En terme économique, une récession équivaut à une période d’activité réduite qui se traduit par un recul du PIB sur une période d’au moins deux trimestres consécutifs. À ne pas confondre avec ralentissement économique — qui présente une croissance moins forte, mais tout de même positive — ni dépression — qui peut se caractériser par une période de chômage de masse prolongée, une chute de prix et des revenus faibles. Ceci dit, lorsqu’on plongera dans une ère de récession, parce que nous allons forcément en vivre une, qu’adviendra-t-il du monde des communications ? On jase. Explorons le scénario en compagnie de Marie-Pier Mailhot (ex-Télé-Québec), de Philippe Lamarre, président et fondateur d’URBANIA, de Francis Gosselin, économiste et associé chez Groupe SAGE et d’Eric Chandonnet, président du Grenier aux nouvelles.
 

Économie globale à une vitesse 

L’économie mondiale se porte actuellement très bien malgré un conflit commercial entre la Chine et les États-Unis, le Brexit, la faiblesse de l’économie allemande et le coronavirus. Selon ce que rapporte la Tribune, Jean-René Ouellet, gestionnaire de portefeuilles chez Valeurs mobilière Desjardins, estime que la prochaine récession aurait lieu en 2021, voire même en 2022. On peut relaxer un brin en 2020, donc. La dernière récession au Canada remonte à 2008 et avait duré sept mois. Qui dit récession ne dit pas forcément que de mauvaises nouvelles. Dans un papier signé Mark S. Bonham, on stipule que les « récessions peuvent avoir des retombées positives, notamment en encourageant les entreprises à privilégier la productivité et à améliorer la qualité de leurs produits pour garder leur part du marché » et qu’elles « encouragent la création de petites entreprises capable de rivaliser avec les grandes en innovant à moindre coût. Elles peuvent aussi forcer les grandes entreprises à réévaluer l’ampleur de leurs activités et la façon dont elles sont gérées ». Malgré cela, car il y a toujours un « mais », Bonham observe que « les déclins généraux en matière de production et de revenu, couplés à une augmentation du chômage, font des récessions une période difficile pour la plupart des entreprises ».

Cette année, la croissance économique au pays demeurera faible. Néanmoins, ce ralentissement ne devrait pas se transformer en récession. Qu’en pense nos pros de la comm jouant les prophètes ?
 

Le Canada, immunisé ?

Une récession peut être provoquée par plusieurs causes affectant plus ou moins des industries divergentes. Selon l’économiste et associé du Groupe SAGE, Francis Gosselin, il est très peu probable qu’une crise parte d’ici, en raison de notre petit marché. « Quand bien même que ça irait modérément moins bien, il n’y aurait pas d’effet de demande sur les États-Unis, la Chine ou l’Europe. Généralement, les crises proviennent des grands marchés », expose-t-il.   

Anciennement directrice générale des ventes chez Télé-Québec, et maintenant courtière immobilier résidentiel chez RE/MAX SIGNATURE MD, Marie-Pier Mailhot ne voit pas de récession qui se pointe à l’horizon au pays en 2020, et ce, même de façon hypothétique. « Sinon, je peux confirmer que le marché de l’immobilier va bien, il est en santé et nous ne sommes pas dans une bulle immobilière comme certains peuvent le croire », nous assure-t-elle.    

Philippe Lamarre, président et fondateur d’URBANIA, croit que le Canada sera moins affecté par une récession. « Étant donné la diversification de l’économie ici, nous serons davantage protégés. Les vagues nous frappent un peu en retard au Québec – parfois, ça prend du temps avant de ressentir les contrecoups d’une récession ». Francis est du même avis : « On a tendance à ne pas être trop affecté négativement. Généralement, le Canada est perçu comme une nation plus stable que d’autres. On a des fondamentaux assez solides, et ça n’a pas changé depuis 10 ans ». 
 

Les firmes traditionnelles plus ébranlées

Qu’est-ce qui se tramerait du côté média ? « Ce sont les habitudes de consommation de l’information et du divertissement qui façonnent la réalité des médias », indique Marie-Pier. « Les médias s’ajustent, certains plus rapidement que d’autres. Ils sont créatifs dans leurs façons de faire, et ce, particulièrement au Québec. J’ai toujours eu une fierté pour ce que l’industrie du média au Québec accomplit considérant notre petit marché et nos contraintes. Je pense que nous innovons beaucoup plus que bien d’autres endroits dans le monde ». Récession ou pas, elle estime que des faillites et des fusions, il y en aura toujours. « Est-ce que l’économie influence le commerce ? Bien sûr. Je ne suis malheureusement pas devin pour prédire l’entente avec la Chine, le Mexique, le PIB ou tout élément influent l’économie mondiale. Dommage n’est-ce pas ? » 

« Personne n’est devin, mais allons-y tout de même avec le jeu des prédictions. La prochaine récession fera très mal au domaine des médias dits traditionnels, car les annonceurs auront moins de budgets pour investir dans ceux-ci. Malheureusement, les hebdos locaux et régionaux en feront les frais. Je pense aussi à La Presse, déjà déficitaire, qui aura sûrement de la difficulté à passer au travers. Même chose pour Groupe Capitales Médias. Des stations de radio régionales auront probablement de la peine à joindre les deux bouts. En télé, j’ai surtout hâte de voir (façon de parler !) l’importance du nombre de débranchements au câble », indique pour sa part Eric Chandonnet, président du Grenier aux nouvelles

« J’aurais tendance à penser que les grandes entreprises vont couper dans les choses qui sont perçues comme étant moins essentielles. Les communications plus “traditionnelles”, seront considérées comme telles, car plus difficiles à mesurer. On va se détacher de la comm, de la pub et des RP, qui coûtent chers, et se concentrer sur le cœur de métier », évoque Francis.  

Idem pour Philippe, qui croit que l’industrie de la communication devrait avoir peur, car « c’est souvent la première à faire l’objet de
coupures ». « Les premiers postes budgétaires qu’on coupe, c’est les “non essentiels”. Évidemment, le marketing, les communications, c’est toujours vu un peu comme des choses superficielles, donc ce sont les premières choses qui sont frappées de plein fouet ».

Francis fait remarquer que dans le milieu de la communication et des médias, nombre de petites entreprises sont moins bien capitalisées. Que ce soit par inexpérience ou par volonté de croissance, ces organisations n’ont pas beaucoup de capital et d’actifs. « J’aurais tendance à penser que les petites entreprises qui n’ont pas cette logique de capitalisation de différenciation seront plus à risque », mentionne-t-il.

« On est dans un domaine à risque », réitère Philippe. « Il y aurait des coupures dans la pub, l’achat média et marketing. C’est un secteur déjà fragile, alors il y aurait un gros impact. Plein de médias perdront 20 % d’achat publicitaires l’année prochaine. C’est sûr qu’ils vont devoir fermer ».

« Les médias vont déjà très mal. Demain matin, si La Presse Plus perdait encore des annonceurs, ce serait intenable », se désole Francis. « Ils sont déjà non profitables depuis des années. En coupant 20 % des annonces, je ne suis pas certain si tout ça peut survivre, à moins d’un profond changement de modèle d’affaires ». Ce que l’économiste trouve paradoxal, c’est que les « organisations comme La Presse ou Groupe Capitales Médias, qui sont plus anciennes, ont plus de difficultés à s’adapter ». 
 

Destruction créatrice à l’horizon ?

« Je ne suis pas un prophète de malheur, mais l’économie, tout le monde le sait, c’est cyclique », exprime Francis. Il nous introduit au concept de « destruction créatrice », de l’économiste Joseph Schumpeter, désignant la disparition de secteurs d’activité économique conjointement à la création de nouvelles activités économiques. « Pour chaque entreprise qui ferme, de nouvelles naissent. Il y a plein de gens brillants qui se relancent des startups et 1 à 3 d’entre elles deviennent des PME et de grandes entreprises ».

La rotation dans l’économie, il n’y a rien de plus normal. « Il y a des moments où on doit se questionner, allouer des ressources, se repositionner. D’autres moments, on trouve de bonnes idées, on les exploite et on grandit. Ce qu’on souhaite, idéalement, c’est que les moments de croissance soient le plus longs possible et les moments de récessions soient les plus courts possible. (RIRES) ».

Francis trouve malheureux à l’idée que certaines organisations ne puissent pas survivre, mais s’enthousiasme de l’émergence de nouvelles organisations médiatiques dans les prochaines années : « Au fil du temps, des entreprises dans le domaine vont mourir et seront remplacées par d’autres qui seront plus en phase avec leur époque ».
 

Anticiper le pire

Tant que nous ne serons pas dans une récession, nous ne saurons pas que nous sommes en plein dedans. Autrement dit, on a beau spéculer, on ignore qu’on est dans la schnoutte tant qu’on ne le sera pas pour de vrai ! L’une des solutions, alors que l’économie roule bien au Québec, est de se préparer en vue des périodes plus ardues.

« Il faut se faire un “pot of gold”, capitaliser, acheter de l’immobilier, créer des opportunités de capitalisation et accumuler des actifs, de sorte que lorsqu’une difficulté surviendra, on aura les reins plus solides financièrement pour garder nos employés », mentionne Francis.

Philippe estime que les entreprises qui ont bien anticipé les risques ont des coussins, alors que les entreprises qui ont une profitabilité très mince ont plus de risques de se faire acquérir ou de devoir fusionner en cas de récession. Quant à URBANIA, elle se dit fin prête en cas de récession. « Nos revenus ne dépendent pas d’un seul secteur. On est à la fois en télé, en contenu de marque, en pub traditionnelle — on a plusieurs façons d’aller chercher des sous – et on a un coussin accumulé pour les moments plus difficiles. Mais ça, c’est de la bonne gestion ! »

Au moment de se parler, Philippe venait de discuter avec son conseiller financier, qui disait que selon lui, les risques de récession risquaient plus d’arriver aux alentours des élections américaines en novembre prochain. « Logiquement, on a 10 mois de break. À quel point est-il devin ? Donc, je me fie à lui en ce moment pour ce que ça vaut ! (RIRES) »

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Eric Chandonnet

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Philippe Lamarre