L’arrivée des beaux jours miroite un semblant de vie qui flirte moins avec la dystopie. Et pourtant, les bourgeons qui se ragaillardissent et les oiseaux qui gazouillent cui-cui jurent avec la réalité pandémique. En avril dernier, le Grenier a sondé plusieurs figures du milieu de la communication pour connaître ce qu’elles avaient vraiment sur
le « chest » depuis le début du confinement. Les échos de l’industrie oscillaient entre espoir, fatigue et incertitude. Gratitude aussi, de savoir que quelqu’un, quelque part, lui demande « comment ça va pour vrai ». L’univers de la comm est peut-être petit, mais on n’a pas pu échanger avec tout le monde ! On a donc répété l’exercice. Une fois de plus, revue en toute transparence sur ce que vit l’industrie : petites boîtes, plus grandes boîtes et freelancers.

Chaque semaine, le mardi et le jeudi, prenez des nouvelles de vos collègues à travers notre série « Comment ça va pour vrai chez... ». La version longue sera publiée dans le magazine le 25 mai prochain.

Ça va, ça ne va pas, ça va

« Je vais bien, mais pas tout le temps, énonce Isabelle Brosseau, gestionnaire exécutive de la création chez Sid Lee. Dans le contexte actuel, je pense qu’il est impossible de tout le temps bien aller. De ne pas avoir d’incertitudes, de peur et d’angoisse. Les jours où tout va bien à la maison, il y a des enjeux au travail et vice versa ».

Isabelle Brosseau

Isabelle Brosseau, gestionnaire exécutive de la création, Sid Lee

Puisque le rôle d’Isabelle à l’agence consiste à s’occuper des humains, elle trouve qu’à distance, la tâche est plus ardue. « Oui les Zoom et Slack de ce monde sont extraordinaires pour faire rouler l’agence, mais rien ne remplacera jamais le contact humain ». La gestionnaire avoue même que les détails qui pouvaient « l’agacer » au bureau lui manquent désormais ! « Finalement, ça me manque de tomber sur mes collègues dans les couloirs de l’agence et de régler un dossier en trois minutes. De tomber sur quelqu’un par hasard qui n’a pas l’air de feeler et de l’amener dans mon bureau pour voir comment je peux l’aider. C’est là que je me sens le plus utile. Cette partie n’est pas impossible, mais elle est plus difficile à distance ».

« Le business se porte bien, à moitié », mentionne Gabriel Grenier, directeur de la création et associé chez SHED. Considérant qu’une portion de sa boîte se consacre complètement au CG (computer-generated), donc ne reposant pas sur les tournages, il s’estime chanceux. « On a quand même pu faire quelques sessions post-prod avec Étienne au Flame grâce à un serveur de streaming qu’on a bâti. On est prêt à répondre à la demande dès qu’elle se présente », assure-t-il.

Gabriel Grenier
Gabriel Grenier, directeur de la création et associé, SHED
Crédit photo : Caroline Perron

« Notre staff a super bien réagi, poursuit Gabriel. On est vraiment fier de notre équipe. Nous nous étions tous organisés en télétravail quand la consigne de fermer les entreprises a été donnée. Ça nous a vraiment permis de prendre une petite longueur d’avance sur la crise et de bien gérer ça. Certains s’y plaisent mieux que d’autres. Techniquement, ce n’est pas le best, mais notre équipe est vraiment dévouée et garde un bon spirit ! ».

Puisque la plupart des agences ont reçu la directive de garder le plus possible leurs productions à l’interne, la boîte de production s’en trouve affectée. « C’est compréhensible, chacun essaie de s’en sortir le mieux possible, mais ça accélère un phénomène qui faisait déjà mal, croit Gabriel. Il nous faut donc accepter ce changement et trouver de nouvelles manières de séduire, peut-être même d’adapter notre offre et nos services ».

Somme toute, le directeur de la création chez SHED croit que les différents changements techniques et organisationnels vont rester lors de la relance. « Ça fera partie des bons legs de la crise ».

Des initiatives nées de la crise

Isabelle révèle qu’elle a été témoin d’une grande vague de soutien les uns envers les autres chez Sid Lee. « Tout le monde se souciait du bien-être de ses collègues. On a tout de suite mis l’humain au centre de toutes les décisions de l’entreprise ».

Afin d’assurer le roulement à l’agence, et de continuer à offrir le meilleur soutien possible aux clients de Sid Lee, plusieurs initiatives ont été mises en place. « Au-delà de ça, la priorité a toujours été d’assurer la santé physique et mentale de notre monde... Et ça, je l’ai ressenti dès le départ – tant à titre de gestionnaire qu’employée ».

Une garderie virtuelle de 30 minutes le matin a été mise en place pour les enfants.
« Nos directeurs, designers et j’en passe, créent des ateliers d’illustration, racontent des histoires, et font bouger les enfants pour que les parents de l’agence aient une vraie pause. C’est une façon pour les enfants de socialiser aussi ».

L’agence a aussi développé l’initiative Sid Cares, une plateforme ayant pour objectif d’aider les artisans de la boîte à s’entraider, traverser cette période de stress et d’anxiété. Les employés peuvent s’y retrouver pour partager leurs inquiétudes du moment, ou encore des astuces. Parfois, des conférenciers y sont même invités.
« Ça, c’est quelque chose qui me touche particulièrement ». 

Gabriel admet que la crise a été un moment très motivant pour lui. « J’ai pris ça comme un défi. Je sentais que je pouvais participer à quelque chose. Au tout début, j’ai été super réactif sur l’organisation du travail à distance, sur le marketing relié à la crise. Même au niveau personnel, j’avais tout prévu d’avance, comme l’épicerie, pour me permettre de subsister pendant plusieurs semaines. Ensuite, je me suis permis une pause du bureau, ayant été interpellé par un projet de conception de respirateur artificiel, que j’ai codé avec des amis. Ces deux événements m’ont plongé complètement dans le travail et j’ai pu “surfer” sous l’eau, si on veut ».

Sur une note plus personnelle

Ce n’est que plus tard que Gabriel a saisi la réalité de la chose.
« En sortant pour une première fois dans la cour à bois du RONA, je me suis rendu compte de ce qu’on vivait. J’ai vu l’état de la société, avec les files d’attente et les regards dénonciateurs, et j’avoue que je ne me suis pas encore remis. Là, je suis un peu triste et moins motivé. Je me dis que je dois vivre la même chose que tout le monde, mais un peu à retardement ! », révèle-t-il candidement.

Pour Isabelle, gérer à la fois les changements au boulot, les émotions et les incertitudes de ses deux enfants d’âge scolaire a été un réel tourbillon.
« Honnêtement, j’ai appris de leur résilience. Les enfants s’adaptent à tout bien plus vite et plus facilement que nous ». Elle soutient, tout compte fait, qu’il y avait beaucoup de points positifs dans les premières semaines. « S’installer un bureau à la maison, avoir plus de temps le matin, reprendre le retard qu’on avait sur certaines séries télé, avoir un break de notre vie de tous les jours ».

Pour sa part, Gabriel a hâte de voir sa famille, qui vit dans une région « cloîtrée ». « Il y a des gens qui vivent ça vraiment difficilement et qui n’ont pas d’alternative. Entre travail forcé, famille à la maison, ou pas de travail du tout. Je pense aussi à mes collègues qui sont en arrêt de travail temporaire, que j’ai hâte de revoir et de réembaucher ! Malgré ces difficultés, je pense qu’il faut qu’on se concentre sur les opportunités que la crise nous offre. Ça peut apporter des changements et nous faire prendre du recul, et c’est loin d’être mauvais ! Dès qu’on est en mesure de la traverser, je crois qu’on fait partie des chanceux, et faut en être reconnaissant ! », souligne Gabriel.

« Depuis les dernières semaines, on est entrés dans le “new normal” et tout à coup, elle me manque ma vie de fou ! Je réalise que cette vie-là, je l’avais par choix et je paierais cher pour la retrouver demain matin », conclut Isabelle.