Cela fait 10 ans que je travaille dans le monde des communications et du marketing. À travers ces années, j’ai vu et vécu toutes sortes d’expériences quant à la gestion de la santé mentale des artisanes et artisans de cette industrie. À un tel point qu’en 2016, j’ai décidé de m’éloigner du domaine et de prendre un pas de recul. Le manque d’intégrité et de transparence des agences a entre autres influencé ce choix, mais le manque d’humanisme y est également pour beaucoup. La pression pour maximiser les heures facturables et le nombre incalculable d’heures supplémentaires (non exigées, mais fortement applaudies) m’ont rendu amer.

Lorsque j’ai finalement réintégré cette industrie, près de deux ans plus tard, j’ai choisi d’y revenir pour tenter de changer les choses. D’abord en lançant en GLO, une nouvelle agence avec une approche plus éthique, mais aussi en osant prendre parole sur les sujets tabous de ce milieu.

La journée mondiale de la santé mentale, le 10 octobre, était certainement une occasion de mise pour aborder un de ces tabous. De façon générale, cette journée vise à sensibiliser le public et à lutter contre la stigmatisation liée aux maladies mentales. Ceci dit, j’en profite également pour dénoncer. Notre industrie est malade et il faut en parler.

C’est un secret de Polichinelle : les professionnel·le·s des communications et du marketing ont de la difficulté à trouver un mode de vie équilibré. Le simple fait d’œuvrer dans un domaine qui vise à maximiser les profits et où le modèle d’affaires repose entre autres les heures facturables d’employé·e·s est susceptible d’engendrer bien des dérives. Le problème est tel qu’un organisme à but non lucratif, le bec, a été créé en 2004 pour venir spécifiquement en aide à celles et ceux qui œuvrent dans ce domaine. Et rien qu’en 2020, l’organisme a aidé plus de 3500 personnes* dans leur développement, leur santé et leur bien-être. Soyons lucides : pour qu’un organisme dédie ses activités uniquement aux talents de notre industrie et qu’il consacre une grande partie de ses activités à supporter leur santé mentale, c’est que le problème est flagrant !

À qui revient la faute ? Aux dirigeant·e·s de l’industrie ou à la hustle culture qui y règne ? Plusieurs entreprises affirment se pencher sur la question de la santé mentale, mais quelles sont les actions concrètes qui sont mises en place ? Je me permets de dénoncer le manque d’humanité derrière la GLOrification d’une telle hygiène de vie, sous le couvert de l’accomplissement professionnel et de la productivité. Prendre soin de son équipe, ça va bien au-delà d’offrir des collations gratuites, de l’alcool et des tables de ping-pong. Ces initiatives font sans doute plaisir, mais la vérité c’est qu’elles sont conçues pour inciter à travailler plus fort et plus longtemps. Et surtout, ce sont des solutions superficielles appliquées à des problèmes bien plus profonds.

Chez GLO, on tente de revoir les manières traditionnelles de s’occuper de la santé mentale pour mettre en place des solutions qui ont un réel impact. On veut faire comprendre et faire sentir à l’équipe que l’importance qu’on y accorde est la même que celle accordée au rendement de l’agence. On offre notamment un horaire flexible, des congés « santé mentale » pour les jours plus difficiles et on a mis en place une politique sur le droit à la déconnexion, qui va à contre-courant des pratiques omniprésentes de notre industrie. De plus, une fois les heures de travail complétées, on n’encourage personne à en faire davantage. En fait, c’est plutôt l’inverse : si on observe qu’une personne travaille davantage que sa charge prévue, on ne manque pas de sonner l’alarme nous-mêmes et d’inviter cette personne à identifier avec nous des solutions pour rétablir l’équilibre. Bref, chez nous, le temps supplémentaire ne détermine pas la valeur de quelqu’un, ni son dévouement à l’entreprise ou ses possibilités d’avancement.

Pendant ce temps, le bec a rapporté en 2021 une augmentation de 21 % des appels en lien avec la santé mentale. Ils représentent désormais 37 % des appels reçus par cet organisme de soutien. Évidemment, la pandémie a ajouté de l’huile sur le feu et exacerbé cette situation déjà fragile. Allons-nous sonner l’alarme avant qu’il soit trop tard ? Ça urge !

Pourtant, d’autres secteurs des services professionnels commencent à passer à l’action. En droit, le Barreau du Québec a tenté de prendre le taureau par les cornes en publiant une étude visant à identifier les déterminants de la santé mentale chez les avocat·e·s. Sans surprise, la culture visant à maximiser les heures facturables est pointée du doigt comme étant un facteur contribuant à la détresse psychologique. D’ailleurs, on remarque que cet impact est encore plus grand chez les femmes. Les parallèles avec l’industrie des communications et du marketing sont d’autant plus inquiétants, étant donné que les emplois y sont majoritairement occupés par des femmes.**

Du côté des agences, il serait grand temps de repenser les façons de faire et de valoriser le travail sain plutôt que le travail excessif. D’autres modèles sont possibles et viables : GLO et quelques autres acteurs en sont la démonstration. Du côté de l’industrie, il serait temps d’oser nommer, étudier et quantifier ce défi, afin de trouver collectivement des solutions adaptées à nos professions.

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Besoin d’aide pour vous ou un proche ?
Ligne téléphonique du bec : 1-888-355-5548

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Jonathan Nicolas
Stratège numérique et fondateur de GLO

À noter que la version originale a été publiée par Les Affaires.

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*Le bec, Le bec en bref
**Gingras, (2020), Comparaison entre les femmes et les hommes quant aux stresseurs à l’origine de la détresse psychologique chez les avocat(e)s québécois(es) : étude du rôle direct et indirect des heures facturables. Le barreau du Québec. 

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Jonathan Nicolas est stratège numérique et fondateur de GLO. Il enseigne à l’École des dirigeants de HEC Montréal et à Infopresse. Spécialiste en web analytique, stratégie numérique et média, il aide les entreprises à performer en tirant avantage des nouveaux processus d’achat des consommateur·trice·s et des innovations technologiques. Il a entre autres accompagné Le Musée de la civilisation, les Francos de Montréal et Héma-Québec. À ce titre, il a d’ailleurs décroché plusieurs reconnaissances, cumulé une dizaine de certifications web et s’est taillé une place au sein du tout premier 30 under 30 d’Infopresse.

À la fois passionné et critique, il a décidé de fonder GLO pour mettre en lumière les différents enjeux de l’industrie de la publicité numérique, et pour tenter de proposer des alternatives plus intègres, transparentes et collaboratives.