Journalisme de contenu, rédaction commanditée ou brand journalism, les termes sont nombreux pour définir ce concept jumelant rédaction et marketing qui gagne en popularité auprès des entreprises. S’inspirant des codes traditionnels du journalisme, cette nouvelle « plume stratégique » des marques qui souhaitent proposer à leur cible du contenu à la fois promotionnel et rigoureux respecte-t-elle l’éthique journalistique ? Quelle est sa valeur ajoutée et en quoi diffère-t-elle du journalisme à proprement parler ? Martin Beauséjour, rédacteur en chef - contenu de marque chez Sid Lee, nous éclaire sur cette question (délicate) qui pousse à la réflexion.

Martin Beauséjour

Comme tout contenu de marque qui se respecte, la rédaction commanditée vise avant tout à mettre de l’avant l’image et les services d’une entreprise à travers une forme rédactionnelle inspirée de celle utilisée par le journalisme dit « traditionnel ». Avec l’arrivée d’une panoplie de nouvelles stratégies de contenu, qui sont notamment déployées au moment où l’utilisation des médias sociaux par les marques devient inévitable, ce que certains appellent le « journalisme de marque » prend de nos jours du galon, proposant une approche éditoriale dans laquelle les sujets abordés sont développés pour et par les marques.

Sujet, angle, entrevue et texte composent ainsi la recette de l’article commandité. Mais peut-on réellement affirmer qu’il s’agit de journalisme ? Selon le guide de déontologie de la Fédération professionnelle des journalismes du Québec, « les journalistes servent l’intérêt public et non des intérêts personnels ou particuliers (…) » et « basent leur travail sur des valeurs fondamentales telles que l’esprit critique (…) et l’impartialité qui leur fait rechercher et exposer les divers aspects d’une situation ». Les professionnels de la rédaction sont-ils en mesure d’appliquer ces recommandations déontologiques si leur papier vise avant tout à faire la promotion d’une marque ou d’un produit ?

« Je suis contre cette appellation de “journalisme de marque”, affirme d’emblée Martin Beauséjour. La neutralité et l’impartialité sont des valeurs liées au journalisme de qualité. Quand c’est une marque qui commandite le contenu, même si elle ne fait pas directement la promotion d’un produit, on ne peut pas appeler cela du journalisme, ni même du “journalisme de marque”. »

Pour le rédacteur en chef, il est important de faire la distinction entre le journalisme et le contenu de marque, une pratique utilisée à l’agence Sid Lee, où l’on préfère employer les termes de contenu long (long copy), de contenu informationnel ou de contenu éditorial de marque. Ces synonymes détiennent, somme toute, une particularité qui les éloigne de la définition empirique du journalisme. Alors qu’à travers cette dernière, l’esprit d’analyse et la réflexion critique du rédacteur sont mis de l’avant, les contenus de marque sont plus largement le fruit d’une entreprise, qui garde une certaine main mise sur les sujets traités.

« Traditionnellement, le marketing de contenu, c’était du contenu commandité pour vanter les produits et les services d’une marque. La différence ici, c’est que le contenu informationnel ou éditorial fouille plutôt des sujets qui sont proches de l’expertise ou des valeurs de la marque. Mais cela dit, même si on prend un angle plus informationnel, reste que c’est une marque qu’il y a derrière. Quand on produit, par exemple, un magazine plus lifestyle pour l’un de nos clients, il approuve tout de même les choix de sujets. Il garde un certain contrôle », explique Martin Beauséjour.

Pas du vrai journalisme, mais quand même ?
Néanmoins, la qualité et la rigueur des textes rédigés dans le cadre d’un contenu éditorial de marque sont la plupart du temps au rendez-vous. Pas surprenant que les entreprises choisissent de plus en plus cette stratégie éditoriale qui apporte assurément une valeur ajoutée à la crédibilité de leurs communications. Bien que réticent à utiliser le terme de journalisme dans ce cas de figure, Martin Beauséjour comprend tout de même pourquoi on l’appose souvent à ce type de contenu.

« Par exemple, quand on rédige un texte de 1500 mots pour une institution financière, c’est une entité crédible dans le domaine. On fait une entrevue avec un conseiller financier, qui est lui aussi un expert. Le but premier est alors d’informer les gens. Les entreprises de nos jours doivent produire du contenu comme n’importe quelle autre entité, que ce soit un média ou une personne. Mais, est-ce que les gens doivent faire la part des choses et distinguer le contenu commandité du contenu journalistique ? Bien entendu. »

Journaliste versus rédacteur publicitaire
Déontologiquement parlant donc, le journalisme traditionnel et la rédaction de contenu éditorial s’opposent dans une bataille éthique (et même étymologique). Mais comme dans les salles de nouvelles, les marques recherchent des textes de qualité, et une approche rédactionnelle soignée. Est-ce alors difficile de trouver des journalistes de métier qui acceptent de faire ce genre de contenu ? Comment doivent-ils se positionner, alors que pour plusieurs pigistes, les contrats en presse écrite se font rares ?

« Règle générale, des journalistes qui écrivent dans des médias traditionnels ne peuvent pas rédiger du contenu de marque, nous apprend Martin Beauséjour. Par contre, on voit de plus en plus de journalistes de formation qui deviennent des rédacteurs de contenu de marque pour débuter une nouvelle aventure. On voit aussi de jeunes rédacteurs qui choisissent de se spécialiser dans le contenu éditorial de marque. Et ça, c’est une bonne nouvelle pour l’industrie de la publicité. »

Le juste milieu rédactionnel
Texte journalistique ou article commandité ? Pour le lectorat, soumis aujourd’hui à des formes toujours plus hybrides de contenu, l’incrédulité est pratiquement automatique. Le contenu rédactionnel doit donc réussir à faire rimer efficacité avec qualité, sans tomber dans la promotion à outrance. « Il faut toujours se mettre dans la peau du lecteur et lui apporter quelque chose, le fameux “what’s in it for me?”. Il faut surtout rester loin du ton promotionnel et du “communiqué de presse”. Il faut aussi aborder les côtés moins reluisants de notre sujet, car chaque chose a ses bons et ses mauvais côtés. Il faut aussi réfléchir en amont au visuel qui va illustrer l’article », précise Martin Beauséjour.

Plus qu’un simple outil promotionnel « sans âme », le contenu rédactionnel de marque peut donc devenir pour les entreprises un moyen judicieux d’acquérir un public pertinent ou qualifié. Puisqu’il prend un certain temps à produire, il peut aussi être rentabilisé à travers de multiples partages sur les différentes plateformes sociales ou web d’une marque.

« Ce type de contenu devrait être destiné à faire de la notoriété ou de la considération, plutôt que de la promotion de produits. On veut vraiment informer les lecteurs, leur démontrer qu’on a une expertise dans notre domaine. Et tisser un lien émotif avec eux, basé sur des intérêts communs », ajoute Martin Beauséjour.

Bien que ce genre de contenu à saveur « journalistique » — surtout à cause de ses appellations — risque de continuer à soulever l’indignation de certains, croyant à de la simple publicité cachée, il n’en demeure pas moins qu’il s’inscrit dans une tendance marketing forte et évolutive. Chose certaine, le public recherche aujourd’hui des contenus variés, à la fois inspirants et informatifs, qu’ils soient « sponsorisés » ou non.

« Ça fait partie de l’avenir. Je pense que c’est devenu une nécessité pour les marques. Surtout avec l’avènement des plateformes sociales, où les marques doivent parler à leurs audiences non plus comme des annonceurs, mais bien comme des créateurs de contenu », conclut Martin Beauséjour.