Un sillon déjà tracé

Les grands mouvements sociaux nous encouragent à revisiter la façon dont nous créons. Pensons aux changements climatiques qui ont forcé la création de packagings compostables, ou encore à la pandémie qui change complètement les interactions entre les expertises sur un plateau de tournage. Mais la publicité reflète-t-elle vraiment la diversité de notre société actuelle ?

Prenons un exemple banal : une publicité destinée à la télévision. Habituellement, on y aborde une problématique qui doit être résolue par un concept créatif. Des scripts sont ensuite créés pour présenter ledit concept, la plupart du temps en exagérant des archétypes ou des situations de la vie courante. Le constat qui est souvent fait : un genre (homme ou femme) et une sexualité (hétérosexuelle) sont donnés d’emblée aux personnages. Pourquoi ? Pourrions-nous revoir nos biais afin d’élever notre création à un niveau supérieur ? 

Pas facile, mais possible. Abordons ici quelques étapes à suivre en prenant le cas d’une publicité traditionnelle (télé).

Quatre étapes faciles pour s’y rendre

1— Se réveiller

La première étape est simple : il faut être conscient de ses biais. Reconnaître que notre vision n’est pas la seule qui compte est essentiel pour explorer d’autres avenues. Découvrir et innover n’arrive pas du jour au lendemain. C’est un processus et une posture de pensée créative qu’il faut incarner. Est-ce que ça prend plus de temps ? Oui. Mais chaque changement demande un lot d’investissement et de bonne volonté.

2— S’y prendre tôt

L’intégration d’un processus non genré débute dès les premiers instants de la création : la tempête d’idées. C’est plus fort que nous, dès qu’on pense à un concept, une interaction, on imagine une dynamique claire et précise. Malheureusement, on se fie à notre conscience collective qui est parsemée de couples célèbres et, la plupart du temps, hétérosexuels. Autrement dit, « la norme ». On attribue à nos personnages des caractéristiques propres à un genre stéréotypé et notre premier réflexe, en tant que publicitaire, est d’inverser les codes, ne faisant que renforcer le faux sentiment d’authenticité.

Tentez d’imaginer des concepts en utilisant des termes génériques, comme la personne, l’enfant, le parent, l’humain, etc. Laissez-vous toutes les portes ouvertes afin de cristalliser l’intention plutôt que le sexe.

3 — Un casting basé sur le talent 

Il est vrai que d’inclure les membres de groupes minoritaires à l’écran peut soulever un certain tollé. À mon avis, le problème n’est pas tant la représentativité dont on fait le portrait, que la manière de le faire. On peut se faire accuser de jouer la pink card si le motif derrière est purement publicitaire. Selon moi, tout part de la tempête d’idées, mais il n’est pas trop tard pour nous rattraper à l’étape du casting.

La rédaction d’un brief, c’est un art en soi. Tant de pièges tendus par nos biais peuvent se présenter à nous sans que toutefois nous en soyons conscients. 

Faites l’exercice de décrire un individu avec des qualités neutres sur le plan du genre. Au lieu de rechercher un homme, jeune père de famille, intello, avec un corps d’Apollon et un sourire publicitaire classique, pourquoi ne pas y aller avec une personne dans la mi-trentaine, avec de la répartie, académique, à l’allure athlétique, charismatique et dont l’hygiène buccale est irréprochable ? En lisant ce descriptif, voyez-vous un genre en particulier ? 

Procéder de cette façon met l’accent sur le talent, nous force à éliminer tous les stéréotypes et change la manière dont on perçoit le casting traditionnel tout en permettant à l’industrie d’avancer et de montrer une diversité de talents à l’écran.

4 — Tous pour un

Malgré tous ces efforts, rien de tout cela n’est possible si vous êtes la seule personne à avoir ces intentions. Il faut trouver des alliés au sein de votre équipe, tant créative, stratégique que de l’équipe-conseil afin de mener ce cheval de bataille au front. Une équipe soudée et sûre d’elle-même sera plus efficace devant les embûches qu’un tel processus entraîne.

Parmi les arguments pouvant vous aider à générer des alliés, celui d’avoir encore plus de choix diversifiés reste le plus convaincant. Qui ne voudrait pas avoir un bassin de talents plus dense ? Augmenter ses chances de trouver la perle rare est nettement plus satisfaisant que de chercher un casting pointu et niche, laissant peu de place à l’imagination et augmentant la marge d’erreur. 

Malgré tout, soyons clairs : cette nouvelle méthode est à adopter avec tact et délicatesse. Il s’agit d’un travail de collaboration qui doit être fait d’un commun accord avec nos clients. Les irritants doivent être communiqués, les craintes désamorcées et des compromis doivent être faits pour en arriver au résultat escompté.

Mais encore

Les sensibilités en publicité seront toujours présentes. Le changement choque, est inconfortable et demande une période d’adaptation. Que ce soit au niveau de la langue (rappelons-nous la publicité de GoDaddy durant la diffusion de la téléréalité Occupation Double en Grèce, critiquée pour ne pas avoir utilisé le français international), de l’ethnicité ou du genre (Nikon et la famille afro-américaines avec des parents homosexuels), ce choc arrive à ouvrir une discussion qui est plus grande que le produit ou la marque. C’est ce qui est, selon moi, le rôle de la publicité à notre époque. 

En tant que marketeurs, nous avons la possibilité d’être de vrais acteurs de changement social. Ouvrons nos horizons et éduquons tant notre industrie que la société québécoise qui consomme les marques pour lesquelles nous travaillons.

Changeons les choses, un brief à la fois.