — nous l’avons vu en janvier 2021 — et il encourage les fausses informations diffusées par Fox News. Ce qui est inquiétant, bien entendu, c’est la chambre d’échos que Truth social va créer et le renforcement de la polarisation totale de la société: est-ce qu’on verra une Amérique plus que jamais coupée en deux? Est-ce que l’intimidation, les trolls et la violence sur les réseaux sociaux encourageront le repli sur soi et la contestation? Ce qui est inquiétant aussi, à mon avis, c’est l’exportation de cette influence américaine et «trumpiste» au Canada. Les réseaux extrêmement engagés existent et continueront d’exister, mais est-ce que Truth social sera un nouveau foyer pour ses discours contestataires et désinformés? Seul l’avenir pourra nous le dire. 

Qu’est-ce qu’on peut faire, si ça prend de l’ampleur? 
Patrick White: À l’heure actuelle, les États-Unis essaient de légiférer les GAFA avec une loi antitrust qui pourrait démanteler Google et Facebook et aussi permettre de modérer les commentaires en rendant les algorithmes plus transparents. Parce que le problème de la chambre d’échos est en partie nourri par le système des algorithmes. C’est constaté et remarqué, les algorithmes se basent sur le nombre de partages, de commentaires et de likes. C’est assez étrange que YouTube ait partagé du contenu de RT, une chaîne de propagande russe pendant plus de 48 heures sans que la plateforme ne soit intervenue pour modérer les contenus. Il faut que le gouvernement donne ses limites et que les GAFA de ce monde y répondent. Le Canada travaille d’ailleurs sur la loi sur les contenus préjudiciables en ligne et tout porte à croire que cette loi sera profitable au démantèlement de la désinformation sur les réseaux sociaux. 

En terminant… Allez-vous vous créer un compte sur Truth social?
Patrick White: Personnellement, je n’ai pas d’intérêt à m’en créer un, mais le chercheur que je suis a pour sa part une curiosité intellectuelle qui pourrait mener à la création d’un compte. Mais ce n’est pas fait, et on verra bien pour l’avenir!

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