Dominant le marché publicitaire, les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) de ce monde contraignent les plus petits joueurs à se tourner vers d’autres avenues pour se financer. I see you paywall. Cette stratégie adoptée par plusieurs médias écrits incitant le lectorat à s’abonner est-elle efficace si on considère que la population canadienne n’est pas prête à payer pour de l’information en ligne? Regard sur le mur payant.

L'essayer, c’est l’adopter?
Le Wall Street Journal a été le premier à emboîter le pas en 1997 avec un modèle d’affaires de mur payant. Depuis, plusieurs modèles se sont multipliés à travers le monde.

Certains quotidiens l’ont adopté avec succès, d’autres moins. Le New York Times a opté pour le paywall, alors que le journal britannique The Guardian a fait appel à la générosité de son lectorat en échange d’un accès gratuit aux divers contenus. Si on examine le New York Times, le Wall Street Journal ou encore Reuters, on ne peut que reconnaître leur succès. Toutefois, nos médias traditionnels ne peuvent rivaliser avec leurs homologues anglo-saxons à l’international ni dans le marché français.

Plus près de nous, La Presse + demeure gratuite et repose sur la générosité des donateurs·trices, alors que les six journaux quotidiens régionaux (La Voix de l’Est, Le Droit, Le Quotidien, Le Nouvelliste, Le Soleil et La Tribune) faisant partie de la Coopérative nationale de l’information indépendante ont choisi le modèle d’abonnement numérique. En 2013, Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec s’étaient tournés vers un système de mur payant. Il n’a fallu que deux années pour que ces quotidiens changent de cap et délaissent cette stratégie afin d’offrir du contenu gratuit. Selon Patrick White, professeur et directeur du programme de journalisme de l’Université du Québec à Montréal, le cas du Journal de Montréal et du Journal de Québec n’a pas fonctionné puisque les gens ne souhaitent pas débourser un montant pour du contenu en information. « 85 % des Nord-Américain·es et j’inclus les Québécois·es, ne veulent pas payer. On paie déjà indirectement pour Radio-Canada, Télé-Québec, et à travers des programmes d’aide aux médias qui existent au fédéral et au provincial. Comme les gens ne veulent pas payer pour de l’information, c’est aussi un enjeu. Ce n’est pas pour tout le monde », précise-t-il.   

Le Devoir a quant à lui relevé le pari du virage numérique, puisqu’il a été entamé il y a de cela plusieurs décennies. « Depuis 23 ans, les gens se sont habitués à ne pas pouvoir consulter plus que 5 à 10 articles avant de payer. Si vous avez une niche, ça peut être très bien d’envisager un mur payant. Le Devoir a réussi: c’est un plus petit média spécialisé en culture, en politique et en économie. »  Alors, ce mur payant: est-il efficace ou pas? Selon Patrick White, il s’agit du cas par cas: chaque média aura son choix à faire selon son contenu, mais il considère qu’il sera efficace pour les médias spécialisés, plus petits, ou les très grands médias aux budgets faramineux.

Monétiser autrement?
Ce ne sont pas que les médias écrits qui choisissent l’avenue d’un modèle payant. On n’a qu’à regarder du côté de Twitch ou de Spotify, qui a par ailleurs vu une partie de ses abonnés migrer vers Apple Music après « l’affaire Rogan-Neil-Mitchell ». Aux États-Unis, une infime partie de créateur·trices de contenu pourront utiliser la fonction d’abonnement payant (encore en phase test) afin d’offrir du contenu exclusif en stories et en live sur Instagram. Cette nouvelle fonctionnalité leur offrira la possibilité de monétiser leur travail. Cependant, le public n’est pas disposé à débourser un montant pour obtenir du contenu d’actualité, puisqu’il y a une limite de nombre d’abonnements qu’on veut (et peut) avoir.

« Tu paies pour Disney Plus, Tou.tv, Club illico, Netflix (qui a augmenté ses tarifs), est-ce que tu vas aussi payer pour Le Devoir et faire un don à La Presse par exemple? », questionne Patrick White. Très en vogue en ce moment, poursuit le spécialiste, il y a beaucoup de dons qui se font plutôt que de recourir à des abonnements numériques payants. Tout revient aux besoins du média et de ses modes de financement. Les contenus peuvent être monétisés autrement, partage le professeur: des infolettres spécialisées, du contenu vidéo, de la publicité dans les vidéos (pre-roll), des balados, du contenu de marque, la gestion d’événements… Selon lui, les médias locaux ont tout intérêt à garder leur site sans mur payant afin d’attirer davantage de gens sur leur plateforme, et, par ricochet, générer plus de revenus, ce qu’ils ne pourraient pas avec un mur payant, puisque le trafic serait considérablement réduit.

Est-ce éthique?
Empêcher les gens d’accéder à des contenus d’actualité sans paiement ne soulève-t-il pas des questions éthiques? Patrick White considère que le danger ne réside pas dans la gratuité de l’information, qui le restera toujours. Certains portails le sont encore, comme Noovoo Info, MSN Québec ou encore Radio-Canada, qui ne pourra jamais demander aux gens de payer, car les contribuables paient déjà 1,4 milliard par année en financement. Le danger, estime-t-il, réside dans la qualité de l’information. « Si l’information de qualité est uniquement derrière des murs payants, il y aurait alors un enjeu de démocratie », explique-t-il. C’est pourquoi des médias crédibles comme Radio-Canada doivent demeurer accessibles.

Puisque les modèles d’affaires du passé sont brisés, chaque média aura sa propre réflexion à faire estime l’expert. Toutefois, tout n’est pas morose dans l’écosystème médiatique. « La Presse +, qui a 65 000 donateur·trices, a fait des profits de 14 millions de dollars en 2021 et Le Devoir en fait depuis 3 ans. Oui, il y a une crise des médias au Québec et dans le reste du Canada, mais il y a quand même de bonnes nouvelles qu’il faut souligner », résume Patrick White.

Mur payant