A priori, une idée de création ne peut faire l’objet d’une protection. Vous ne pouvez déjouer un concurrent qui décide de se lancer avec la même idée — en revanche, la forme sous laquelle elle est exprimée relève de la propriété intellectuelle et peut faire l’objet d’une protection.

Une idée originale de…
Vous êtes écrivain·ne, vos méninges ont travaillé fort pour faire éclore de bonnes idées. Que faire maintenant? Pour protéger vos droits d’auteur, l’Union des écrivaines et des écrivains québécois suggère l’envoi postal enregistré. Vous postez une copie de votre manuscrit à votre nom et à votre adresse personnelle. Une fois le paquet arrivé à destination, vous le gardez scellé dans un lieu sûr. L’estampille de la poste prouvera la date à laquelle vous avez couché sur papier vos bonnes idées. Il est aussi possible de déposer un manuscrit à la SARTEC (Société des auteurs de radio, télévision et cinéma) et enregistrer votre œuvre auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada. Selon l’Office, il y a plusieurs types de droits de PI qui vous permettent de protéger votre image de marque, votre innovation et votre création par le biais de droits d’auteur, de brevet, de marque de commerce et de dessin industriel.

Qui est propriétaire d’une idée: l’agence de publicité à l’origine de sa création ou l’annonceur qui y associe son image? La question de la PI revient au risque financier, estime Sylvain Arsenault, président de l’agence Prospek. «Je suis de ceux qui pensent qu’à partir du moment où le client paie pour des honoraires, en tant qu’agence de création, la propriété intellectuelle de ce qu’on fait lui appartient. Il n’y a aucun doute là-dessus.» Il précise que souvent, tout ce qui sera produit dans le cadre d’un mandat appartient à l’entreprise qui octroie ledit mandat. Tout doit être spécifié dans le contrat d’entente de services entre les agences de communications et les marques. «C’est important que l’entente soit clairement établie au départ», évoque-t-il. De surcroît, il existe des avocat·es spécialisé·es en droit de la publicité, qui peuvent vite devenir des partenaires incontournables. Le cabinet LJT Avocats est notamment expert en publicité, divertissement et propriété intellectuelle.

En ce qui concerne les crédits dans le cas des campagnes publicitaires, les agences se font un devoir de transparence de les attribuer aux bonnes personnes. Conception-rédaction, réalisation, illustration, production, etc. Et ça vaut aussi pour la postproduction! Agences, il ne faudrait surtout pas oublier encore et toujours la même boîte de post-prod. ;) Si vous êtes créateurs·trices de l’image, vous connaissez sans doute l’Association canadienne des créateurs professionnels de l’image (CAPIQ) qui est une véritable mine d’or en matière de ressources et d’information sur les pratiques commerciales. De plus, elle fait respecter les droits d’auteur auprès des gouvernements, des agences de publicité et des sociétés d’édition d’un bout à l’autre du pays.

Sirop et arcs-en-ciel
Remettons-nous en mars 2020. Vous souvenez-vous des dessins d’arc-en-ciel placardés aux fenêtres des maisonnées accompagnés de la feel good, mais oh combien générique expression «ça va bien aller»? L’instigatrice du mouvement au Québec, Gabriella Cucinelli, s’est inspirée d’une initiative de l’organisme Projetto Infanzia en Italie, qui encourageait les enfants à accrocher aux balcons leurs dessins d’arc-en-ciel suivis des mots «andrà tutto bene», qu’on pourrait traduire par «tout va bien aller». Plusieurs ont fait le saut lorsque la mère de famille a déposé une demande d’enregistrement auprès de l’Office de propriété intellectuelle du Canada il y a deux ans. Pourtant, Gabriella Cucinelli n’avait nullement l’intention de faire un sou avec la marque déposée. Voyant son potentiel commercial, elle a plutôt voulu protéger la marque en obtenant une licence temporaire à l’organisme de sécurité alimentaire La Cantine pour tous et invitait les entreprises qui mettaient en marché des produits arborant le logo de s’adresser à la Cantine pour faire un don. Après tout, la prémisse de départ était fondée sur la bienveillance. Le mot d’ordre ici? Protection.

Autre mouvement issu de la crise: Ma cabane à la maison, une idéation de Sylvain Arsenault lui-même. Après avoir entendu le cri du cœur de Stéphanie Laurin, présidente de l’Association des salles de réception et érablières du Québec (ASEQC) et craignant le sort des érablières acculées à la faillite en raison des restrictions liées à la pandémie, l’agence Prospek a pris le pari (et le risque) financier d’endosser le projet en entier. Regroupant 70 érablières lors de la première année, l’objectif du projet visait à déplacer l’expérience des cabanes à sucre à domicile grâce à des boîtes gourmandes que les gens pouvaient récupérer dans les points de cueillette à travers la province. Forte de son succès en 2021, l’expérience se renouvelle cette année, avec 20 participantes en moins. La cause? Certaines érablières croyaient que la marque appartenait à l’ASEQC et non au nom de sa présidente et le président de l’agence. D’autres érablières appuient somme toute la démarche dans une lettre ouverte.

Si Sylvain Arsenault confie qu’il n’y avait pas de contrat écrit sur la licence d’utilisation de la marque aux balbutiements du projet — qu’il compare à un avion construit en plein vol —, il y avait un contrat verbal avec les érablières participantes. «Comme soulevé plus tôt, lorsque les agences font un projet, la propriété intellectuelle appartient au client qui paie les coûts. À partir du moment où l’agence prend un risque et se dit prête à se faire payer à la performance, à qui appartient la propriété intellectuelle? Dans le cas de Ma cabane à la maison, je considère que ça appartient à Prospek, partage-t-il. » Les mots d’ordre ici? Risque financier.

Propriété intellectuelle et iniquité vaccinale
Jusqu’à présent, nous avons vu que la propriété intellectuelle sert à protéger une idée et offre aux créateurs·trices l’exclusivité d’exploitation sur leur invention. Dans un contexte commercial, cela crée un sain environnement de compétitivité et d’innovation. Lorsque cette protection va à l’encontre de protection de la collectivité en contexte pandémique, qu’arrive-t-il?

Jasons vaccination.

À l’international, l’enjeu de savoir s’il faut renoncer aux droits de PI pour le vaccin contre la COVID-19 est au cœur de nombreux débats. Il y a le camp des pays qui expriment leur volonté de voir les brevets suspendus pour que les pays à faibles revenus puissent fabriquer leurs propres vaccins plutôt que de dépendre des importations (qui tardent à arriver), alors que l’autre camp soutient que le système des droits de propriété intellectuelle a joué un rôle positif dans l’innovation en matière de vaccins.

Que dit l’Union européenne? La propriété intellectuelle n’est pas le problème. L’UE souhaite plutôt responsabiliser les entreprises qui font le choix de ne pas partager leurs innovations. Avoir une bonne idée c’est bien, pouvoir la protéger c’est très bien. Reste que la manière dont on décide d’exploiter cette idée en fera une bonne ou mauvaise idée.

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