Jean-Baptiste Richard
Richard Jean-Baptiste, Chef mondial du Studio, associé, Sid Lee

  • Une cause qui me tient à cœur : Pour 3points. Son dirigeant Fabrice Vil me fascine et m’inspire. Son travail de coaching auprès des jeunes m’impressinne beaucoup et son parcours professionnel est inusité et rempli de choix courageux.
  • Qu’apportes-tu sur une île déserte : Du Fats Domino et des livres… beaucoup de livres pour rattraper mon manque cruel de lecture et surtout, mon coffre à outils. J’adore travailler le bois.
  • Si tu étais une plante/un livre/une œuvre d’art/un événement historique, tu serais : une œuvre d’art ; un tableau de Kandinsky. Abstrait, parfois très carré et plein de couleurs.
  • Ton mot favori : En français : Ha ouin ! Je trouve qu’on peut lui donner tellement d’interprétation. J’aime jouer avec cette expression dans une conversation. En anglais : Correct. J’adore son côté décisif, définitif en insistant un peu sur le « T ». J’aime me faire poser une question et y répondre par Correct plutôt que Yes.

S’armer de patience et de persévérance

Parler de mon expérience dans l’industrie des communications en tant que personne de couleur est loin d’être un exercice facile. Depuis le début de ma carrière, qui ne date pas d’hier, la différence due à la couleur de ma peau est quelque chose que j’ai durement travaillé à minimiser, voire à nier. J’ai toujours refusé tout traitement spécial, et ce, bien avant cette époque où, pour régler les problèmes liés à la discrimination, on parlait alors de discrimination positive. J’ai toujours hautement détesté cette expression. Il ne faut jamais sous-estimer la volonté d’un individu à se fondre dans sa communauté professionnelle. C’est la base du sentiment d’appartenance. Après tant d’efforts, me voici donc aujourd’hui à donner mon point de vue sur la chose comme professionnel... de couleur.

Au-delà de cette foutue pandémie, 2020 aura étalé au grand jour plusieurs situations problématiques latentes et aura enfin apporté de nécessaires débats sur la place publique. Parmi ceux-ci, le manque flagrant de diversité ou d’inclusion dans les médias, ainsi que le racisme systémique. L’un va souvent avec l’autre. Ces notions d’une grande complexité doivent être abordées de front avec tout le courage, l’intelligence, l’empathie et la rigueur que nous pouvons et que nous devons y mettre. Personnellement, ces notions me hantent et me poussent à me poser des questions sur plusieurs aspects de ma vie, de mon implication pour changer les choses. Comme associé chez Sid Lee, ai-je fait une différence ? Devais-je faire une différence ? Pouvais-je faire une différence ? La communauté publicitaire me reflète-t-elle vraiment dans son produit comme dans les gens qui la composent ? Les réponses à ces questions ont parfois été brutalement étonnantes pour ne pas dire décevantes.

J’ai récemment compris qu’il faudra s’armer de patience et de persévérance pour que les choses changent vraiment. Un exemple concret me vient à l’esprit lorsque je parle de patience. À quelques reprises, j’ai entendu dire que la récente forte hausse de diversité culturelle dans nos publicités est très bien, mais que c’est comme si c’était trop. Ma réponse est bien simple : l’énorme absence de diversité culturelle dans les publicités est tellement considérable, et ce, depuis si longtemps, que simplement rééquilibrer le tout va paraître comme presque trop. Soyons assidus et ce rééquilibre deviendra la norme. De plus, ce rééquilibre reflétera davantage ces marchés que nos clients nous demandent de rejoindre. Il y a fort à parier que davantage de membres issus de la diversité y verront une motivation à faire carrière en publicité. Actuellement, certains efforts de diversité et d’inclusion peuvent parfois paraître maladroits. Personnellement, je préfère de loin une inclusion temporairement maladroite à une perpétuelle discrimination systémique.

J’avance ici 5 autres pistes de solutions :

  1. Engager humblement la conversation sur la diversité en entreprise et laisser des gens de la diversité vous guider dans ces conversations. On ne peut pas parler de ce qu’on ne connaît pas.
  2. Apporter des changements dans vos équipes de recrutement en y incluant des gens de la diversité. On ne peut pas rejoindre ceux qu’on ne connaît pas.
  3. Les directeurs de création doivent être sensibilisés à l’importance de la diversité dans leur travail. Oui, dans certains cas, ils auraient avantage à être accompagnés.
  4. Les entreprises doivent se doter d’une vraie politique de diversité et d’inclusion mesurable. Donc oui, ça va prendre des données, beaucoup de données.
  5. Bâtir les équipes de direction de demain, ça commence aujourd’hui. Il faut mettre en place des plans de coaching et de mentorat pour créer cette relève de la direction qui reflète la diversité d’aujourd’hui.

Il y a une multitude d’autres actions à prendre. L’important est de ne pas s’improviser expert en diversité et en inclusion ou d’avancer avec des œillères. Et surtout, surtout : s’armer de patience, de ténacité et de volonté. Sur ces derniers points, j’avoue avoir été fier et soulagé de la réaction de ma boîte, Sid Lee. J’y ai observé beaucoup d’humilité, d’écoute et d’empathie. Le travail devant nous est certes colossal, mais pas insurmontable, pas pour Sid Lee. On sent que les choses bougent vraiment. Je me devais de le souligner.

En plus de treize années de carrière en publicité, au cours desquelles j’ai participé à la création de la boîte de production Jimmy Lee et du studio de Sid Lee, c’est la première fois qu’une publication du milieu m’approche pour avoir mon avis sur une question quelconque. Je ne peux que saluer et remercier le Grenier pour cette initiative des plus louables. Du même souffle, j’espère qu’un jour, nous n’aurons plus besoin de ce genre d’initiatives. Que ce ne soit plus le point de vue d’un professionnel de couleur qui soit sollicité, mais bien celui d’un professionnel tout court s’adressant, très humblement, à une industrie qu’il ose croire la sienne. C’est aussi ça l’inclusion.

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Afin que toute notre industrie se fasse davantage voir et entendre, le Grenier aux nouvelles souhaite présenter des modèles inspirants issus de la diversité culturelle, de sexe, d’identité de genre, d’âge et en situation de handicap dans sa série « Dans l’œil de… ». Cette série vise à donner l’espace à des talents cachés de l’univers de la communication – publicité, production, côté agence et côté client, et à nous faire découvrir des personnes qui auraient lancé une initiative pour favoriser l’équité, la diversité et l’inclusion dans leur organisation. Si vous souhaitez soumettre votre portrait, ou connaissez une personne qui serait intéressée, écrivez-nous à [email protected].