Associez les mots « traduction », « technologies » et « avenir » dans votre moteur de recherche et vous tomberez sur une panoplie d’articles criants comme : Quel avenir pour le traducteur humain ?, ou encore Les emplois de traduction disparaîtront-ils dans un proche avenir en raison de la technologie ?

Toutes ces questions soulevées par beaucoup de journalistes et de blogueurs, bien que pertinentes, sont toutefois très… alarmistes. En effet, il faut comprendre que les professionnels de la traduction intègrent la technologie dans leur quotidien depuis plusieurs années déjà. Sont-ce les récits de science-fiction apocalyptiques — dans lesquels l’intelligence artificielle démonisée renverse le pouvoir et s’attaque aux Hommes — qui inspirent de telles inquiétudes ? Quoi qu’il en soit, « les machines ont des limites » nous indique Donald Barabé, Président de l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ).

Made in Turkey — Fait en Dinde
Intelligence artificielle et traduction neuronale font désormais partie du quotidien des traducteurs professionnels et du commun des mortels. Google traduction en est un bon exemple et vous sera certainement utile pour vous donner « une idée de ce qui est dit », rapporte Serge Bélair, président de TRSB (Traduction Serge Bélair). Or, les machines ne font pas encore la part des choses selon le professionnel, qui rappelle le cas assez comique du Made in Turkey traduit Fait en dinde.

« Ce qu’on désigne couramment comme intelligence artificielle réfère davantage à l’intelligence augmentée », renchérit Donald Barabé. « L’humain se sert de la technologie comme une extension de son cerveau, mais la technologie ne remplace pas du tout l’interprète ou le traducteur et ne permet pas la compréhension des subtilités langagières. » À la lumière des limites des machines, une question reste en suspens : qu’est-ce qui stimule toute cette inquiétude pour le métier de traducteur ?

OTTIAQ

Une industrie en perpétuelle demande
Monsieur Barabé s’amuse à nous donner une leçon d’histoire : « La traduction est une des plus vieilles activités de l’humanité. Les linguistes, ethnologues, historiens, etc. ne s’entendent pas sur cette notion historique : y a-t-il eu naissance d’une seule langue (monogénèse) ou de plusieurs langues (polygénèse) au tout début des communications humaines ? Dans l’optique où il y aurait eu monogénèse, tous les spécialistes s’entendent pour dire que cette langue unique s’est rapidement divisée en langues distinctes. Ce faisant, l’interprétation, qui est à l’origine de la traduction, est vite devenue un moyen de communication entre les cultures. » Aujourd’hui, on compte plus de 7 000 langues parlées dans le monde entier… Ça en fait du boulot pour les traducteurs ! « Selon des études, il faudrait réunir la population complète des États-Unis, de l’Indonésie et de la Chine, soit 2 milliards de personnes, pour traduire à peine 0,01 % du contenu produit chaque jour dans une centaine de langues », indique le traducteur agréé.

Jamais auparavant autant de contenu n’a été créé, c’est pourquoi les demandes en matière de traduction ne font qu’exploser. Bien que la traduction automatique devienne de plus en plus populaire, la demande auprès des professionnels elle, ne fait que croître. « La demande pour les services de traduction explose dans le monde, nous indique Serge Bélair, elle a décuplé dans les 20 dernières années. » Donald Barabé se dit tout aussi confiant pour l’avenir des traducteurs : « Il n’y a pas de retour en arrière possible, autrement il faudrait réduire les communications. Actuellement, on dénombre plus de cellulaires que d’êtres humains sur la planète… Penser à réduire les communications devient complètement absurde. » Il n’y a donc pas à craindre pour la profession selon les deux traducteurs.

Technologie et traduction : une audacieuse alliance
Selon M. Barabé, il existe deux types de textes. Les premiers sont appelés préjudiciables. Les seconds, non préjudiciables. Règle de traduction 101 : la traduction demande une attention particulière lorsqu’elle porte sur un texte préjudiciable, c’est-à-dire un texte susceptible de causer un préjudice si sa traduction est erronée. En effet, tous les mots comptent : par exemple, vous aimez connaître tous les ingrédients d’une recette ou d’un produit, surtout si vous êtes allergique à certains aliments ; ou encore, vous souhaitez que les manuels de médecine, de pharmacologie, mais aussi de votre voiture soient bien traduits ! Ce genre de texte est préjudiciable, nous indique Donald Barabé. La technologie n’est pas encore assez fiable pour ce type de documents : « Si la vie d’humains est en jeu, vous ne demanderez pas à une machine de s’occuper de la traduction. »

Or, certains outils parviennent à alléger le travail des traducteurs et à améliorer leur efficacité. Monsieur Barabé nous explique les deux principaux outils : « D’une part, il y a la mémoire de traduction. C’est une technologie qui permet de recycler des passages de textes. Elle est très utile lorsque vous avez un texte qui a été traduit en partie, car s’il existe une traduction, la machine va la trouver et va l’appliquer. C’est aussi un avantage, puisque la machine fait un bon travail d’uniformité. Cela dit, on sait que, par exemple, seulement 21 % des textes traduits par le Bureau de la Traduction du Canada contiennent des répétitions. Le reste constitue de la rédaction créative pure, pour laquelle la mémoire de traduction n’est d’aucune utilité. D’autre part, il y a la traduction automatique qui, dans certains cas, peut s’avérer utile. En fait, tout dépend de la nature du texte, préjudiciable ou non préjudiciable, car il ne faut pas perdre de vue que la machine calcule, mais ne comprend pas : elle cherche dans les banques de textes ce qui se rapproche le plus possible du texte à traduire. Cela demande, dans tous les cas, un travail de révision professionnelle. »

Pour sa part, Serge Bélair va plus loin en insistant sur l’importance de la qualité des communications, assurant que « les entreprises soucieuses de leur image ne confieront pas leurs documents à des machines ».

Quel avenir pour la traduction ?
En terminant, c’est le sourire aux lèvres que Donald Barabé nous inspire ce mot de la fin : « Si on avait 2 milliards de traducteurs, ceux-ci ne suffiraient pas à la demande. Alors, si vous avez des enfants ou neveux et nièces, vous pouvez les encourager à se lancer en traduction. Les technologies vont les aider et non leur nuire ».

Alors, à ceux et celles qui s’inquiètent de l’avenir du métier, nous pourrions répondre : Keep calm and … study translation