Dans une ère où les productions audiovisuelles rivalisent d’audace, de technologies accessibles et d’inventivité (à défaut de gros budgets, disons-le), le domaine de l’illustré fait-il figure de négligé dans la sphère des contenus de marques et de la publicité ? Discussion sur le sujet (et autres nouvelles réflexions covidiennes sur la pratique) en compagnie de Cécile Gariépy.

Un adage du répertoire des indécrottables clichés nous répète qu’une image vaudrait à elle seule pas moins de mille mots sur le marché des devises vocables. Une alternative (encore) fictive pour quiconque souhaiterait réduire la lecture du présent article à sa plus simple expression – mais une réalité pour ces illustrateurs à qui l’on demande de traduire l’ADN d’une marque en une œuvre inanimée. Des défis hautement créatifs qui, chacun à leur manière, viennent confirmer la pertinence des illustratrices et des illustrateurs dans le domaine des contenus de marques et de la publicité. « M’est d’avis que le dessin fait appel à la même intelligence émotive que tout autre message livré en audio ou en vidéo, affirme d’entrée de jeu Cécile Gariépy, illustratrice dont le travail (et le style fort reconnaissable) s’est acoquiné à nombre de grandes marques telles que Google, Apple, Spotify et le New York Times au cours des dernières années. Cela dit, dans une époque où les réseaux sociaux ont accéléré de beaucoup la vitesse à laquelle nous consommons le contenu, l’illustré possède l’avantage de pouvoir transmettre une émotion, raconter une histoire ou à tout le moins attirer les regards en un clin d’œil. C’est un pouvoir indéniable que celui de marquer l’imaginaire dans l’instantanéité. »

L’INSTANTANÉITÉ DE L’IMAGE

Vrai qu’il devient de plus en plus difficile de soutenir l’attention d’un utilisateur de plateforme numérique sur des périodes prolongées. « Un message de quinze ou trente secondes, c’est une éternité, poursuit Cécile Gariépy, qui a naguère œuvré comme réalisatrice publicitaire. La pub traditionnelle (qui a connu de belles heures de gloire et qui est loin d’être en déclin) s’adresse moins aux gens des nouvelles générations, qui n’ont souvent qu’une fraction de seconde pour être séduits. Voir défiler son feed Instagram et y apercevoir une illustration invitante a plus de chance de les inciter à cliquer sur un contenu. » Bien au-delà de son format unique, l’illustré s’avère aussi être un vecteur de rapprochement des genres. « Sans faire de vaines comparaisons entre le dessin et l’audiovisuel, poursuit-elle, l’illustré procure plus de liberté en ce qui a trait à notre interprétation du monde et de ses composantes. Le fait que nous puissions dessiner des personnes, dont les caractéristiques physiques singulières, (comme les traits, les tailles ou encore les couleurs de peau) ne se fondent pas dans un ultra réalisme permet de rapprocher tant les classes sociales que les différents groupes culturels. Je parle ici bien sûr du style personnel que je préconise — n’en demeure pas moins que l’univers éclaté que permet l’illustré possède un potentiel extrêmement fédérateur. »

MOINS D’INTERMÉDIAIRES

Pourrions-nous dire que l’illustré connaît en ce moment une période faste auprès des annonceurs et des contenus de marques ? « Difficile à dire, car l’illustration est ce à quoi je consacre entièrement ma carrière depuis un bon moment – et c’est ce qui me fait de loin le plus tripper !, affirme Cécile Gariépy. Mais il va sans dire que l’interruption de nombreuses productions publicitaires causée par la COVID aura changé la donne en ce qui a trait à la production de contenu illustré. Plusieurs agences ont cru bon qu’il était plus simple de contacter une illustratrice pour lui proposer un mandat que de mobiliser une équipe de plusieurs personnes pour un tournage. Les illustrateurs ont vu des piles de contrats atterrir sur la table de travail au cours des derniers mois : il faut croire que le travail en confinement n’a rien de sorcier pour nous ! Cela dit, même si notre mode de production compte sur moins d’intermédiaires, il serait faux de croire que le processus d’idéation se veut plus simple. Cristalliser l’ADN d’une marque en une illustration est un défi à chaque fois. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte pour que le résultat soit magique. »

RESTER INSPIRÉ

C’est à dire ? « Personnellement, j’ai le loisir (et la grande chance, faut-il le dire) de travailler avec des marques qui m’inspirent, poursuit Cécile Gariépy. Plus le narratif de la marque existante est fort, plus le travail de l’illustrateur risque d’être porteur. On ne crée jamais à partir de rien : l’ADN de la marque est le tremplin sur lequel on rebondit pour en arriver avec des propositions fortes. Il y a des gens créatifs et hyper talentueux qui travaillent déjà pour les entreprises qui nous contactent : on veut avoir accès à leur vision. Aussi faut-il sentir qu’il y a une parenté entre le style intrinsèque de l’illustratrice et la marque que nous propose d’illustrer. Autrement, je dirais tout bonnement aux marques qui souhaitent faire appel à des illustrateurs d’être inspirées. Soyez motivées ! Il n’y a rien de plus le fun que de travailler avec un DA porteur d’une vision audacieuse ; il n’y a rien de plus stimulant que de dessiner pour une marque qui sait où elle veut aller et qui n’a pas peur de prendre des chemins sinueux pour y arriver. »

Cécile Gariépy
Illustration : Cécile Gariépy