L’arrivée des beaux jours miroite un semblant de vie qui flirte moins avec la dystopie. Et pourtant, les bourgeons qui se ragaillardissent et les oiseaux qui gazouillent cui-cui jurent avec la réalité pandémique. En avril dernier, le Grenier a sondé plusieurs figures du milieu de la communication pour connaître ce qu’elles avaient vraiment sur le
« chest » depuis le début du confinement. Les échos de l’industrie oscillaient entre espoir, fatigue et incertitude. Gratitude aussi, de savoir que quelqu’un, quelque part, lui demande « comment ça va pour vrai ». L’univers de la comm est peut-être petit, mais on n’a pas pu échanger avec tout le monde ! On a donc répété l’exercice. Une fois de plus, revue en toute transparence sur ce que vit l’industrie : petites boîtes, plus grandes boîtes et freelancers.

Chaque semaine, le mardi et le jeudi, prenez des nouvelles de vos collègues à travers notre série « Comment ça va pour vrai chez... ». La version longue sera publiée dans le magazine le 25 mai prochain.

« Pause forcée » pas de tout repos

Jointe par téléphone, Stéphanie Lord, productrice exécutive et associée chez 4ZERO1, peinait à reprendre son souffle des dernières semaines. « C’était vraiment éprouvant. On a dû tout réorganiser et apprendre à travailler à distance ». Toute l’équipe de post-production travaille d’arrache-pied sur des projets en lien avec la COVID-19. « C’est extrêmement intense et prenant, d’autant plus que ça représente peu de revenus. On travaille quasiment 20 heures sur 24 ! C’est super important, car nous sommes là pour accompagner les clients. Et on est tous dans le même bain », expose-t-elle.

Stéphanie Lord
Stéphanie Lord, productrice exécutive associée chez 4ZERO1

Relativement épargnée par la crise, la majorité des clients de Kryzalid poursuit le travail entamé. « Seulement quelques clients ont décidé de mettre leur projet on hold et reporter le travail à plus tard, dit Charles, associé en création. Notre équipe demeure donc très occupée malgré le confinement ».

Charles Henri
Charles Henri, associé, création, Kryzalid

Ainsi, les talents de l’agence de conception web restent connectés à leurs mandats par le biais d’un chat attribué à chaque projet. « De plus, un scrum matinal quotidien en vidéoconférence assure une communication en face à face avec toute l’équipe. On tente aussi de prendre le pouls de chacun dans des conversations “one on one” ».   

La productrice de 4ZERO1 avoue sincèrement que la semaine dernière a été difficile. « On faisait un seul pas en avant et 25 pas vers l’arrière ». Ce qui n’est pas coutume en production ! « Disons qu’en prod, on n’est pas habitué à ça. Il faut que ça roule, que ce soit efficace et qu’on pousse la machine vers l’avant. Là, on “stall” ou on recule ! (RIRES) ». 

Quand la frontière entre vie perso et travail s’empiète

La frontière entre la vie personnelle et le travail était assez laborieuse pour 4ZERO1. Selon les dires de Stéphanie, l’équipe ne voyait plus les journées passer tellement les projets s’accumulaient. « Il n’y a plus d’horaire. Tout est plus long, plus complexe. Tu ne sors pas de chez vous ! Tu es littéralement cloué à ta chaise du matin au soir ». Pour sa santé mentale, et « pour passer au travers », la productrice s’alloue 1 h de temps à l’extérieur à la fin de la journée. « Dans mon équipe, j’ai des mères de famille, des pères de famille. Ce n’est pas facile pour mes employés de naviguer dans cette espèce de tourbillon là. Personne ne te donne de break, c’est ça qui est fou ».   

« Je dirais même qu’il y a un aspect plus personnel à faire les rencontres client en vidéoconférence, chacun chez soi, dit Charles. On découvre l’intérieur des logements de nos clients et on les laisse entrer chez soi, avec parfois des enfants en arrière-plan ou des animaux domestiques qui décident de vivre leur moment de gloire à l’écran... Bref, malgré la distance, le fait de plonger dans l’univers de chacun nous rapproche ».

Le moral des troupes à fleur de peau

Comment l’équipe vit-elle la crise ? « Étant donné que la planète au complet vit la même situation, c’est différent. Si c’était juste notre compagnie, on aurait vraiment capoté, mentionne la productrice de 4ZERO1. Notre but premier était de sauver l’entreprise, donc les employés, pour pouvoir les réintégrer le plus rapidement possible dès qu’on pourra. On a dû faire des mises à pied temporaire, ce qui n’est jamais facile à faire, mais en même temps, c’est pour nous tous. Les employés ont été incroyables, ils ont compris ».

« Malgré les suivis informels que nous faisons de manière sporadique auprès de nos troupes, ma première réaction, suite à tes deux questions, a été de me demander comment allait réellement mon monde. J’ai demandé d’organiser un petit sondage anonyme pour prendre le pouls de la situation ». Charles affirme que les réponses, particulièrement variées selon les individus, ont même été surprenantes. « Certains mentionnent qu’au début, le changement de routine à la maison était bien. Ceux qui n’habitent pas seuls semblent trouver ça un peu moins difficile que ceux qui sont confrontés à la solitude depuis des semaines. D’ailleurs, le moral a dégringolé au fil des semaines pour certains. Des mots forts trouvés dans les réponses : lassitude, solitude, déception, inquiétude, frustration, colère, rancœur, nostalgie. Le moral est inégal d’une journée à l’autre. Une part d’inconnu au quotidien et quant à l’avenir immédiat. D’autres ont été agréablement surpris de la résilience des
gens ».

Un commentaire fort qui est ressorti de ce sondage anonyme, dont Charles tenait à nous partager, va comme suit : « C’est une situation très triste, difficile, mais historique, qui je l’espère aura des conséquences positives sur la prise de conscience commune vis à vis de certains sujets comme l’écologie, la surexploitation des ressources, la consommation locale... ».

Ce que l’associé de Kryzalid retient ? « Malgré les apparences et les conversations informelles qui semblaient bien se passer, le sondage a révélé plus de solitude et d’incertitude que je le croyais. On va définitivement travailler plus fort encore pour s’assurer que tous les membres de notre équipe passent au travers de cette épreuve avec tout notre support. Ça rend définitivement plus humble face à ma perception de l’état de santé mentale de mon équipe. J’inviterais définitivement d’autres professionnels à faire des sondages anonymes auprès de leurs employés pour avoir le vrai pouls de la situation ».

Somme toute, une lueur d’espoir se pointe à l’horizon, révèle Stéphanie. « On est rentré 2-3 personnes au bureau pour préparer la relance selon les mesures de distanciation et sanitaires ». Ainsi, chaque espace de bureau est muni d’une bouteille d’alcool isopropylique de 70 % et du gel antibactérien, et les deux mètres sont respectés, grâce au tape jaune savamment collé par une employée. « On s’est imposé un protocole assez sévère pour savoir comment fonctionner dans le bureau même. Ce sera un retour progressif pour que toute l’équipe apprivoise petit à petit la nouvelle façon de s’installer ». Stéphanie nous dévoile même qu’une personne aura la tâche de faire respecter les protocoles d’hygiène au bureau ! « On ne veut pas être en retard une fois la relance annoncée. C’est important pour nous d’être déjà prêts ! (RIRES) ».