La pénurie de main-d’œuvre est un problème qui persiste depuis plusieurs années. L’arrivée de la pandémie de Covid-19 n’a fait qu’empirer cette situation déjà désastreuse. Quel est le point de vue des Ressources humaines sur le sujet ? Discussion avec Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA), pour avoir une vue d’ensemble sur cette dure réalité.

Aucun secteur n’est épargné
Tout d’abord, la pénurie de main-d’œuvre n’est plus un phénomène isolé : « Aujourd’hui, tout le monde subit cet enjeu. Aucun secteur n’est épargné », explique Manon Poirier. Plus précisément, le secteur de la santé serait le principal affecté par cette situation. Si on en croit Statistique Canada, près d’un poste sur cinq de vacant lors du premier trimestre de 2021 se trouverait dans le secteur des soins de santé et de l’assistance sociale. Suivrait ensuite le secteur de la construction comme étant le second à subir un important manque de personnel. Cette situation ne daterait malheureusement pas d’hier : « C’est un domaine où il y a eu de moins en moins de candidats au fil des années », explique madame Poirier. Cette situation serait due aux mouvements sociaux qui encouragent les études universitaires. De plus, le nombre de postes vacants dans ce secteur aurait présentement atteint un sommet inégalé selon Statistiques Canada, soit un total de 46 400 postes vacants, ce qui représente une augmentation de 33,1 % depuis le premier trimestre de 2021. Le troisième secteur le plus affecté serait celui de l’informatique qui est en manque de professionnels sur le marché : « C’est un gros problème pour les organisations qui ont besoin de professionnels de l’informatique, puisque tout passe par là de nos jours », précise la directrice générale.

La « Grande Démission »
Depuis la dernière année et demie, la pandémie de Covid-19 n’a fait qu’accentuer cette problématique déjà importante. Selon la directrice générale du CRHA, le confinement aurait été une période d’introspection pour plusieurs : « La Covid-19 et le télétravail ont changé la relation que les gens avaient avec le travail, ce qui a amené plusieurs personnes à se questionner sur leur emploi ». L’introspection de plusieurs a abouti en d’importantes vagues de démissions et de changement d’emploi : c’est pourquoi certains appellent ce phénomène « La Grande Démission ». Le lot de mouvement dans les organisations créé par ce phénomène affecte les équipes de travail : « Les entreprises sont essoufflées. Il devient difficile de garder un historique de tous les mouvements du personnel », explique madame Poirier.

Une famille de leviers
Quelles sont les solutions à ce problème ? Selon Manon, il y a une famille de trois « leviers » qui pourraient remédier à la situation. Le premier levier est celui de l’immigration, qui représente un énorme potentiel de recrutement. « La Covid-19 a nui à ce potentiel de recrutement. Les organisations espèrent que l’immigration reprendra prochainement son rythme », affirme la chef d’entreprise. Ce premier levier comprendrait aussi d’autres bassins de main-d’œuvre peu représentés, soit les travailleurs plus expérimentés, en situation de handicap, ainsi que la main-d’œuvre autochtone ou multiculturelle. Selon Manon, les organisations se doivent de les rejoindre : « Elles doivent se demander si elles attirent ces gens-là, se questionner sur comment elles se présentent, où elles affichent leurs postes, etc. ». Le deuxième levier est celui de la technologie, soit l’automatisation des tâches et l’intelligence artificielle au sein des organisations. Bien que l’intelligence artificielle fût auparavant synonyme de perte d’emplois, ça serait aujourd’hui un avantage : « Maintenant, on utilise l’intelligence artificielle pour enlever certaines tâches, ce qui libère du temps pour les employés », précise la directrice générale. Le troisième levier est celui du développement des compétences, soit le rehaussement et la requalification des employés. Auparavant, les travailleurs restaient dans la même industrie durant l’entièreté de leur carrière, alors que les gens d’aujourd’hui veulent se réinventer. C’est donc une opportunité pour les employeurs de requalifier leurs employés tout en remédiant à la pénurie : « Quand on ne peut pas recruter, il faut penser aux gens à l’interne », affirme Manon

Garder son monde
Malgré l’important manque de main-d’œuvre, les employeurs ont plusieurs moyens de remédier à la situation, et ça commence avec le maintien du personnel : « L’employeur doit être bienveillant, à l’écoute, faire confiance à ses employés et leur donner de l’autonomie », affirme madame Poirier. Selon elle, ce sont ces qualités qui font que les gens restent dans leur organisation. C’est en effet ce qu’elle conclut de la situation : « Si les gens ont le goût de rester, on n’a pas besoin de recruter ».  

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