À partir de quel âge devient-on trop « vieux » pour travailler en communication créative ? J’ai posé la question à quelques publicitaires. Puis j’ai cherché des éléments de réponse du côté d’un professeur agrégé de l’Université d’Ottawa.

45 ans. C’est l’âge auquel on deviendrait « trop vieux » selon leur perception qu’ont du monde publicitaire 26 % des 43 répondants de mon sondage de singe maison. Plus que 50 ans. Plus que 55 ans. Et 40 ans qui suit de très près. Ouch !

La plupart des publicités vieillissent mal. C’est voulu. L’obsolescence fait partie intrinsèque de cette industrie qui carbure à l’heure facturable. Le mot d’ordre est « au suivant » ! Pour les pubs, ça allait. Mais qu’en est-il quand la règle semble s’appliquer aux publicitaires eux-mêmes ? L’apparition de la petite ride et du cheveu gris seraient-ils devenus les nouveaux étalons qui séparent les publicitaires « in » des publicitaires « out » ?

Voilà deux ans, j’avais écrit ici même un article intitulé « Jeunisme d’aujourd’hui ». J’avais rencontré des chasseurs de têtes et une personne du bec. Le constat était clair : oui, il existe une discrimination négative reliée à l’âge des travailleurs de la pub.

Cette fois-ci, j’ai décidé de poser la question aux publicitaires eux-mêmes. La réponse reste identique. Le publicitaire vieillit mal. L’expérience acquise ne semble pas de taille pour rivaliser avec la fougue et la beauté de la jeunesse. Bon, la différence salariale explique en grande partie cette situation, mais il y a plus.

Quels mécanismes font en sorte qu’une industrie accepte quasi systématiquement de se départir de son savoir et de son expertise ? Pourquoi un travailleur de la pub devient-il obsolète aux yeux de ses employeurs ? Comme le disait Pierre Labelle dans son célèbre monologue sur les dates de péremption des conserves : « Qu’ossé qui s’passe dans la “canne” dans la nuit du 1er au 2 février ? »

43 tons de gris

Parmi les 43 témoignages recueillis, des histoires d’horreur. Des histoires à pleurer. Des histoires qui transpirent la colère, le sentiment d’injustice et souvent, trop, un lourd sentiment d’impuissance. Des histoires d’humains désabusés.

« Après avoir perdu mon job à 40 ans, on m’a clairement dit que j’étais trop vieille pour ce métier. Que j’aurais dû avoir des enfants, j’aurais trouvé cela moins difficile de perdre ma job. »

« Se faire tasser pour être remplacé par la jeune diplômée cute et qui coûte la moitié de ton salaire (après l’avoir formée). Check! »

« J’ai perdu mon emploi. J’envoyais mon CV qui cinq ans plus tôt, me valait immédiatement des entrevues. Mais là, aucun. J’ai révisé mon CV, enlevé mes dates de graduation et retiré mes premières années d’expérience. Le téléphone s’est remis à sonner. »

« Récemment, j’ai vu une première vague de mise à pied. Toutes les personnes touchées avaient au-dessus de 50 ans. Je me suis fait dire : “ah, mais toi, tu as l’air vraiment jeune…” (donc je dois m’inquiéter moins ?!) »

« J’ai perdu mon poste à 57 ans. En un an, j’ai passé 26 entrevues. Chaque fois, on appréciait mon profil, mais toujours rien. La fille de 30 ans qui te passe en entrevue, celle qui sera ta boss, penses-tu qu’elle va t’engager ? »

âgisme 1

La pub, victime de la pub ?

S’il est une industrie qui abhorre le vieillissement, c’est bien la pub. Dans les publicités, le monde il est toujours beau, le monde il est toujours gentil. Et le monde il est jeune. Les vieux ? N’a pas. Ou si peu.

Luc Dupont
Luc Dupont, professeur agrégé | Université d’Ottawa

Et si les publicitaires étaient eux-mêmes la raison pour laquelle on tasse les mononcles et les matantes au travail ? Pour en avoir le cœur net, j’ai contacté Luc Dupont, professeur agrégé à l’Université d’Ottawa et auteur d’un chapitre sur la représentation des gens âgés dans les pubs dans le livre « L’âgisme : comprendre et changer le regard social sur le vieillissement ».

Qu’elle est cette représentation, Luc ? « Quand on l’analyse, premier constat : les gens âgés sont invisibles, répond-il. Pas si mal ! Si on ne les montre pas, on ne peut être méchant à leur égard. Mais le fait qu’ils soient invisibles, c’est déjà dire quelque chose à leur propos. »

Il continue. « Et quand ils sont là (dans la pub), ils occupent une place secondaire. De façon générale, la personne âgée est sans importance. Elle est un cliché, une caricature. La vieillesse est un déclin : les vieux sont faibles, lents, passifs. Ils sont orientés vers le passé et réfractaires au changement. »

Tiens, tiens. Ça me rappelle les réponses de mes répondants à propos des facteurs évoqués pour « justifier » la ségrégation associée au vieillissement.

« Incompréhension des technologies ». « Pas à jour sur les tendances ». « Idées vieillottes ». « Ne sont pas dans l’air du temps ». Ah… Pourtant, l’an dernier ou cinq ans plus tôt, ils l’étaient, non ?

âgisme 2

#OKboomer

En tant que vecteur important du reflet de notre société, la pub est responsable de l’image péjorative que l’on colle à la vieillesse. Si on ne veut pas voir de « vieux » dans les pubs, pourquoi voudrait-on en voir se promener dans les corridors d’agence ou pire, rencontrer des clients ?

Âcre ironie, les « vieux » publicitaires d’aujourd’hui ont donc probablement contribué eux aussi au cours de leur carrière à l’exclusion publicitaire d’une partie de plus en plus importante de la société. N’est-il pas temps de boucler la boucle ?

Luc Dupont : « On s’est posé beaucoup de questions sur le sexisme et sur le racisme en publicité, mais je ne sais pas si on se pose autant de questions sur l’âgisme. Tôt ou tard, on va y arriver ».

Verrons-nous un jour des pubs de bières, de chars et de ronignechoux mettant en vedette des « vieux » ? La réponse réside dans cette question: voulons-nous/sommes-nous prêt à voir ça ?

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