Remettons-nous au début de la pandémie — eh oui, sujet inévitable revenant sans cesse – du jour au lendemain, une majorité de travailleurs a dû faire sa routine métro-boulot-dodo confinée entre les quatre murs de la maison. Toutes les heures passées devant l’écran à enfiler les réunions Zoom les unes après les autres ont dû avoir des répercussions sur la santé mentale ? Zoom (!) sur la « Zoom Fatigue ». 

Épuisement, quand tu nous tiens
D’entrée de jeu, Isabelle Marcoux raconte que gérer des équipes dans le cadre de son travail entre 5 et 6 heures par jour en meetings, en plus des apéros entre amis via Zoom au pinacle de la pandémie, alors que nous étions tous isolés, pouvait la laisser vidée à la fin d’une journée. La simple idée d’une réunion par visioconférence pouvait lui soulever le cœur. Selon la professionnelle, fatigue et frustration sont arrivées tardivement, de manière insidieuse. « Tout ce qui est naturel dans une conversation ne l’est pas dans un appel vidéo. Ça ajoute un degré de complexité à quelque chose qui pourrait être bien simple », exprime celle qui œuvre dans un studio d’animation 3D.

Spécialiste culture et communications corporatives, Audrey Beaumont a quant à elle fait son on-boarding en pleine pandémie chez son employeur actuel. « Pendant longtemps, au début, c’était la normalité. À l’inverse de m’épuiser, j’étais contente de voir des gens en virtuel, mais la fatigue a fini par embarquer. Ce qui me tire du jus et de l’énergie, ce sont les gens qui se regardent eux-mêmes ou qui regardent beaucoup les autres. J’ai l’impression qu’on focus sur le non verbal et les détails de l’environnement plutôt que de travailler », relate-t-elle.

Elles n’ont pas tort. La Zoom Fatigue, calquée directement de l’anglais, se résume à la fatigue, l’anxiété ou le burnout associés à une surutilisation de plateformes virtuelles de communication. Ce phénomène est entre autres attribué à la surcharge de signaux non verbaux et de communication qui ne se produit pas dans une communication en présentiel.

Miroir, miroir, qui est le plus fatigué ?
Une équipe de chercheurs de l’Université de l’Arizona a examiné les appels vidéo de plus d’une centaine d’employés d’une entreprise, révélant que nous ne sommes pas tous également à risque d’épuisement mental lié à Zoom. Selon cette étude, les femmes et les nouveaux employés seraient plus susceptibles de se sentir épuisés par trop de temps passé en visioconférence versus les hommes ou les employés en place depuis plus longtemps. Une autre enquête menée auprès de 10 000 participants vient corroborer ce constat. Les femmes éprouveraient, en moyenne, 13,8 % plus de fatigue Zoom que les hommes.

Nombre d’outils de vidéoconférence montrent par défaut aux utilisateurs leur propre fenêtre vidéo, renvoyant ainsi leur reflet. Les chercheurs ont évalué que cette réflexion constante en temps réel peut provoquer de « l’anxiété du miroir ». Cette conscience de soi peut être source de stress et d’anxiété, voire de dépression. « Il est vrai que c’est bizarre de se voir tout le temps, fait remarquer Isabelle. Dans la vie, on n’a jamais un miroir en permanence devant soi. Parfois, tu sens que les gens sont conscients de la caméra, car tu les regardes forcément, et tu as l’impression qu’ils se replacent, qu’ils s’observent ou qu’ils sont quasi en train de prendre la pose. »

L’enquête montre également que le « hypergaze », cette impression intense que les autres personnes sur un appel vidéo vous regardent, peut être intense pour nos méninges. Pour Mourad Bouaziz, concepteur-rédacteur dans une agence de publicité, la pression est plus grande en vraie qu’à la caméra : « Les imperfections sont acceptées lorsqu’on est à la maison en temps de pandémie. On est en jogging, la lumière n’est pas parfaite, la connexion Internet peut ne pas être idéale non plus ». Toutefois, celui qui estime ne pas avoir été atteint par la fatigue Zoom stipule qu’on devrait concentrer nos énergies autre part. « C’est le contenu de la conversation qui est plus important que le contenant », relativise-t-il. Parlant de contenu, autant Audrey et Isabelle préfèrent utiliser Zoom lorsqu’il y a partage d’écran — ça évite notamment le « hypergaze » en ne se concentrant que sur l’essentiel.

Quand Zoom s’invite au modèle hybride
Avide de retrouver ses comparses au bureau une fois les mesures assouplies, Isabelle a vite été désenchantée*. Si les lunchs et les cafés avec ses collègues la ravissaient, les réunions Zoom un peu moins, car celles-ci sont… restées ! En effet, comme la majorité des entreprises offrent une formule hybride et flexible pour leurs employés, ce ne sont pas tous les employés qui se retrouvent en même temps au bureau. « Ce sont des bureaux à aires ouvertes et les gens font des Zoom en même temps pour des réunions différentes. C’est ultra cacophonique et ça ajoute un nouveau palier de fatigue ! » dit-elle en riant. La jeune femme confie se questionner sur le futur de la formule hybride. Audrey est aussi d’avis que l’entre-deux est difficile à naviguer. « Ça fait 2 mois que je suis retournée au bureau 2 jours par semaine et j’essaie de condenser mes meetings en personne. Lorsque je reviens à la maison, je veux travailler et ne pas faire des Zoom toute la journée. Comment allons-nous balancer les deux ? », questionne-t-elle.

Pour prévenir et protéger les salariés de la fatigue Zoom, les chercheurs de l’étude mentionnée plus haut invitent les employeurs à instaurer des politiques tels qu’une journée par semaine sans appel vidéo, planifier des pauses adéquates entre les réunions, ou encore à mieux choisir l’outil à préconiser pour une réunion donnée. Vous connaissez l’expression « this meeting could’ve been an email », qui pourrait se traduire par « ce meeting aurait pu être un courriel » ? Et bien, ne faisons pas la même chose avec les visioconférences ! Parfois, ces dernières sont le meilleur outil, mais parfois, un appel téléphonique ou un courriel peut suffire. Couper les réunions inutiles, avoir le choix entre allumer ou éteindre sa caméra peut faire un monde de différence sur la santé mentale de tout un chacun. 

À go, on éteint notre caméra? 

*Au moment d'écrire ces lignes, les nouvelles mesures sanitaires n'étaient pas encore entrées en vigueur. 

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