Forcée de se réinventer et de repenser ses codes, l’industrie de la production publicitaire a été frappée de plein fouet par la pandémie. Ce milieu collaboratif où règne travail d’équipe, manipulation continuelle d’équipement et proximité inévitable n’a eu d’autres choix que de wraper ses effectifs, réalisant plutôt, au cours des dernières semaines, des productions amalgamant images d’archives et tournages virtuels à distance. Maintenant que la reprise est amorcée, quelles mesures devront être mises en place pour assurer santé, sécurité, mais aussi efficacité, sur les lieux de production ? Suzanne Bourret, présidente-directrice générale de l’Association des producteurs publicitaires (APP), et Michel David, producteur exécutif chez Attraction et président du conseil de l’APP, nous confient les dessous de cette nouvelle réalité et de ses inévitables contraintes.

Au moment où la vie « normale » reprend peu à peu ses droits, assurément teintée par les conséquences de la crise, les agences, les clients, les producteurs et leurs équipes reprennent graduellement le chemin des plateaux de tournage. Une route qui ne sera pas sans embûches, puisque la réalité qu’ils ont connue jusqu’alors n’est déjà plus qu’un lointain souvenir.  

« Au départ, il n’y avait pas beaucoup de précisions sur le déroulement, et cela a soulevé plusieurs questionnements de la part de différents groupes de l’industrie. On a dû vérifier, s’investir, pour voir comment on pourrait être proactifs. On a alors consulté les différents intervenants du milieu pour déterminer comment on pourrait s’organiser pour poursuivre le travail de façon saine et sécuritaire », se souvient Suzanne Bourret, présidente-directrice générale de l’Association des producteurs publicitaires.

Suzanne Bourret
Suzanne Bourret, présidente-directrice générale de l’Association des producteurs publicitaires.
 

Un guide pour tenir le virus à distance

De cette volonté de prendre en main de manière efficace cette nouvelle réalité « aseptisée » qui allait devenir celle de la production publicitaire, Suzanne Bourret et Michel David se sont attelés à créer pour leurs membres un guide regroupant les diverses mesures sanitaires à adopter. Une tâche qui s’est avérée ardue pour l’Association, qui se devait de réfléchir à une panoplie de nouvelles directives qui assureraient la protection de tous les participants, et ce, à travers les différentes étapes de production.

« Dans le Guide, qui est un document évolutif, on a toujours cherché à s’ajuster. On est d’abord partis des deux documents produits par la CNESST et l’INSPQ, qui émettent les directives gouvernementales sur la santé et la sécurité, mais ce n’était pas nécessairement très précis. On voulait y aller de façon plus spécifique, sur les pratiques et les façons de faire, notamment pour s’assurer de respecter les deux mètres de distance, le lavage des mains et la désinfection des équipements. Comment peut-on faire vivre tout ça dans l’univers d’une production ? On a fait le tour de toutes les fonctions, de tous les postes d’un plateau », précise Suzanne Bourret.

« On a créé le Guide avec les différents intervenants du milieu, l’A2C, l’AQTIS, la DGC, l’UDA et l’ACTRA, par exemple, pour avoir leur accord et leurs recommandations, de manière à ce que l’on puisse plus facilement ouvrir les tournages. Tout ça a été un beau front commun, le Guide a été appuyé par tous les intervenants. L’idée était de faire un résumé des deux guides précédents pour qu’il soit plus facile de comprendre les mesures et de les appliquer », explique Michel David.

Michel David
Michel David, producteur exécutif chez Attraction et président du conseil de l’APP

À l’heure actuelle, le Guide a été approuvé par les instances gouvernementales, puis partagé aux membres de l’Association. Ajoutées en annexe, les recommandations de la CNESST complètent le document, qui évoluera au rythme graduel du déconfinement amorcé dans la province.
 

Faire simple, avec précaution

Incontournables pendant les mois les plus actifs de la pandémie, les tournages à distance ont dessiné les contours encore flottants d’un nouveau modèle de production, et ce, pour une période encore incertaine.  « Les premières productions qui ont eu lieu à la fin mars, ça répondait au besoin urgent, mais elles nous ont aussi permis de penser à comment faire d’autres types de productions, avec des concepts plus simples et des équipes réduites », explique la présidente-directrice générale de l’APP.

Terminées les scènes d’amour, celles où se déchaîne la foule d’un show rock, les séquences où des adolescents euphoriques sont entassés dans une voiture ? Il semblerait que oui. Du moins pour le moment. « Ce qui devient plus compliqué, c’est quand on a des grosses équipes. On va encourager les concepts qui tiennent compte du deux mètres. En tant que producteurs, on demande donc aux annonceurs et aux agences d’éviter de venir sur le plateau ou bien de venir à seulement une ou deux personnes. Idéalement, avant de présenter un concept, les agences devraient aussi vérifier avec la maison de production pour connaitre les possibilités d’embûches et de problèmes. »

Dans cette déferlante de précautions, un nouveau personnage fait son entrée en scène : le coordonnateur Santé et Sécurité. Ce « policier anti-Covid » s’assurera directement sur place que les consignes soient respectées par tous au cours de la production.
 

Le casse-tête du temps et des coûts

Questionnaire à l’arrivé des techniciens et des acteurs sur le plateau, période de nettoyage des équipements, pauses repas décalées ; qui dit nouvelles mesures, dit tournage prolongé…et plus coûteux ?

« Les journées deviennent beaucoup plus longues, c’est certain. Les gens doivent signer des questionnaires, il faut leur donner les consignes, les masques, la gestion de la nourriture et des repas est plus compliquée. Plus l’équipe grossit, et plus le budget grossit. Il faut ajouter plus de tentes, des moniteurs, ça peut devenir exponentiel. Aussi, pour les postes de coiffure et de maquillage, on peut se rendre à deux ou trois roulottes, pour garder la distanciation. C’est ce qui demeure le plus compliqué », explique Michel David.

En ce qui a trait aux lieux de tournage, de nouvelles complications s’ajoutent également, selon le producteur. Le nombre de personnes présentes à une même adresse doit être réglementé, ainsi que la logistique de déplacement de l’équipe, séparée dans différentes voitures. « Par exemple, si on loue une maison, on doit l’avoir pour au moins 3 jours. Il faut la désinfecter avant, pendant, et le lendemain du tournage. Ça augmente les coûts, ça ajoute des détails plus complexes. »

Même son de cloche au niveau des costumes et des décors, un département qui sera intimement touché par les mesures sanitaires, mais aussi par le fonctionnement actuel des commerces. « Si on veut changer la déco, les meubles, les vêtements, on doit donner plus de temps au gens qui vont faire les achats, qui vont attendre en file. Beaucoup de choses ne pourront pas être retournés en magasin », ajoute Michel David.
 

The show must go on

À savoir s’il ne serait pas plus simple de faire passer un test de dépistage à tout ce beau monde avant le début d’un tournage, Michel David explique que cette démarche n’est pas légale, ni même officialisée. « Le temps d’attente des résultats serait trop long, et ce n’est pas recommandé par la santé publique », précise-t-il. Les productions miseront plutôt sur les l’isolement des membres de l’équipe et des comédiens qui ressentent des symptomes ou qui ont voyagé préalablement, pour une période de 14 jours.

Selon les deux professionnels de l’industrie, la collaboration semble au rendez-vous sur les productions, même si ces nouvelles mesures sanitaires entraînent une plus grande charge de travail pour les producteurs, et un sentiment d’anormalité chez les participants du tournage, qui doivent cependant comprendre la nécessité de mettre en place de telles contraintes.

« Actuellement, il y a une bonne collaboration, mais avec les masques, la chaleur, l’arrivée de l’été, il va peut-être falloir surveiller encore plus », croit Michel David.

« Je suis ravie de voir la belle complicité qu’il peut y avoir avec les gens du milieu. Personne ne veut mettre à risque son entourage et sa personne. Si on est prudents et si on suit les recommandations, on va pouvoir travailler », conclut avec optimisme Suzanne Bourret.

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