En quelques jours à peine, des mamans italiennes ont créé le plus important phénomène viral de notre époque et mobilisé la jeunesse du monde entier.

Le 5 mars au matin, des post-it sont découverts partout à Milan, Varese, Brescia et Bergamo en Lombardie, mais également dans le Veneto. Le message « Tutto andrà bene » est apposé devant les portes des maisons, sur celles des commerces, sur le mobilier urbain, et est parfois accompagné d’un dessin d’un petit cœur.

De toute évidence, il s’agit d’une action concertée et synchronisée entre plusieurs personnes. Mais qui? Aujourd’hui encore, les auteurs de l’initiative restent anonymes.

Comme le souligne le Corriere della sera, l’intention est de « s’encourager mutuellement sans rien demander en retour. Considérer qu’on est tous sur le même bateau, aux prises avec les mêmes difficultés. Tout le reste n’a pas d’importance : l’important est l’empathie, même auprès des étrangers. »

L’initiative est rapportée dans les journaux locaux et nationaux. La phrase devient slogan, elle s’accroche aux italiens tout comme le virus qui lui continue de se propager. À ce moment, la province de Lodi en Lombardie est en confinement complet et l’école est suspendue partout dans le nord de l’Italie.
 

Une phrase d’espoir née d’un besoin de survivre

On connaît la suite de l’histoire : la Lombardie devient un épicentre de la Covid-19. Le 8 mars, c’est tout le nord de l’Italie qui entre en confinement complet. Le 9 mars, c’est le pays en entier. L’Italie est le premier pays à déclarer une quarantaine sur l’ensemble de son territoire afin de contenir le virus.

Face à la catastrophe, les phrases « Tutto andrà bene » ou « Andrà tutto bene » (qui veulent dire la même chose) deviennent des mantras pour les Italiens. Ce sont des mots pleins d’espoir que les concitoyens se partagent sur les réseaux sociaux, sur des bannières ou affiches accrochées partout. Devant les hôpitaux, on réconforte les travailleurs de la santé en affichant ce message.

Des médias italiens ont spéculé sur l’origine de cette expression. Elle proviendrait de la phrase « All shall be well », énoncée par la religieuse anglaise Julienne de Norwich, ayant vécu au XIV et XV siècles. Elle été témoin des effets dévastateurs de la peste noire de 1348-1350. On suppose que les auteurs anonymes ont souhaité y faire référence.

Devant les annonces en rafales du premier ministre Conte, les Italiens comprennent que cette situation — que l’on disait temporaire — devient maintenant leur nouvelle réalité. Le 9 mars, le pays est mis en quarantaine. La plupart des écoles du nord de l’Italie sont déjà fermées depuis 2 semaines. À la maison, les parents s’occupent des enfants comme ils le peuvent.

Les arcs-en-ciel

Pour égayer et occuper ses enfants, une blogueuse et social media mom de Bologna, Miriam Maurantonio, leur proposent de faire un exercice d’art plastique : dessiner une banderole avec un arc-en-ciel et la phrase « Andrà tutto bene », puis l’afficher devant la maison et la diffuser sur les réseaux sociaux.

« Beaucoup de mères étaient très inquiètes de la situation qui se créait, surtout, elles ne savaient pas comment la raconter à leurs jeunes avec des mots simples et en même temps leur donner une vague de positivisme », raconte Miriam. « Les enfants, surtout à partir de 3 ans, perçoivent ce qui se passe et reconnaissent le bouleversement des habitudes quotidiennes. Il était donc devenu approprié d’aborder la question de l’urgence du coronavirus de manière très naturelle et universelle pour les faire participer à cette grande lutte collective. »

Les arcs-en-ciel étaient déjà un thème récurrent sur les moms blogs, tout comme sur le site TheSocialMediaMama de Miriam, où ils sont présents en citations, en pensées, ou en suggestions d’activités. Le dessin est parfait pour les petits enfants et le symbole est idéal : après l’orage, l’arrivée du soleil laisse place à un bel arc-en-ciel rempli d’espoir. « C’est une véritable injection de confiance dans un moment difficile pour tout le monde, l’arc-en-ciel étant synonyme de magie, d’émerveillement, de l’arrivée du soleil qui brille.»

L’idée se répand comme le virus

« Aucune stratégie n’était prévue. Nous avions un grand besoin émotionnel ressentit par toute la population », souligne Miriam. « Le geste était simple, intuitif et universel. Le message a été adopté et partagé par tous, car il était source d’espoir dans un moment vraiment difficile et déroutant.»

L’initiative capte l’attention d’autres blogues et groupes de mamans, dont notamment le Progetto infanzia. Ce blogue, dont la mission est d’offrir aux enseignants et aux familles des activités éducatives centrées sur l’art, est administré par des enseignantes d’art et des employés du ministère de l’Éducation.

La portée de Progetto Infanzia est grande. Le 10 mars au matin, un court texte est partagé, ensuite recopié des centaines, puis des milliers de fois par des escouades de mamans qui se passent le mot sur les pages, groupes, stories et profils personnels. Ce jour-là, des milliers de mamans italiennes mobilisent une armée d’enfants avec une mission spéciale de propagande positive. Le mouvement des arcs-en-ciel est né.
 

L’idée se propage jusqu’au Québec

Le 11 mars, les médias locaux nationaux rapportent l’initiative des arcs-en-ciel. Mais ils sont en retard sur la nouvelle, déjà partout au pays les banderoles s’affichent. L’arcobaleno est devenu le symbole de la résilience et de l’espoir des mamans et enfants italiens face à virus sournois et invisible.

Un peu comme le virus, l’idée s’est propagée rapidement partout dans le monde quelques jours plus tard. Ici au Québec, c’est l’animatrice Mitsou qui est l’une des premières personnalités à avoir partagé l’idée le 14 mars au matin, en utilisant le mot-clic #toutvaetrecorrect. D’autres mamans d’ici reprennent également l’idée, dont Gabriella Cucinelli, s’étant inspirées des mères italiennes pour proposer une traduction plus juste: #ÇaVaBienAller. On remarque aujourd’hui que l’idée s’est répandue partout dans la province et que les Québécois se sont approprié l’expression. L’expression se retrouve dans nos publicités, dans nos publications et même... dans le titre d’une émission de télé.
 

La viralité est un effort collectif

Le message d’espoir et de résilience né dans l’Italie du Nord est la preuve que les bonnes idées sont encore plus puissantes qu’un virus.

Atteindre la viralité est une opération très complexe. Au-delà des bonnes idées — car tout le monde en a chaque jour — la viralité est surtout une question de contexte: le bon moment, de la bonne façon, mais surtout... avec les bonnes personnes.

Et même avec les bons ingrédients, ce n’est pas toutes les idées qui atteignent un statut viral. Les marketeurs le savent: une viralité n’arrive jamais seule, elle peut parfois se fabriquer, mais son succès n’est jamais garanti.

En s’adressant aux mamans et aux enseignants, le message a définitivement trouvé ses ambassadeurs. Les groupes de mamans ont agi avec intention en propageant le message qui incitait à un passage à l’action. Ils ont donné cet élan viral au mouvement, un petit coup de pouce sans lequel la propagation mondiale n’aurait jamais eu lieu.

Le mouvement des arcs-en-ciel, c’est la victoire des mamans sur le virus. Comme quoi on ne peut jamais battre les social media mom sur leur propre terrain.

tuto
tutto
bene

Source : Texte de David Pieropan, asssocié-fondateur de l'Agence Sparkling