Quand pandémie et réseaux sociaux s’accordent drôlement bien.
Le 2 janvier 2022, l’Agence France-Presse annonçait que le réseau social Twitter avait «suspendu de manière permanente l’un des comptes de l’élue républicaine Marjorie Taylor Greene», l’accusant ainsi de «violer les règles du réseau social en matière d’informations sur la pandémie». En décembre 2021, l’équipe d’analystes et de recherchistes de Graphika, une société spécialisée dans l’analyse des réseaux sociaux, publiait un rapport consternant qui permit à Meta, la nouvelle société de Facebook, de «démanteler des réseaux malveillants qui utilisaient les débats sur les vaccins pour harceler des professionnel·les ou semer la division dans les sociétés». Ce que l’équipe de Graphika a observé, c’est que des comptes comme ce «mouvement populiste tentaculaire combinant des théories conspirationnistes existantes avec des récits antiautoritaires et un torrent de désinformation sanitaire», il en existe des tonnes sur les réseaux sociaux.

Dans ce même mois, Facebook bannissait officiellement «la formation néo-fasciste Atalante Québec», la désignant comme dangereuse. Mais cette action ne semble pas plus efficace qu’il ne le faut, comme le rapporte le chercheur au Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation, Frédérick Nadeau: «On a beau fermer leurs pages, il·elles vont se réorganiser ailleurs. Ils ont l’habitude d’être chassé·es et sont très résilient·es. De plus, ça leur permet de se conforter dans leur position et ça nourrit le discours factice.» Les exemples abondent en ce sens, et il suffit de rechercher les mots «réseaux sociaux» et «désinformation» pour constater la prolifération de recherches qui s’intéressent à ce phénomène. Car, s’il semble évident que la désinformation liée à la pandémie et aux complots ne faiblit pas, ce qui confirme les signes que les réseaux sociaux contribuent de manière tentaculaire à rejoindre des parties marginales de la population canadienne.

Une part de responsabilité partagée
Savez-vous comment vous informer? Vérifiez-vous toujours vos sources? Avant de répondre à ces questions, prenez le temps de lire ceci, car: «Au Canada, 9 personnes sur 10 ont déjà été bernées par de fausses nouvelles sur Internet.» Citant Facebook comme «la principale source d’information trompeuse», les utilisateur·trices qui ont participé à l’enquête de la firme de recherche Ipsos, blâment également les médias sociaux en général. Mais à qui revient la faute? «Il faut être attentif·ves à nos biais cognitifs, qui peuvent nous rendre vulnérables et qui peuvent nous guider à notre insu», nous conseille le journaliste de l’équipe des Décrypteurs, à Radio-Canada, Bouchra Ouatik. Ajoutant qu’il faut se méfier des biais de confirmation, c’est-à-dire à ceux qui nous amènent à chercher des informations qui soutiennent déjà un point de vue que nous avons, le journaliste montre que «des recherches ont d’ailleurs démontré que notre cerveau nous récompense, en produisant de la dopamine, lorsqu’il traite une information qui renforce ce que l’on sait déjà». À l’inverse, le cerveau peut être contrarié par une nouvelle qui ne correspond pas à ces biais de confirmation. «Mais lorsque l’on se retrouve uniquement avec des gens qui pensent comme nous, le biais de confirmation devient un piège. Et une fois que notre idée est faite, il peut être difficile d’admettre que l’on s’est trompé·e, même si les preuves sont accablantes.»

Un nouveau combat pour les géants du GAFA?
Même si la population a une part de responsabilité dans sa manière de s’informer, il reste que le cerveau humain peut participer malgré lui à la segmentation des sociétés en adhérant à de fausses nouvelles. Cela dit, depuis le début de la pandémie, les informations erronées, voire inventées, les complots exacerbés et les théories farfelues continuent de se disperser sur Internet. Et il semble que les réseaux sociaux

en soient la principale cause. Dans une recherche menée pour le compte de l’UNESCO, Julie Posetti et Kalina Bontcheva soulignent que la désinformation reliée à la pandémie a pris de l’ampleur grâce aux réseaux sociaux: «La désinformation existait bien avant le COVID-19, mais les inventions qui contaminent aujourd’hui les informations de santé publique, ou économique, ou environnementale, par exemple, reposent sur les mêmes outils de diffusion utilisés traditionnellement pour désinformer.» Les réseaux sociaux font-ils assez d’efforts pour lutter contre la propagation de la désinformation? Parce que le débat entourant la circulation de fausses nouvelles pendant la pandémie a pris d’énormes proportions, tellement que le président américain, Joe Biden, a accusé Facebook de laisser circuler de la désinformation concernant la pandémie, «tuant» ainsi des milliers de gens. Ce à quoi Mark Zuckerberg a d’ailleurs répondu que «Facebook aide à sauver des vies, un point c’est tout». Fin de l’anecdote.

Selon le professeur émérite de l’Université Laval du Centre d’études sur les médias, Simon Langlois, la plupart des gens «désinformés vivent dans une bulle, alimentée par les médias sociaux (Facebook, YouTube et Twitter) qu’ils privilégient pour s’informer sur l’actualité». Ces plateformes sont d’ailleurs invitées à agir et à se responsabiliser face au problème de la désinformation, ce qui poussa dernièrement «plus de 80 organisations de vérification de faits dans le monde à signer une lettre ouverte à l’attention de la direction de YouTube, invitant la plateforme à adopter des mesures plus efficaces pour combattre les fausses informations». N’en témoigne aussi la plateforme d’origine suédoise, Spotify, qui a récemment annoncé vouloir prendre des mesures contre la désinformation.

Enfin, il semble que certaines initiatives soient en cours, du moins, il existe d’autres solutions pour contrer la désinformation, en dehors de la responsabilisation de la population et des entreprises. Comme le rapporte Tim Caulfield, professeur à la faculté de droit et à l’École de santé publique de l’Université d’Alberta, «il faut concentrer nos efforts dans le déboulonnage des mythes. Je pense qu’on devrait voir ce mouvement comme une intervention de santé publique, parce qu’on veut avoir un effet sur toute la population. Et il y a des preuves que ça fonctionne vraiment, on parle même de consensus scientifique».

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