À peine le confinement, les quarantaines, les nombreuses fermetures et la peur avaient-ils pris d’assaut la province, tout comme le monde entier, que plusieurs travailleurs et créatifs du Québec perdaient un à un leur boulot. Certains surpris ou confus, d’autres soulagés ou résilients, de nombreux réalisateurs, concepteurs, monteurs ou producteurs du Québec ont dû quitter temporairement leur emploi ou voir leurs contrats filer entre leurs doigts pour une période indéterminée. Deux travailleurs de talent d’ici témoignent de ce moment où leur quotidien a basculé, pour le meilleur et pour le pire.

Guillaume Cabana, monteur vidéo pigiste, se trouvait entre deux contrats tout juste avant le déclenchement de la pandémie. Ses affaires allaient bon train. Et puis, soudainement, il  rejoignait les plus de 5 millions de travailleurs sans emploi ou ayant considérablement réduit leurs heures de travail depuis le début de la crise. Guillaume a dû se résigner, il n’allait pas retourner au travail de sitôt. « Pendant la première semaine de confinement, j’étais en discussion à propos de mon prochain contrat de montage de la prochaine saison de l’émission Un souper presque parfait. Tout devait bien aller après les deux semaines de confinement imposées. Mais j’ai fini par réaliser qu’aucun de mes futurs contrats ne fonctionnerait, en comprenant que les productions télévisuelles sur lesquelles je devais travailler ne pourraient pas se dérouler avec un 2 mètres de distance. »

Guillaume Cabana
Guillaume Cabana, monteur vidéo pigiste

Pour l’industrie du cinéma et de la télévision, la situation est particulièrement inquiétante. Les résultats d’un sondage mené en avril dernier par Le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ) auprès d’une vingtaine d’entreprises en production relevaient que « 52 % des entreprises ont observé une baisse de leurs revenus de plus de 50% » et qu’elles « anticipent une crise plus longue car les tournages ne peuvent se dérouler selon les consignes de distanciation sociale. »

Dans l’incertitude quant à sa carrière de monteur, et inévitablement angoissé face à la suite de cette crise sans précédent, l’ancien coordinateur en post-production a dû établir un plan financier qui prenait en compte une situation d’assurance-emploi sur le long terme. Étant père de deux garçons de moins de deux ans, Guillaume Cabana s’est senti désemparé, lui qui enchaînait jusqu’alors les contrats « presqu’à l’année », malgré la précarité intimement liée au statut de travailleur contractuel. « Étant pigiste, je n’ai plus de contacts comme j’en avais avant, lorsque je travaillais pour une boîte de production. Et avec la crise, je trouve très difficile de ne pas savoir comment s’enlignera l’industrie de la télévision, et par la même occasion, mon emploi de monteur. »

Retour à la terre

Conseiller au service-conseil et producteur pour l’agence Kabane, Jérôme Verry a quant à lui compris l’ampleur de la crise plutôt rapidement. « Parmi mes clients, il y eu des coupures, notamment au niveau des tournages prévus. L’agence a ensuite pris la décision de mettre à pied certaines personnes temporairement, dont moi. C’est une décision que je comprenais, car si on prenait trop de temps à la prendre, ça pouvait être fatal pour l’entreprise. »

Jérôme Verry
Jérôme Verry, conseiller au service-conseil et producteur pour l’agence Kabane

Bien que quelque peu débalancé par ce soudain revirement de situation, Jérôme Verry ne se sentait pas particulièrement stressé, intimement convaincu, dans toute sa résilience, que cette crise aurait une fin plus ou moins proche. Après avoir effectué quelques rénovations chez lui, il décide qu’il veut se rendre utile et contacte un agriculteur qui ne pouvait plus compter sur sa main d’œuvre étrangère habituelle. « Kabane nous a toujours dit qu’ils voulaient nous réembaucher le plus rapidement possible. L’objectif était donc d’y retourner. Mais j’ai essayé entre temps d’en profiter le plus possible. Je suis arrivé sur la ferme, et j’y suis depuis environ 1 mois maintenant. Aujourd’hui, je vois l’énorme travail que ça demande, alors qu’avant j’étais beaucoup moins conscientisé à l’achat local. »

À savoir si sa profession aura changé à son retour prochain au sein de l’agence, Jérôme répond que l’impact de la crise sera certainement perceptible. « En conseil, je crois que notre offre de vente sera un peu différente, mais on sera toujours là comme avant pour accompagner les clients. Je pense que l’impact sera moins grand qu’en création. Pour la production par exemple, il y aura de nouveaux processus pour réduire au maximum les personnes sur le lieu de tournage, il y aura peut-être même un poste attitré uniquement au sanitaire. »

Il y a du bon dans tout

Tout n’est cependant pas que noir dans la situation de ces professionnels de la création, qui ont inévitablement profité de cette « bombe épidémiologique » pour repenser leurs priorités, leurs désirs, bref, leur vie.

« Le plus positif pour moi, c’était de voir le côté familial qu’on a chez Kabane, l’intérêt et l’amour que la direction nous a démontré, pour ceux qui sont restés, comme pour ceux qui sont partis. C’était encourageant. La direction s’est battue pour qu’on revienne rapidement, sans penser uniquement à l’argent des actionnaires, par exemple, et ça été très apprécié par les employés », se réjouit Jérôme Varry.

Ce dernier s’est également découvert un fort intérêt pour le travail sur la ferme, et compte y retourner dans ses moments de temps libre pour donner un coup de main au couple de propriétaires.

L’aspect « famille », Guillaume Cabana l’a lui ressenti dans sa propre demeure, profitant de cette crise soudaine pour passer plus de temps avec ses fils, tout en donnant un coup de main bien mérité à sa conjointe en congé de maternité. « J’ai été avec mes enfants comme je n’aurais jamais pu », résume-t-il, touché.