En 2016, un programme d’intelligence artificielle (IA) nippon a co-imaginé un court roman qui a quasi remporté un prix de littérature ! Plus récemment, en 2019, JP Morgan a signé une entente de 5 ans avec le logiciel d’IA Persado, capable de générer des campagnes personnalisées. L’IA pourrait-elle un jour remplacer ceux et celles qui ont fait de la traduction une vocation ? Nombreuses sont les questions existentielles sur la plateforme Quora à ce sujet. On s’entretient avec Anik Pelletier, VP Langage de marque chez Bleublancrouge.

Anik Pelletier

Un métier humain en trois axes
Dans les dernières années, la traduction s’est grandement modernisée et le métier n’est plus ce qu’il était. D’abord, le métier se décompose en trois principaux axes : la traduction écrite, traduction verbale (c’est-à-dire l’interprétation), et enfin, la terminologie. «  Si vous avez en tête un rat de bibliothèque entouré de piles de dictionnaires, vous avez une vision un peu dépassée, s’esclaffe Anik Pelletier, VP Langage de marque chez Bleublancrouge, qui compte près de 30 années d’expérience. Ça a déjà été vrai, mais aujourd’hui, la plupart des outils sont informatisés.  » Selon l’experte, une pléthore d’outils de traduction assistée par ordinateur (TAO) sont apparus il y a entre quinze et vingt ans – très rudimentaires à l’époque, ils ont pris du galon avec l’avènement de l’IA. «  L’industrie des services linguistiques est très recherchée surtout avec l’explosion des communications et la mondialisation, poursuit Anik. Si on veut comprendre ce qui se passe de l’autre côté de l’océan, ça prend des gens et des outils.  » Les outils de TAO font partie intégrante du métier de traducteur, et sont même inclus dans les programmes universitaires. On n’a qu’à éplucher les offres d’emploi pour voir qu’une connaissance des logiciels TAO est un fort atout, voire une nécessité. Aujourd’hui, rares sont les traducteurs et traductrices qui n’intègrent pas la technologie dans leur quotidien, estime la VP Langage de marque.

Les avantages et les limites des machines
Un des outils les plus utilisés est la mémoire de traduction. Celle-ci permet de répertorier toutes les traductions existantes avec la langue source, dite de départ, et la langue cible, dite d’arrivée. Dans le cas de l’agence Bleublancrouge, ce sera surtout de la langue de Shakespeare vers celle de Molière. Anik nous synthétise comment cet outil fonctionne. Par exemple, une traductrice traduira «  the sky is blue  » par «  le ciel est bleu  ». La mémoire de traduction mettra ce segment en banque. Ensuite, lorsqu’il s’agira de traduire «  the sky is red  », l’outil pourra ressortir une correspondance presque parfaite, puisqu’il n’y a qu’un seul mot qui diffère. Il ne reste plus que «  red  » à traduire. Les mémoires de traduction permettent donc d’aller quérir ce qui a été traduit par le passé : les phrases peuvent être déjà complètement traduites ou à quelques mots de différence. «  C’est très utile pour l’uniformité, défend l’experte en langage. Il y a 15-20 ans, on devait compter sur nos propres cerveaux dans l’équipe. On n’avait pas d’endroit commun pour aller chercher ce qu’on avait déjà traduit dans un autre texte. Ça pouvait être pénible ! Maintenant, on n’a plus à chercher puisque la machine le fait pour nous.  » Non seulement l’outil aide à l’uniformité des textes, mais donne également un sacré coup de main en matière de rapidité !

D’autres outils seront utilisés par les langagiers et langagières, comme des bases de terminologie, montées par des terminologues. Ce seront davantage des lexiques et des termes qui appartiennent à un domaine spécifique, comme l’industrie de l’automobile, qui a besoin d’une terminologie qui lui est propre.

Si la professionnelle du langage avoue que les outils sont de plus en plus raffinés, et de plus en plus performants, Anik croit que la machine ne peut saisir toutes sortes de subtilités : les nuances de la langue, les jeux de mots, le second degré ou l’ironie par exemple. «  La machine ne peut pas du tout saisir les références culturelles et locales et il peut y avoir des erreurs de contexte, précise-t-elle. Comme le mot “fall”, en anglais, qu’on pourrait traduire par “chute d’eau”, “automne” ou le verbe “tomber”. C’est de plus en plus perfectionné, j’en conviens, et il y a de moins en moins d’erreurs banales, mais ça arrive encore. J’ai vu une Miss Maple devenir une mademoiselle Érable ! (RIRES)  » La VP Langage de marque ajoute que les machines ne peuvent exprimer et traduire l’essence des émotions d’un texte plus créatif, poétique et littéraire.

Pas de sitôt
La communication mondiale ne va pas sans la traduction — seulement, le milieu souffre d’une pénurie de main-d’œuvre importante. «  C’est pourquoi les outils automatiques prennent de plus en plus de place, affirme Anik, car au nombre de traducteurs humains qui existent sur le marché, on n’arriverait pas à tout traduire ! Ces outils nous permettent d’en faire plus.  » C’est dans cette optique que le métier de post-édition a fait son apparition dans les dernières années. En émergence dans de grandes boîtes de traduction, cette nouvelle profession permet de gagner du temps et consiste à réviser des textes qui ont été traduits par des moteurs de traduction automatique. Les traductions automatiques sont loin d’être infaillibles, d’où l’importance qu’un être humain révise les textes pour éditer, corriger et surtout assurer que le contexte et la terminologie soient respectés. Bien que ces machines puissent aider les humains à en faire plus, elles ne nous remplaceront pas dans un avenir proche. «  Ni même un avenir éloigné, précise l’experte, qui se dit adepte de la technologie. Du moins, pas de mon vivant ! (RIRES).  » Elle-même a implanté des logiciels flirtant avec l’IA dans des contextes qui s’y prêtaient. «  Mais la langue comporte de nombreuses nuances et je ne crois pas que la machine va arriver à toutes les saisir un jour  », plaide Anik.